Just because we are family ▬ Est-ce une raison suffisante ?  Dans un soupire rauque, le syrien entrouvrit les lèvres, dévoilant une rangée de dents blanches aux canines proéminentes. Son dos s'arrondit un instant, craquant délicieusement avant qu'il ne se détende pour épouser davantage le mur. Une fois par semaine, l'espace de quelques heures, le garçon est forcé de se retrouver ici, entre ces quatre murs, à observer tout ce qui lui tombe sous les yeux, à toucher tout ce qui lui tombe sous la main. Mais s'il entrouvre les lèvres, ça n'est jamais que pour montrer son ennui d'un râle guttural. Depuis son arrivée en Corée, son père le force à prendre contact avec sa famille, avec Meilan son cousin. Mais voilà, Tasyr ne veut pas d'une famille, il n'en veut plus. Il baissa la tête en avant pour étirer sa nuque, et la redressa en ébouriffant ses cheveux d'une main. Son regard pragmatique se posa encore sur son cousin. Il était le patient d'une chambre d'hôpital atypique, voilà tout. Seigneur.. Il se reposa la question :  être une famille, était-ce une raison suffisante ?

Toutefois, si passer deux ou trois heures par semaine chez son aîné le faisait déchanter, le syriano-coréen se faisait pourtant peu à peu sa présence. Habitué certes, mais il n'acceptait toujours pas. Voilà pourquoi, à la façon d'un enfant, il refusait de lui adresser le moindre mot, muré dans son silence. Aujourd'hui toutefois, l'eau avait coulé sous les ponts, et l'ennui profond le poussait à rompre cette promesse. Chaton acculé contre le mur, il balança sa tête en arrière pour y prendre appui, le regard calmement posé sur Meilan. Meilan... Bonjour. Commençons les choses dans l'ordre. Il n'était là que depuis vingt minutes, il n'était pas trop tard pour les salutations. Se rendait-il seulement compte, celui que l'on s'amusait à surnommer « cousin » que ces mots étaient une preuve de confiance irréfutable dont Tasyr lui même n'avait pas conscience ?

Ouvrir la bouche, s'en rendre compte, puis le regretter ▬ Tasyr n'est pas d'un naturel bavard. Se cantonnant au strict minimum, ne laissant pas la moindre onomatopée s'échapper d'entre ses lèvres fines, pas le moindre râle quitter sa gorge, il est de ces éternels silencieux. Pourtant, depuis peu, depuis quelques jours ou quelques semaines tout au plus, la vision des choses du Syrien se modifie, change, se transforme. Tout d'abord il y a eu Minh, puis la douce Yue, et enfin Mika. Et peu à peu, le monde s'ouvre plus largement. Il découvre que, si tout n'est pas blanc, tout n'est pas noir non plus, il réapprend à vivre. A la façon d'un enfant que l'on aurait confiné des années, c'est avec un mélange entre la hargne, la curiosité et la crainte qu'il tend les bras vers un avenir un peu moins sombre. Ou du moins, il l'espère. Meilan fait partie intégrante désormais de son système solaire depuis qu'il est arrivé en Corée. Il ne l'accepte pas, mais ne le renie pas non plus. Meilan n'est pas son cousin, il n'est qu'un homme, un humain pitoyable, à ses yeux. Pitoyable, mais enviable, pitoyable, mais parfait aux yeux avides de connaissance de Taz. Malgré tout, ses quelques mots ont l'effet d'une bombe, et le cousin bavarde un peu trop. Alors, Tasyr qui s'était forcé à prononcer ces quelques mots le regrette.

L'étranger regretta un moment d'avoir ouvert sa bouche, d'avoir accordé sa confiance quelques instants à son aîné mais, alors qu'il le maudit, son cœur se réchauffe. Malgré le temps passé contre ce mur, les jours et les semaines, l'adulte ne l'a jamais ni jugé, ni brusqué, alors Taz se plut à croire en ses mots. La main tendue, dans tous les sens du terme, suscita un tremblement dans tout son être, puis la crainte. Evidemment qu'il avait déjà eu des contacts, il avait également une petite amie, mais les choses étaient telles que chaque nouveau touché était une torture. Ses canines pointues rappelaient d'autant plus ces chats sauvages du désert chaque fois qu'il haletait sa peur. Les jambes repliées contre son torse, il chassa à grands gestes la main de Meilan, sourcils froncés. Il avait ouvert la bouche, il n'avait pas pour autant autorisé ceci. Et, pourtant, il avait chaud au coeur. Il ne l'avait pas autorisé.. Alors pourquoi, en l'espace de deux secondes, son corps se retrouva collé à celui du pétalous, les bras autour de sa taille, la tête dans son cou ? Le haut du plus âgé fermement agrippé par son cadet, Tasyr se mit à geindre. Les étreintes lui avaient manqué, il espérait ne pas avoir à regretter son instant de faiblesse. Meilan.. ne me lâche pas maintenant.

Les corps-à-corps sont témoins de bien des cœur-à-cœur ▬ Tasyr est un garçon dont les sentiments sont difficiles à exprimer, qui privilégie les gestes. Derrière ses apparences taciturnes et son silence permanent, le syrien manque cruellement d'affection, encore bloqué dans cet âge à mi-chemin entre l'enfant et l'adulte. Le corps est son meilleur moyen de partir en quête de reconnaissance, de tendresse peu importe la manière utilisée parvenir à ce but. Les chaudes étreintes des femmes ayant succombé à son charme sauvage et juvénile, et leurs baisers multiples. Les mains de Dewei, ou des autres, qui s'abattent sur son corps et qui le mettent au sol le temps de deux temps trois mouvements pour une raison futile. Les sourires carnassiers qu'ils échangent en se faisant un mal mutuel ; leur façon de s'accorder de l'importance. La main qu'il glisse dans celle de Yue, qui tapote le dos de Minh. Ses lèvres qui goûtent à celles de Mika. Son corps est le moyen de s'exprimer le plus sûr, et le seul qu'il sache utiliser. Mais Tasyr se sent toujours et irrémédiablement seul. Et aujourd'hui, pour la première fois, il prend conscience de ce mot qu'est « famille ». Il ressent la chaleur de cette étreinte qu'ils s'accordent, la chaleur de leurs êtres, de ce même sang qui coulent dans leur veines. Il se sent un peu moins seul, alors.

La tête nichée contre son épaule et son souffle s'abattant en saccade sur l'épiderme de son cou furent les témoins de l'état d'alarme et de panique du plus jeune. Sa proposition alléchante, sa main tendue vers un avenir fraternel et celle qui passait dans son dos eurent toutefois raison de sa crainte et de son angoisse. C'était un jour mémorable. Lui qui n'avait pas ouvert la bouche une seule fois avait cherché du réconfort contre son être, murmurait son nom presque avec affection. Hum . La seule réponse qu'il fut en mesure de prononcer ne fut ni l'acceptation des faits, ni le refus total. Tasyr baignait dans un brouillard, dans un flou qui annihilait ses sens et sa perception. Toutefois, ses yeux se fermèrent seul lorsque son aîné passa sa main dans ses cheveux, le forçant alors à considérer les choses dans leur entièreté. Laisse moi juste rester avec toi . Et ne me parle pas lorsque je ne le désire pas, ne cherche jamais à faire le premier pas, ne me touche pas sans que je l'ai décidé, ne me regarde pas avec pitié, ne cherche pas à me déloger du coin contre lequel je me serais recroquevillé. Ces choses viendront progressivement. Il ne pouvait pas énoncer ses critères ainsi de peur que son cousin ne prenne la fuite. Lentement, il sépara leurs corps en grandissant la distance et secoua la tête de gauche à droit. Non , on sort pas . J'en ai pas envie. Il préférait refuser froidement pour briser toutes ses tentatives pour l'entraîner à l'extérieur. Malgré tout, face à la déception qu'il lut dans ses yeux, il posa ses deux mains sur les joues de Meilan pour encrer son regard dans le sien. J ' ai faim ! On mange ? C'était mon moyen de passer du temps avec toi sans sortir de ce cocon.