Fin d'une longue journée de cours... et j'en ai plein le cul. La tête en compote et le cerveau en bouillie, je me traîne hors de l'amphi en geignant presque. J'ai faim, j'ai sommeil, j'en ai marre des études. Je suis presque prêt à tout arrêter et me barrer en Chine pour bosser dans les rizières et m'occuper de mes vieux parents. Je dis bien presque. Grimaçant, grommelant et pestant tout seul, je longe les couloirs du bâtiment d'un pas lent, tout en rêvant du lit douillet qui m'attend chez moi, m'ouvrant ses bras drapiens soyeux. Mais, soudain, je l'entends. M'arrêtant net, je retiens ma respiration pour mieux écouter. Comme un chien à l'affût, je me mets à raser les murs pour trouver la source de la douce voix qui chantonne tranquillement. Une porte entrouverte attire mon attention et, m'en approchant furtivement, je jette un œil discret à l'intérieur. Oui, c'est bien elle. Il s'agit de la même fille que j'avais déjà surpris une fois à chanter et qui, allait savoir pourquoi, s'était barrée à toute allure en me voyant. Depuis ce jour-là, les quelques fois où je l'avais croisée, elle me fuyait comme la peste. Si bien que je n'ai jamais eu l'occasion de lui demander son nom. Je pousse légèrement la porte pour tenter de m'approcher en douce mais celle-ci ne semble pas être de mon côté. Grinçant avec bruit, la chanteuse est avertie de ma présence. Je saute alors dans la pièce et pointe un doigt sur la fille. « AH ! Je te tiens ! » Allez savoir pourquoi je me conduis comme un super vilain super bidon...

Pendant un instant, malgré mon doigt pointé sur elle et ma gueule de débile, j'ai pensé qu'on allait enfin pouvoir avoir une conversation entre adultes. Évidemment, je me suis vite rendu compte que je m'étais trompé en me prenant une craie dans la gueule. « Putain... » C'est qu'elle sait viser la bougresse. Et qu'elle court vite, en plus de ça. Non, elle ne va pas me filer entre les doigts encore une fois, j'en ai marre. Qu'est-ce que j'ai qui lui fait peur comme ça ? Je suis plutôt beau gosse pourtant, elle devrait pas se sentir flattée que je cherche à créer des liens ? Sautant par la fenêtre, j’atterris comme une merde dans un buisson et me jette alors à sa poursuite. Je tente de garder le contact visuel pour ne pas la perdre. Tout en courant, je ressers à fond les bretelles de mon sac à dos histoire de ne pas le larguer en chemin. Complètement crevé, j'essaye tant bien que mal de réduire la distance entre nous. Elle va continuer de courir comme ça pendant encore combien de temps ? « Arrêtes toi merde ! J'vais pas te bouffer bordel !! » Je me doute que mes tentatives de persuasion risquent d'être inefficace dans cette situation, mais on peut toujours essayer. Enfin quand même... Cette histoire n'a aucun sens.

J'ai l'impression de courir depuis des heures, alors que ça ne fait que quelques minutes que je suis la folle furieuse devant moi. Je suis à deux doigts d'abandonner et de rendre mon déjeuner quand je la vois s'arrêter et s'effondrer par terre. Ohoh victoire ! Je vais enfin pouvoir lui parler... une fois mon souffle retrouvé. Je parcours en trottinant les derniers mètres qui me sépare d'elle et je me laisse tomber sur le dos, écrasant au passage mon sac, tout transpirant et à moitié mort. « Ouh ! Faut que je me remette au sport moi... » Allongé tranquillement par terre, les bras croisés sur mon torse, je l'écoute m’invectiver. Je ne me relève même pas pour lui répondre, trop crevé pour ça. « C'est qu'elle mord dis donc... Tu sais, j'passerais pas pour un stalkeur à tes yeux s'tu m'avais laissé te demander ton p'tit nom la première fois. » Un petit sourire sur le visage, j'essaye de la rassurer sur mes intentions. J'avais pas vraiment réalisé que je pouvais passer pour un stalkeur, après tout, je n'étais pas tout le temps en train de la suivre. M'enfin, j'espère juste que dans sa colère, qu'elle ne cherche visiblement pas à cacher, elle ne se mette pas à me donner des coups de pieds ou à repartir en courant. Je n'aurai pas la force de me relever et de la suivre encore une fois. Mais bon, si jamais, je simulerais une crise cardiaque pour l'empêcher de s'enfuir de nouveau.

Après quelques secondes, je m'étire distraitement les jambes pour en chasser la fatigue et m'assoie en tailleur, surpris qu'elle n'ai toujours pas profité de ma faiblesse pour partir. « Ah... Parce que t'as une raison pour pas parler ? » Oui, je suis curieux. Mais bon, c'est pas nouveau. Je m'intéresse toujours beaucoup aux autres, à la façon dont ils vivent, réagissent et ce genre de choses. Et là, je dois avouer que je suis étonné de l'entendre dire qu'elle ne parle presque à personne. Avoir un tempérament très calme, ok. Mais jamais parler, c'est chaud quand même. Enfin, au moins, je suis rassuré de savoir que ça ne vient pas que de moi uniquement. « En tout cas, j'm'excuse de t'avoir fait chier comme ça, c'était pas mon intention. Mais t'imagines même pas à quel point ça me frustrait de te voir partir en courant comme ça là putain... » Après un lourd soupir, je la fixe un instant sans vraiment la regarder, les yeux dans le vide, et finis par lui sourire. Lee So Youn, la demoiselle a donc un nom. Je commençais à désespérer et à croire qu'elle n'en avait pas. La gorge sèche, je me mets à farfouiller dans mon sac à dos pour trouver ma bouteille d'eau. Alors que je m'essuie brièvement la bouche avec le revers de ma manche, je lui tends ma bouteille. « Moi c'est Si Hui Liang, ton stalkeur officiel ! Une p'tite goutte ? » J'espère qu'elle ne va pas prendre mon titre auto-délivré au sérieux, mais avec ma tête de débile, il y a sûrement peu de chance.