« dépêche toi meuf, on part dès qu'on est prêt. » D'un mouvement, je remontai la valise sur le lit et l'ouvris pour chercher de quoi me fringuer. Nous avions passé la nuit à l’hôtel de Séoul pour nous rapprocher « du lieu de réunion de famille » comme le disait ma mère en nous payant les frais du cinq étoiles. Tu parles, elle voulait surtout nous rapprocher tout court, nous forcer la main pour créer quelques liens. Nous étions quand même un supposé couple, je suppose qu'il était de notre devoir de forger cette complicité pour le moment quasi inexistante ? Je massai ma nuque et abandonnai au silence un soupire désespéré en extirpant une chemise bien pliée et quelques autres affaires. Loin d'être pudique, je retirai un à un mes vêtements pour me retrouver en boxer, avant de recouvrir à nouveau mon corps finement tatoué de muscles d'un élégant costume. Je détestais tout particulièrement les réunions de famille aisées ou riches. A mes yeux ça n'était qu'un rassemblement de pingouins prêts à s'empiffrer dans une salle trop étroite.

La famille Bang avait fait fortune parait-il fut un temps, et avait tout perdu aujourd'hui. C'était bien triste certes, je n'aurais pas aimé partager leur situation, mais était-ce forcément bon de voler à leur secours tels des anges gardiens ? L'union prochaine des familles Bang et Ham par les enfants (aka Iseul et moi) ne m'enchantait pas le moins du monde. Tout comme l'idée qu'ils avaient eu de réunir les deux familles pour un dîner commun dans la salle des fêtes, auquel nous devions impérativement être présents. J'ouvris la fenêtre pour tirer une taff sur ma clope fraîchement allumée, tentant de me détendre tout en regrettant mes vieux joggings troués par la cendre et le porche des Tsebe. « T'as bientôt fini ? Je suis déjà prêt moi. » Quand bien même j'avais le sentiment que le fait de devoir jouer le couple modèle n'allait pas être de la tarte, je me réjouissais d'avance de ce supplice qui lui serait imposé. La voir en de telles conditions devait être hilarant. Je vins la rejoindre dans la salle de bain pour m'assurer qu'elle était prête, ne pouvant m'empêcher de râler quant au temps qu'elle mettait pour se préparer. « Le chauffeur nous attend depuis cinq minutes au moins. »

Se fiancer. Pourquoi faire au juste ? Pourquoi se presser ? Pourquoi la vie, pourquoi la mort ? Plus sérieusement. Iseul jugeait tout cela comme étant de la pure folie. Son père était aussi pas mal d'accord. Enfin, à vrai dire, papa Bang était d'accord pour tout tant qu'il pouvait garder sa fille adorée près de lui et il avait comme la douloureuse impression qu'on la lui arrachait avec tous ces plans tordus. Seule maman Bang tenait à tout prix à ce que ces fiançailles soient d'actualité, de même qu'un prochain mariage, une prochaine famille... Bien sûr bien sûr. Elle avait de l'imagination ! Maman Ham aussi ! La preuve ? Elles s'étaient concertées et avaient fini par décider de leur prendre une chambre dans un grand hôtel. Pourquoi faire ? Pour les obliger à se débrouiller avec un seul lit. Aha, la blague. Mais ce que ces deux chères mamans ne savaient pas, c'est que leurs deux enfants étaient loin d'être pudiques, ou gênés par une telle situation. Un seul lit ? Mais fuck off, elle en avait concrètement rien à cirer la petite Iseul. Loin des scènes de drama où ils délimitaient chacun leur côté avec des coussins, la réalité lorsque Iseul est concernée est plutôt : tu dors ici mais à tes risques et périls parce que moi je m'étaaale.

Bref. Le lendemain finit par arriver. Le soir finit par arriver. Et les préparations en vue de la soirée. Il râlait, lui disant de se dépêcher, lui demandant si elle avait terminé et... Iseul préférait ne pas répondre, bien trop occupée à se préparer justement. Elle se devait d'être irréprochable. Parce que sa mère était de la partie. Et maman Bang... Ne pardonne aucun faux pas. Si elle ne voulait pas subir le savon de son existence, il fallait que sa robe soit parfaite, que son maquillage soit parfait, que sa coiffure soit parfaite... Un seul cheveu qui dépasse et ce serait la fin du monde. Vêtue d'une belle robe ♦ dans les tons roses pâles, et de petites sandales à talons hauts... Eh bien, elle n'avait rien de la Iseul habituelle. Enfin, elle était tellement plus... Féminine, gracieuse, élégante. Tout ce qu'elle n'est pas en général, quoi. Lorsque Tao Jun se pointa dans la salle de bain, elle était justement en train de mettre ses derniers bijoux. « C'est bon c'est bon on y va là ! T'as le feu aux fesses ou quoi ? C'est pas la fin du monde d'arriver un peu en retard, tu connais pas le quart d'heure de politesse? » Le quart d'heure de politesse, ou la meilleure excuse de l'histoire... Perchée sur ses dix centimètres – autant dire qu'elle ne donnait plus la même impression grande ainsi -, elle le devança, attendant qu'il la rejoigne avant de fermer la porte derrière elle.

Je râlais beaucoup il est vrai, mais je n'avais pas la moindre envie d'arriver en retard. Je connaissais ma mère : elle aurait rit et m'aurait reproché de manque de civilisation sans pour autant m'en tenir rigueur, à l'inverse de mon père qui me le reprochera tout le reste de ma vie. Je le voyais déjà venir avec ses grands airs, me frotter les cheveux avec affection en me foutant la honte, avant de hurler que son imbécile de fils ne devait sous aucun prétexte arriver en retard. Aigoo.. Je soupirai et massai ma nuque avant de relever les yeux vers le miroir pour vérifier une énième fois mon apparence. Hors, mon regard dévia irrémédiablement vers celle qui occupait toute la place, et mon cœur cessa un instant de battre tandis que ma respiration se figea. Puis je me forçai à reprendre contenance et dériver mes yeux à nouveau sur mon magnifique reflet.

Je pataugeai dans un mélange d'étonnement et de subjugation. J'avais toujours connu Iseul dans ses sweats amples qui masquaient ses formes, ou dans ses créations qui attiraient d'avantage l’œil que sa silhouette que je n'aurais jamais devinée ainsi. A vrai dire elle était belle, presque autant que moi. Et encore j'étais secrètement certain qu'il s'agissait d'un euphémisme, mais je n'irais jamais, ô grand jamais, lui faire part de ça, bien que je me doutai qu'elle n'en soit pas totalement incertaine étant donné la façon dont je la regardais de temps à autres. C'était étrange de me dire que d'ici peu nos vies seront entrelacées, et c'est en la découvrant dans sa tenue d'apparat que j'en pris vraiment conscience, mal à l'aise. Ni moi ni elle ne méritions ça.

« Yah.. Ferme-la un peu, être inférieur. » Maugréais-je dans une mauvaise fois évidente alors que je la suivis à l'extérieur, précédé d'une légère et subtile odeur de Scorpion. Je m'assurais d'avoir tout pris, notamment le bouquet pour la mère d'Iseul -ma mère m'avait bien explosé les tympans jusqu'à ce que j'accepte cette formule de politesse-, et m'installai dans la voiture, à l'arrière sur la droite. Mon coude trouva sa place sur le rebord, tandis que mon menton se posa dans la paume de ma main. « Tu penses que nos vies ressembleront à quoi, quand on sera enchaînés ? » Je poussai un nouveau soupire sans pour autant la fixer. Je n'avais jamais eu que pour seule envie de vouloir profiter de ma jeunesse : me retrouver dans cette situation était l'une des pires choses que l'on puisse me faire, et j'eus à tord pensé que mes parents le savaient. « Pourquoi nous ? Y'a des tas d'autres personnes en Corée, voire même ailleurs. Pourquoi nous ?» Je n'attendais bien évidemment aucune réponse, mais l'amertume me prenait à la gorge.

Être inférieur ? Qui traitait-il d'être inférieur ? IL la traitait d'être inférieur ? Aigo. Elle allait le tuer. Elle allait le massacrer. Comment osait-il... D'autant plus que sur ses talons, elle ne lui était plus si inférieure que ça. Encore dix centimètres et elle faisait sa taille ! « Espèce de... Mais va te pendre, va ! Je te suis pas inférieure du tout ! Aish... » Un petit air boudeur sur le visage, elle finit néanmoins par s'avancer en ne disant plus rien. Elle prenait peu à peu conscience de ce qui l'attendait. De ce qui les attendait. Ils allaient vraiment... Enfin... Être fiancée à Tao, c'était si bizarre. Elle avait grandi avec lui, l'avait défendu avant qu'il ne devienne un con, s'était disputée avec lui par la suite, une fois sa transformation entamée. C'était étrange, comme situation. Une fois dans la voiture, lorsqu'il lui demanda à quoi ressembleraient leurs vies une fois enchaînés l'un à l'autre, elle déglutit, ne sachant quoi lui répondre. Mais tenta de ne pas laisser un silence s'installer. « Aigoo... Qu'est-ce que j'en sais, moi ? Rien ne va changer. Voilà. On aura qu'à faire comme si rien n'avait changé, puis c'est tout. » Elle tentait de le rassurer, mais surtout de se rassurer par la même occasion, car elle était aussi tétanisée que lui à cette idée. Pourquoi eux... Elle aurait aussi très bien pu demander pourquoi elle, pourquoi sa famille pour faire faillite et non pas une autre dans le monde entier. Mais la vie était ainsi. « On s'arrangera pour que ça ne dure pas éternellement... Maintenant, arrête de râler et prépare-toi psychologiquement, on est bientôt arrivés. » Se préparer psychologiquement, oui. C'était ce que faisait Iseul en tout cas, avant de se mettre à agir... Comme une toute autre personne. Et cela se remarqua dès lors que la porte s'ouvrit. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la coréenne savait agir comme une lady. Mieux, une princesse. Simplement, elle ne le faisait qu'en la présence de sa mère, forcée par cette dernière surtout.

Il était certain que la remarque ne plaisait pas à la digne descendante, hélas, je m'en moquais. Qu'attendait-elle de moi ? Que je lui cire les pompes et lui lèche les pieds n'était pas dans mes habitudes, ou tout du moins ne l'était plus. Si autrefois, du haut de mon mètre six, je la suivais par tout en tremblant par peur du monde aux alentours, c'était loin d'être le cas aujourd'hui. Nous avions grandit. Nous étions passé par toutes les étapes d'une relation, bien que celle-ci n'était guère désirée. Quoi que nous disions l'un, et l'autre, nous nous connaissions mieux que quiconque tout en ignorant tout de l'autre. C'était étrange, non ? Une boucle bouclée de laquelle est en train d'en naître une deuxième. « Et on fait comment, pour faire comme si rien n'avait changé, quand tout est sur le point de changer ? » soupirais-je à nouveau. J'étais un garçon pessimiste, mais, aussi chaleureux et compréhensifs soient mes parents, ils m'avaient toujours habitué à garder les pieds sur terre. Et au fil des années, il ne resta plus de place pour de vains espoirs dans mon cœur. Qu'allait-il se passer ? Cela commencerait pas des repas tel aujourd'hui en guise de préparatifs et de rencontres inter-familiales, puis cela continuerait par une demande et une officialisation, passant par la case alliance et cérémonie, et, enfin, une vie bien rangée, bien casée. Que pouvions nous faire. Que pouvions nous y faire ? « Désolé de pas réussir à m'y adapter aussi bien que toi. »

Pourquoi eut-il fallut que nous soyons si près du lieu de rendez-vous, au point que le trajet en voiture ne dure en tout et pour tout que quelques minutes bien trop courtes ? Je grognai alors que le chauffeur fit arrêter le véhicule, et descendis peu après Iseul tout en lissant les plis de ma tenue élégante qui me donnait, sans doute, l'air moins con, moins niais, mais tout aussi fier. Et, parce que les apparences sont importantes ici, je glissai nerveusement ma main dans celle de la Bluing tout en inspirant profondément pour me motiver à affronter cette foule qui n'attendait que les deux stars du repas que nous étions. « Bon euh.. Ma mère, enfin, tu la connais quoi. Elle risque d'en attendre beaucoup de moi alors.. aich c'est gênant. » Ce que je détestais ces situations ! Je pensais qu'il n'y avait que dans les films qu'on faisait ceci. Je n'eus pas le temps de finir ce que je voulais dire après ma dernière plainte, que la porte s'ouvrit sur une de mes jeunes cousines souriantes que je gratifiais d'un regard affectueux et d'une brève étreinte d'un bras. C'était bête, mais j'aimais particulièrement ma famille. Ce qui, somme toute, n'empêchait pas mes dents de s'enfoncer peu à peu dans ma lèvre inférieure sous le stress qui nouait mon estomac. La journée allait être longue.

Ohlalala. Il lui en posait définitivement trop, des questions. Et elle ne savait quoi lui répondre. Mais elle n'en savait rien, de comment s'y prendre pour agir comme si rien n'avait changé alors que tout était en train de changer. Elle lui en posait, elle, de telles questions ? Non ! Alors qu'il fasse un effort, bon dieu ! Ce garçon allait finir par la rendre dingue. Déjà qu'il l'avait embêtée durant toute son enfance et son adolescence, voilà qu'elle ne pouvait même plus profiter de sa vingtaine tranquille maintenant. Vraiment, elle ne comprenait pas ces idées de mariage. Qu'est-ce qui avait bien pu leur passer par la tête ? Marier Iseul et Tao, sérieusement. C'est comme mettre Venus et Mars sur une même orbite. Tout bonnement impossible. Il disait être désolé de ne pas réussir à s'y adapter aussi bien qu'elle. Ce qu'il ne savait pas, c'est que la bluing ne s'y adaptait pas non plus. Elle tentait simplement de faire comme si. Tout comme si. Elle prenait sur elle, dans l'espoir qu'ils puissent tous deux garder un certain équilibre. Sa main dans la sienne, ils s'avancèrent enfin et... A peine la porte franchie, la mère d'Iseul vient à ses côtés. Tête haute, dos bien droit, grand sourire. Sourire, et encore sourire. Grâce, élégance. Elle ne cessait de le lui chuchoter à l'oreille. Et le garçon manqué habituel se transforma alors aussitôt en lady. « Comment allez-vous ? Je suis ravie de vous voir. Et votre femme, alors, comment va-t-elle ? » Le garçon manqué était resté au placard, ici, elle était une toute autre personne. Du moins, tant qu'on la sollicitait. Lorsque ses premiers interlocuteurs prirent congé, elle se tourna vers Tao et lui chuchota à l'oreille : « Sa femme est une vraie peste. Je la déteste. Aigoooo... »

La situation était désagréable. Alors que je serrais ma petite cousine contre mon corps, l'étreignant de mes bras et de mon affection, je soupirai intérieurement. Elle avait bien de la chance, celle-là, de ne pas connaître notre situation. Elle avait de la chance de penser, malgré l'influence de notre famille et ses désillusion, que si je tenais ainsi la main d'Iseul, nos doigts entrelacés, que si je portais cette alliance au doigt, c'est parce que nous vivions l'amour fou. Et je ne voulais pas la décevoir. Et je ne voulais pas les décevoir. Après avoir joué avec ma chaire, après avoir cessé de malmener ma lèvre tourmentée, je reculai de quelques pas en tentant de reléguer à un plan plus lointain le nœud qui bloquait mon estomac, ma gorge. J'aurais tellement aimé tenir la main d'une autre, présenter quelqu'un que mon cœur aurait choisi plutôt qu'une femme à qui je ne pouvais pas donner d'affection. Je ne détestais pas Iseul, loin de là, mais ça n'était pas la même chose. Et je lui adressai un sourire franc, sachant que nous partagions le même malheur. Iseul et Tao.. Quelle idée saugrenue.

Certaines personnes arrivent, d'autres s'en vont, quelques unes nous adressent leurs vœux ou leurs mots, d'autres un sourire et un salut plus réservé. Des gestes auxquels nous nous devions de répondre avec une joie feinte. Il s'agissait de faire bonne figure. Je ne pus m'empêcher de rire à la remarque de la bleue. Fort heureusement, ainsi proches, mon souffle s'égarant près de son oreilles, le sourire présent, certains ne doutèrent plus de la nature de notre relation. S'ils savaient. S'ils savaient, même, la teneur de nos propos. « T'inquiète, moi c'est ma tante la vipère. Il va falloir que tu te surpasses, elle va te passer au scanner. Si tu veux on sortira à un moment, tous les deux, et je te filerais quelques combines. » Me redressant, me remettant à ma place, j'effectuai une douce pression sur sa main pour l'encourager. Et, prenant la tête du chemin, je nous dirigeai vers ce qui s'apparentait à un salon, plus bondé encore. La foule m'étonna mais je sus passer outre ; la famille d'Iseul et la mienne réunie ne pouvait faire qu'un tas d'hypocrites impressionnant. « B'jour. »