Assis dans l'ombre d'un pilier, je m'amusai à lancer cette pièce d'or et parier sur quoi, de face ou de pile, elle tomberait. C'était une occupation superficielle qui me permettait d'éviter les ennuis cherchés par ces pirates fous. Tortuga était un endroit déjanté, rempli de gens étranges, mais c'était ça, la vie de bandit des eaux. Abaissant mon vieux chapeau d'un mouvement habituel, je reluquais de temps à autres les prostituées et femmes du bar. Tout était grossier ici. Les gens, les mots, les rires, les femmes.. Pourtant, aucun de nous ne pouvait se détourner de Tortuga. C'était le lieu dans lequel l'on se rendait indéniablement à chaque fois. Notamment ce bar. J'attrapai la bourse que ma comparse m'envoya à la volée, et l'attachai à ma ceinture. Levant ma choppe à mes lèvres, je descendis l'alcool d'une gorgée sans pour autant lever les yeux sur Soo Ah. « Si tu veux t'attaquer à plus dur, il va falloir prendre le risque de perdre. T'es sure de pas vouloir te faire une petite réserve avant ? » Je levai enfin la tête et la fixai, un sourire mutin aux lèvres. Contrairement à bien des pirates, j'étais réfléchis et stratégique. Mais j'étais un voleur. Un bandit. Iseo, L'âme des pirates, jamais ne mourra.

Depuis le temps qu'on se connaissait, on avait toujours travaillé en équipe, en duo. Personne d'autre que nous, juste elle et moi. Deux bandits des eaux craints et redoutés, attisant la curiosité et l'admiration. Derrière nos vêtements, nos accessoires et nos chapeaux, on savait se dissimuler comme personne. Je balayai la salle du regard, lissant les plumes pendues à mon oreille d'un geste régulier. Une cible ? Elle désirait une cible, dans cette salle ? Elle me demandait ? Mauvais choix, ma belle. « Laisse moi réfléchir. » J'aimais notre boulot. Dépouiller les autres. Voler les riches pour redorer nos blasons, remplir nos coffres. Hisser nos couleurs. Enfin, je trouvai la cible parfaite, et désignai d'un mouvement de tête l'un des hommes plus loin. « En E8 » Nous avions l'habitude de donner les places comme sur un échiquier, pour la discrétion. Un gars, gros, gras, mal rasé, sans doute pas douché depuis un moment, riant aux éclats une choppe à la main. ça, c'était du niveau, et je ne pus m'empêcher d'afficher un sourire en coin, me cachant derrière l'ombre portée par mon chapeau à plumes. « Si t'arrives à lui soutirer son fric, je te promets que la prochaine cible sera pour moi. » Je ne doutais pas des capacités de Soo Ah. C'est juste qu'avec ses seins et la gueule du pirate.. Je craignais qu'il ne nourrisse quelques obscènes pensées.

Toujours assis, je m'arquai en avant et posai ma tête sur mes mains jointes, mes coudes posés sur mes genoux. De loin, j'observai le spectacle avec un sourire non retenu, louchant moi-même sur le décolleté que ma comparse venait d'étirer. Ici, les femmes n'étaient que des objets et des êtres inférieurs. Des créatures de plaisir, de luxure. Trop peu voyaient les femmes pirates à leur juste valeur, et voilà pourquoi notre duo était diablement efficace. Hansel et Gretel des océans. Sauf que.. Je n'avais pas prévu qu'elle puisse se faire prendre en pleine mission et, lorsque cet abruti de gros lard attrapa son poignet, je me levai dans un geste rapide. Sortant un petit poignard de la poche de ma veste, je lançai ce dernier avec dextérité, le laissant s'enfoncer dans la table près de la choppe de bière. Avec l'élégance qui me sciait, je sautais de chaise en chaise, de table en table, jusqu'à m'accroupir sur la table du crevard. Yeux dans les yeux. « Tu lâche ma poupée où va t'en mordre les doigts. » Nous étions connus, et il ne faisait pas exception. Sans doute nous avait-il reconnu au moment où j'ai débarqué, mais il s'obstinait à maintenir ses doigts sales autour de la pirate. « Je pense que le kraken sera ravi d'un sacrifice de plus.. » Annonçais-je avec un sourire plein de sous-entendus.

« Tu pues.. » Ajoutais-je en plissant le nez. Cela n'était pas du aux râlants d'alcool, aux effluves de sueur, aux senteurs de graisse que les autres personnes émettaient... C'était autre chose, une odeur plus subtile que je savais discerner mieux que les autres. Encore une fois, un sourire rapace étira mes lèvres. « Tu pues la peur. » Il faut dire c'était compréhensible. Notre duo était toujours l'objet de nombreuses rumeurs fantasques, et les légendes embellissent les choses. Si je ne doutais pas de nos capacités, je sais pertinemment que nous ne serions jamais au niveau où tous les autres nous attendaient. Parce que nous étions humains. Aussi, pour ne pas décevoir notre public, on jouait stratégique. Pour ne jamais perdre. D'un coup de botte, je repoussai la main du crasseux pour l'éloigner de ma jeune comparse dont la beauté pouvait aisément faire pâlir les plus belles sirènes, déesses et sorcières. Certain que le marin d'eau douce ne se retournerait pas contre nous, et toujours en position accroupie, je dardai mon regard noir de jais sur ma collègue : « On bouge ? On va attirer l'attention à ce rythme là.. »

Une fois dehors, j'étirai mes bras en poussant un lourd soupire. Je n'aurais pas été contre poursuivre le jeu un moment supplémentaire, pour remplir encore davantage nos bourses. Mais je n'en tenais pas non plus rigueur à Soo Ah. N'étais-je pas un pirate indulgent ? Néanmoins.. « Tu sais que si je n'avais pas la flemme de faire passer d'autres entretiens à des pirates novices.. Je te ferais faire la planche ? » Tout à fait. Le plongeon de la mort. Je me mis à rire. Et, me déplaçant derrière l'asiatique, j'enroulai mes bras possessifs autour de sa taille pour l'attirer contre mon torse dur, encrant mon regard vagabond sur les veines de mes poignets. « Si c'était pas toi, c'aurait été moi qui me serait fait prendre. » Elle était trop dure avec elle-même, se surestimait. Nous n'étions pas invisibles, et jamais à l'abri d'une erreur. N'importe qui d'autre aurait goûté de mon arme, mais Soo Ah était trop précieuse pour ça, et il était de mon devoir de lui rappeler qu'elle pouvait compter sur moi à chaque instant. La relâchant tout aussi vite, je reniflai avec dédain et affichai un sourire sournois : « Il nous reste du rhum je crois, dans les cales du navire.. non ? » A vrai dire, ça n'était pas concrètement une question. Et d'un pas rendu chancelant par les quelques choppes du bar, je me mis à chanter à tue-tête « Et une bouteille de rhum ! » Quand je disais que j'étais moins discret que la brigande..

Les rues chancellent entre la pauvreté et le luxe, la crasse et l'élégance, selon l'angle de vue et l'intensité de la lune. Mais elles ne sont pas les seules à chanceler, bien que ce ne soit plus par perte d'équilibre qu'autre chose. Je tenais affreusement bien l'alcool, et du fait, j'éclatais d'un rire délicat lorsqu'elle fit mention de la probabilité de me voir vomir mes tripes. Me retournant face à elle sans cesser d'avancer à reculons, je lui adressai un clin d’œil taquin. « Qui c'est qui a finit la tête au dessus de l'eau, la dernière fois ? » Assurément, c'était moi, et ce jour là j'avais diablement abusé, mais je comptais bien lui fausser ses souvenirs et lui faire croire l'inverse. Et lorsqu'elle se mit en route, je revins à sa hauteur pour passer mon bras autour de ses épaules le restant du trajet. Lorsque les planches de bois du vieux port grincèrent sous nos chaussures, je comptai mentalement le nombre de pas qui nous séparaient du navire. « Avec le gros lard, j'ai d'quoi m'payer des putes pour la semaine au moins ! » Plaisantais-je en riant. Mais entre nous, nous savons tout deux qu'au moins une partie de la somme se dilapidera pour ces raisons là..

Ahah, point pour elle et sa mémoire. C'était moi, qui, après une soirée passée au bar à me vanter seul de mes mérites, entouré des plus belles femmes de l'île, était rentré plus qu'éméché. Marchant pas droit, manquant de me tromper de bateau, mon premier réflexe fut de sortir de la cale l'une de nos nombreuses bouteilles dérobées à l'étalage. Réflexe qui ne m'avait pas réussi, puisque j'avais vomi mes tripes par dessus la rembarre. Heureusement, j'avais pu compter sur elle pour me faire chouchouter. J'savais pas si elle se souvenait précisément de ça, mais moi oui. Lorsqu'elle me lâcha, je ris. J'aimais cette réaction, cette moue boudeuse. J'aimais cette jalousie partielle, ou alors feinte, qui la hantait. J'aimais quand son minois de tigresse devenait chaton. « Jalouse ou bien ? » Me massant la nuque, j'aspirai à une bonne douche froide, ou quelque chose d'un tant soit peu hygiénique. Je ne voulais en aucun cas ressembler à ses grands porcs. Je reniflai, et me décidai à répondre sérieusement tout en faisant tomber la planche afin de nous permettre de grimper jusqu'à notre domicile. « Leurs culs. Puis leurs chattes aussi. Leurs seins. Ce genre de choses. Puis elles sucent bien pour la plupart. » Autant j'avais ce sourire en coin totalement moqueur, autant, elle savait aussi bien que moi que je pensais ça mot pour mot. J'étais un homme comme les autres, dans cette société misogyne.

Lorsque nous posions les pieds sur Tortuga, deux types de personnes se dissociaient. Nous, l'élite, elle, moi... Et les autres, le bas de l'échelle. Nous étions intelligents, vifs.. Je ne dis pas que personne ne l'était ici, car je ne comptais plus les multitudes d'excellents pirates qu'il m'ai été donné de croiser, mais notre duo faisait notre force, tout comme notre bonne entente. Quand bien même elle cherchait à me flatter, je n'étais pas du genre à ne me concentrer que sur cette partie du discours. Me penchant vers elle, je ris avec douceur à son oreille, passant ma main sur sa nuque d'un geste éphémère. « T'en fais pas, t'es la femme que je préfère. » Je la rejoignis à bord du navire en quelques pas et lui subtilisai la bouteille pour la descendre sans retenue de longues et nombreuses gorgées, sans vergogne. Payer pour me faire sucer ? Ah. Je ricanai, et pris appui contre le pilier central du pont. « Disons que quand je sais plus quoi faire de mon fric, et que j'm'emmerde, y'a pas mal de décolletés qui me donnent des idées. Autrement dit, il est certain que j'ai pas de mal de trouver fourreau à mon sabre.. » Je secouai la tête en riant. Un rire fatigué, exténué même, à la senteur alcoolisée. Malgré tout, un détail me tiraillait. Nous étions suffisamment proches pour les questions, après tout. « Comment tu fais ? » Je descendis à nouveau la bouteille, avant de la tendre à mon interlocutrice. « Si tu les trouves tous si repoussant, comment tu fais pour baiser ? »

Alors que je lui avais gentiment donné la bouteille -entendons par là que j'avais forcé comme un beau diable jusqu'à estimer qu'il était tant de lui faire perdre l'équilibre en lâchant- , j'éclatais d'un rire amer, mais si moqueur.. Des minets propres sur eux et très bourgeois ? Bon sang, elle devait pas avoir la bonne notion du sexe alors.. J'pense pas que ceux-là aient connu beaucoup de femmes, aient côtoyé le monde réel. C'était une forme de jalousie qui me prenait à la gorge, mais pas celle qui lie un homme à sa femme. Plutôt celle que l'alcool me force à adopter. J'étais certain qu'elle usait bien plus de sa main et de son imagination que du reste, c'en était désolant pour une femme comme elle. La taquinant d'une œillade moqueuse, je repris mon dû en glissant quelques mots directement à son oreille. « Crois moi, si les petits nobles se débrouillent aussi bien que les petites bourgeoises.. T'as pas encore vécu. » Pourquoi est-ce qu'on en parlait, alors qu'après toutes ces années passées l'un à côté de l'autre nous avions tu le sujet ? Hum, besoin de nouveauté, sans doute. La bouteille à mes lèvres, je profitai encore de quelques gorgées en fermant les yeux, la tête appuyée contre le mât. En quelques minutes à peine, on l'avait quand même vidée de trois quarts. Foutue addiction. « T'as jamais eu envie d'essayer autre chose ? Du nouveau, quelque chose de plus plaisant que ces enfants qui savent même pas bander correctement ? » J'savais pas, j'avais jamais été du genre à kiffer les gars. Mais s'ils se démerdaient aussi bien que ces femmes.. Arf. J'sais pas non plus ce qui me poussait à une telle curiosité, mais fallait que je comprenne. ça m'intriguait. Une fille aussi belle qu'elle, à Tortuga, ça pouvait se faire démonter tous les soirs sans soucis aucun. « Quelque chose capable de soulager un peu ta main..? » J'esquissai un sourire en coin, tandis que mon regard tout juste rouvert se plantai sans honte aucune dans son décolleté. Ouais, des nibards pareils, ça méritait mieux.

rollrollrollroll. Lorsque la bouteille dévale les planches de bois qui forment notre sol, je ne cherche même plus à savoir si elle est vide, ou non. L'amarre avait été jetée dans l'océan tempétueux et alcoolisé de ses yeux, mon souffle chaud s'écrasant contre sa peau dans de fins soupires. Je ne sais pas ce que nous avions, ce soir, mais le jeu prenait une tournure différente de l'ordinaire. Ses doigts sur ma peau me firent frémir, de surprise mais aussi d'intérêt. Sa respiration s'écoulant contre mon menton, son décolleté offert à ma vue vagabonde.. comme quoi ? « Comme qui. » Corrigeai-je. Je me moquai soudainement bien des quelques mollusques qu'elle avait pu monter, quoi qu'elle en dise quant à leurs capacités, leurs aptitudes. Lorsque j'avais bu, il y avait des limites à ne pas outrepasser. Hors, j'avais moi même mis un pied dehors et tendu la perche. Mes mains se posèrent sans une once d'hésitation sur sa taille divinement sculptée, et d'un geste brusque, je la rapprochai de mon corps exténué. Mes dents vinrent remplacer les siennes, jouant lentement avec sa lèvre inférieure, la malmenant à force de tirer en douceur. Je la relâchai ensuite et la repoussai en riant, masquant mon propre étonnement derrière cet éclat joyeux. « Suffit de regarder autour de toi, tu trouveras bien quelque chose de plaisant. »

A vrai dire, je ne trouvai ça ni désagréable, ni dérangeant. Voilà l'origine sincère de mon étonnement, de ma stupeur. Non pas que je ressente un quelconque désir, une quelconque attirance pour cette femme, du moins, pas plus qu'en tant que camarade. Les baisers, les mordillons, ne sont pas une preuve d'affection. Ils ne font que partie intégrante d'un jeu de séduction et de provocation auquel je m'adonnais bien souvent, nullement apeuré d'en essuyer le contrecoup. La sentir se tendre sous mes mains, se crisper sous mes doigts, étira mes lèvres en un sourire en coin narquois. Je l'impressionnais, avait-elle honte, peur ? Était-elle gênée ? Ceci n'était guère étonnant venant d'une femme qui ne fréquente que les chatons de bonne famille.. Toutefois, je ne m'attendais pas à être entraîné dans sa chute et, mon cerveau fonctionnant au ralentit sous le flot d'alcool, j'effectuais mes quelques pas trop tard. Mon corps sur le sien, son rire, provoquèrent le mien, et ce malgré l'inconfort de la position. « En même temps, avec eux, si tu chutais.. ce ne serait jamais de haut. » M'empressais-je de lui faire remarquer. La laissant me repousser pour adopter une position plutôt indécente, j'arquai un sourcil sous la surprise. C'était quoi, ça ? « Ahah ! » J'éclatais de rire, pris d'une bouffée de chaleur subite. L'alcool. « Tu fous quoi dans cette position, cochonne ? » Je pouffai et me relevai, époussetant mes nouvelles fringues achetée à la dernière escale sur l'île la plus commerciale du monde maritime. Amusé, je me dirigeai vers elle et.. m'assis, sans plus de mesure, sur son dos exposé, une jambe de chaque côté. Evidemment, j'y mettais pas tout mon poids, mais mon état d'ébriété profond me poussai à tapoter sa tête comme un animal. « Brave petite. »

Lorsqu'elle eut saisi la nouvelle bouteille, un soupire de satisfaction, mais aussi de soulagement quant au ravitaillement prochain de notre organisme en alcool, quitta mes lèvres. La prenant pour assise, sans y mettre mon poids que je supportais de mes jambes au sol, je tapotai sa tête. Toutefois, au fil des secondes, mes doigts se glissèrent dans ses cheveux, effleurèrent sa nuque, dévalèrent ses omoplates.. Jusqu'à ce qu'elle se redresse et me fasse perdre l'équilibre. M'écrasant au sol, sur les fesses, je portai à mes lèvres une main afin d'en essuyer le sang qui perlait. Surpris, j'avais enfoncé ma canine dans ma chaire sous la chute. Rien de grave, ni même de douloureux. Juste un goût désagréable. Je soufflai. « Tu pourrais prévenir au moins. » Heureusement, elle sut se faire pardonner. Je souris, satisfait, et la laissai m'abreuver comme un enfant à qui on aurait donné le biberon, ne déclinant la bouteille qu'après quelques gorgées, laissant le liquide s'écouler sur les planches de bois. Je sais très bien que, demain, nous regretterons cette soirée par un mâle de crâne affreux. En attendant, pris d'une joie d'origine inconnue, je me mis à rire allègrement, et la rapprochai de moi en posant ma main sur sa nuque. « C'est qui, ton capitaine préféré, hmmm~ ? » On pouvait pas concrètement élire de capitaine entre nous. Mais j'étais l'homme, et ce titre me revenait de ce simple fait. Une question murmuré à son oreille entre soupires et rires.