Jamais. Je pense que jamais je ne réussirai à connaître ce quartier. Et puis qu’est-ce que je fous dans ce quartier, déjà, de base. Je n’ai pas à être ici, on serait capable de me facturer le fait de respirer dans ce coin de la ville. Je ne sais pas comment je fais pour me perdre. Après deux ans dans cette ville, je me perds encore. Le seul bon point, c’est que j’en prends plein la vue, mais, c’est lassant. Les maisons ici cherchent à se surpasser plus les unes des autres, et ça en devient chiant. Je soupire, je regarde l’heure. Je peux traîner autant que je le veux désormais, la battle a commencé il y a bien un quart d’heure maintenant, ce sera sans moi. Plus je regarde les gens passer et me dévisager, et plus je me dis que ce monde là ne me manque pas. Oui, cet univers où tout nous est donné n’a pas laissé de vide en moi. J’aime ce que j’ai fait de ma vie, et j’aime ce que je suis devenu. Des cris. Je sors l’une de mes mains de mes poches et me mets à marcher vers la source de ceux-ci. Un couple qui se dispute ? Quoi que, la fille gueule vraiment très fort… Elle se fait attaquer ? Mes pas se pressent, et je m’arrête aussitôt que je vois les responsables de ce remue-ménage. De ma main, je cache un sourire moqueur. Il se fait défoncer, ses fringues sont toutes au sol, et elle est en train de le ruer de coups. Quelle tantouze ce pélo. J’aurais dû pouvoir partir, m’en aller, continuer mon chemin, finir par retrouver une rue que je connais et filer soit à la fac soit chez moi. Mais ç’aurait été bien trop beau. C’est à moi qu’elle parle ? Réaction ridicule, certes, mais humaine, je jette un coup d’œil autour de moi : personne. Donc, c’est à moi qu’elle parle. J’écarquille les yeux, cette petite merveille est soudainement collée à moi, et ses mains se baladent tranquillement sur mon corps. Je regarde discrètement le ciel. Merci bro, je t’en dois une. On dirait qu’elle cherche vraiment à se débarrasser de l’autre excuse de masculinité qui nous regarde incrédule. Je n’ai pas compris la phrase suivante, elle a parlé bien trop vite pour moi, mais, de la tête, elle fait signe de bouger. « C’est ton mec… ? » Voilà tout ce qui sort de ma bouche, avec cet accent qui ne veut pas me laisser tomber, alors que je passe mon bras autour de ses épaules et continue de marcher. Cette femme est vraiment belle, mais mon sixième sens appelle ma raison, et l’expérience prouve que… Quand la girafe boit de l’eau, elle ne porte pas de lunettes. En soit, elle risque de me péter les couilles, et royalement. « tu m’amènes où ? j’ai des trucs à faire moi. » une fois assez loin, je reprends possession de mon bras et fourre mes mains dans les poches de mon baggy, après avoir réajusté ma casquette. L’air hautain qu’elle affiche ravive de mauvais souvenirs en moi, je peux y aller ?

« Tu te sers de moi, je peux au moins demander ça, en tout cas si c’ton mec… vire directement lesbienne, vu le taux de testostérone de ce type, une femme c’presque plus masculin. » En suivant sa cadence, je peux pas m’empêcher d’en placer une. Je ne suis pas certain d’avoir prononcé tous les mots correctement, mais le cœur y est, et surtout le sarcasme. Dans quoi est-ce que j’ai atterri ? Je passe ma main sur mon visage en soupirant, replaçant correctement ma casquette. Mon père avait raison sur ce coup là, quand une belle femme te saute facilement dessus, elle t’apporte forcément des ennuis. Et encore des ordres, et encore un soupir. Les gens de cette zone ont-ils tous ce complexe de supériorité ou comment ça se passe ? La politesse ils connaissent ou pas ? Je ne sais pas, un petit « s’il te plaît » à la fin n’aurait vraiment pas été en trop, et puis, c’est qui ce « il » sérieusement ? L’envie de faire demi tour pour demander à cet homme qui il était et surtout qui elle était commençait à me tenter, très, beaucoup, trop. On marche, encore, et je me demande où l’on va comme ça. Je n’ai franchement plus du tout qu’elle soit en danger ou qu’elle est réellement besoin de moi. Jie, Ren, l’un de vous ne serait pas dans les parages et viendrait à ma rescousse par hasard non ? Jamais là quand j’ai besoin d’eux, bande d’enfoirés.

Je hausse un sourcil lorsqu’elle me détaille. Qu’est-ce qu’elle a maintenant ? Je croise mes bras sur mon torse et la fixe tout autant. Je l’ai déjà examinée plus tôt, rien de nouveau est apparu, mais ce serait bien qu’elle fixe son caractère pour qu’il soit en accord avec son apparence, elle commençait à me peser sur le système, et je n’ai aucune patience, ce n’est pas nouveau. Seigneur. Les femmes sont vraiment des moulins à parole. Je plisse un œil en essayant de comprendre. J’ai compris « annule », « besoin de toi », « con » et « enrager ». C’est moi qu’elle insulte ? Je ne crois pas, mais je n’ai absolument pas suivi. « Au cas où tu ne l’aurais pas compris à mon accent, moi, je ne maîtrise pas ta langue. I don’t see whatcha mean girl. » Levant les yeux au ciel je passe ma langue sur l’intérieur de ma joue ; tout puissant, qu’ai-je fait pour mériter ça ? C’ma punition pour Sera c’est ça? Tu aurais pu y aller plus soft, je sais pas, me faire perdre mon porte feuille, ça au moins, je m’en serai remis rapidement, puisqu’il est vide, mais comment je me débarrasse d’elle moi maintenant, ha? Et le traumatisme que j’aurais après ça, on en parle seigneur ?

Je déteste cette avenue. Je pourrais encore m’offrir ce qu’on y vend, mais je n’ai pas amené l’argent de mon passé avec moi, et puis, à quoi bon dépenser autant pour des trucs qui ne seront plus « à la mode » la prochaine saison ? « Froid ? Trouve toi un autre pauvre fou pour te filer sa veste. » Bonjour, je suis Ethan, casse couille professionnel, et surtout, de très mauvais poil. Je regarde droit devant moi. C’bon, elle m’a fâné.

Mes yeux la scrutent encore. Si ça se trouve, dans le fond, elle fait juste la fille capricieuse parce qu’elle ne sait rien faire d’autre. C’est triste. Elle est belle, mais, elle est vide. Je fais comme si je ne l’avais pas entendu, et continue de marcher. Je ne sais même pas pourquoi le destin me punit de la sorte. Elle accélère, mais je ne le fais pas pour autant. Je continue à mon rythme, après, tout, je suis encore libre de marcher comme il me semble et même encore de fuir, mais comme je ne comprends toujours pas de quoi ça s’agit, je préfère ne pas trop m’éloigner d’elle. Si ça se trouve elle était en danger et je le sais même pas. Je relève la tête lorsqu’elle m’interpelle à nouveau. Je connais ce magasin, mes parents aimaient y aller, et je leur disais toujours que ce n’était plus de leur âge. Je souris à cette pensée, ils me manquent quand même un peu. « Comment t’as su ? » j’ai du culot, et franchement, merci papa, mais mon service trois pièces est très bien fourni. Je salue les employés poliment, et prends une chaise, m’asseyant confortablement sur un des fauteuils. La mode ce n’est pas du tout mon point fort, et la mode de luxe encore moins, c’est à peine si je puis payer mon loyer en temps et en heure, alors me payer une ceinture du même prix que ledit loyer, merci, mais non merci. Je ne tourne même pas la tête vers elle lorsqu’elle sort de la cabine, décrochant simplement à mon téléphone, c’est Sera. « Yup baby ? … Non là je peux pas je suis coincé avec une folle furieuse qui m’a kidnappé dans une luxe de boutique… Mais je suis pas menteur, je jure que c’est vrai ! … Oui elle est belle, mais elle est folle je te dis… Sera putain écoute moi un peu je te rejoins après, et non, je ne risque pas de la fourrer non ! » Je raccroche souriant en regardant le téléphone. Ma petite amie devient irrésistible quand elle est jalouse. Malheureusement, je lui ai donné des raisons de l’être, un jour ça passera, j’espère. Mes yeux se posent enfin sur la jeune femme, et je sens mes yeux s’agrandir. Trop de pixels tue le pixel, la couleur de cette robe est tout simplement immonde, on dirait du vomi. Mais je ne dis rien, pouffant simplement dans ma manche. Je me racle la gorge et je soupire à nouveau. « Achète ce que tu veux, mais je ne veux pas me habiller avec cette couleur moi. » Je retire ma casquette et passe ma main dans mes cheveux. « Ethan. Wang Ethan, et toi alors ? » Enfin des présentations, je vais peut-être réussir à trouver une échappatoire. Je regarde autour de moi. Rien ici ne me plaît, mis à part les costumes, les smokings. J’aime bien ce genre de tenue même s’il n’y a pas besoin de les porter souvent. De toute manière, je n’ai pas l’intention de me changer. No Way.