En l'observant de loin on ne se doute pas du tout que Tara aime la philosophie. Et pas qu'un peu, assez pour caresser le rêve fou de devenir philosophe. Oui rien que ça. Bon d'accord on croit souvent à une blague quand elle le dit et pourtant elle est toujours la première à arriver devant la salle. Enfin quand elle n'a pas dormi de la nuit, c'est facile d'arriver avant les autres. Quand on la voit arriver à la fac à moitié défoncée on se dit qu'elle va aller en cours pour faire acte de présence et dormir debout. Pas faux. Sauf quand il s'agit du cours de philo ; la c'est une autre histoire. A peine arrivée dans le couloir, elle lâche son sac au sol et s'appuie contre un mur. Puis elle fouille dans ses poches à la recherche de petites pilules blanches qu'elle avale discrètement. Merci Kan. Officiellement des médicaments, officieusement une bonne dose de vitamines pour tenir. Carrément une autre histoire. Prête à affronter cette matinée elle se recoiffe vite fait, réajuste sa tenue et s'avance vers un petit groupe d'étudiants qu'elle a déjà vu en soirée. Elle discute vite fait, et voilà qu'on n'entend déjà qu'elle et ses vulgarités. Et aussi son portable qui s'écrase encore une fois sur le sol. Adepte aux chutes comme sa propriétaire. En le ramassant elle voit un jeune homme lire quelque chose. Elle s'avance vers lui, trop attentive au prof plus qu'à ses camarades, elle s'imagine qu'ils sont en cours ensemble. « Bordel ! Deux dissert' à faire en quatre jours, il abuse. A tous les coups il va nous rajouter un commentaire. » Soupir. C'est pas vraiment le travail à faire qui la dérange, c'est surtout que niveau soirée elle va moins assurée. « T'as commencé toi ? » Sourire amical envers un inconnu qui en fait n'est même pas en cinquième année.

Assis par terre, un livre dans une main et la tête dans l'autre, Hui Liang attendait que le prof de philo arrive pour commencer le cours. Ça faisait déjà un moment qu'il attendait, comme d'habitude. En général ça ne le dérangeait pas, il restait planté devant la porte à attendre, laissant son esprit vagabonder et voguer sur les flots de ses pensées. Mais c'était différent aujourd'hui, il avait une migraine atroce. Il aurait préféré pouvoir rester chez lui, à se reposer tranquillement et se droguer de médicaments, mais l'idée de louper un de ses cours favoris l'avait tellement angoissé qu'il s'était finalement décidé à venir. C'est débile, c'est Hui Liang. Avachi au sol, il essayait d'oublier sa douleur cérébrale en détournant son attention sur son bouquin. Mais c'était presque impossible avec tout le bruit qui régnait dans le couloir. Hui Liang leva les yeux pour se rendre compte que tout le vacarme n'était le fruit que d'une seule personne. Une fille, qu'il n'avait encore jamais vu. Retournant calmement à sa lecture, le bruit sourd d'un objet tombant au sol le fit sursauter. Bruit suivi d'une voix qui semblait toute proche. Levant de nouveau un regard intrigué sur la jeune femme, Hui Liang l'écouta se plaindre. « C'est à moi que tu parles ? » Visiblement oui, puisqu'elle lui posait maintenant une question. « J'ai rien commencé, vu qu'il n'y a rien à faire. » Les yeux plissés, un léger sourire apparaissant sur ses lèvres, Hui Liang cru comprendre ce qu'il était en train de se passer. Mais habité par une soudaine envie de taquiner quelqu'un, il continua sur sa lancée. « Je suis pas au courant, c'est quoi le sujet ? C'est à rendre pour quand ? Oh putain, si je rends pas tous les travaux, ils ont dis que je serais viré et je serais obligé de retourner dans mon pays ! Je veux pas y retourner !! » Eh ouais, il était en train de simuler une crise d'angoisse. Avec le souffle court, les yeux grands ouverts -enfin, autant qu'il le pouvait, faut pas oublier que c'est un asiatique- et une mine affolée sur le visage. Sa migraine le faisait tellement chier qu'il fallait qu'il passe ses nerfs sur quelqu'un. En proie à un fou rire intérieur, il fixa l'inconnue et lui attrapa le bras « Pas les rizières.. ! »

Trop d'énergie de bon matin et juste pour un cours de philo, non plutôt pour le cours de philo. Faut bien qu'il y ait autre chose dans la vie que les soirées pour motiver Tara. D'ailleurs la voilà un peu trop motivée, bon les petites pilules font surtout déjà effet. Dommage suffit pas de dire 'philosophie' pour effacer les effets secondaires de la fête de la veille. Voix qui résonne dans le couloir, portable qui tombe et on entend un Ah Tara est là. On change pas les bonnes habitudes. Et on change encore moins l'habitude d'aller parler à des inconnus. Sauf que la le but n'est pas vraiment de faire connaissance parce qu'elle croit déjà le connaître. Bah quoi ? Les asiatiques se ressemblent tous, non ? D'accord étant arrivée en Corée à l'âge de trois ans elle a définitivement pas d'excuse. Elle lui demande s'il a commencé ce que sa classe doit rendre. 'Rien à faire.' «T'es sérieux ? J'ai arrêté de compter le nombre de fois ou il l'a répété. » Le tout dit sur un ton étonné. Cette phrase aurait dû suffire à lui faire comprendre son erreur, mais non absolument pas. Foncer droit dans le mur. Vraiment étonnée par la réponse suivante, c'est la surprise totale sur son visage. La elle se demande ce qu'il se passe, en mode wtf il parle de quoi là ? C'est quoi son délire ? L'incompréhension totale dans ses yeux, bravo elle sait plus quoi répondre. Et puis il a pas l'air au meilleur de sa forme, elle se demande si elle doit s'inquiéter. « T'as réussi à m'embrouiller là. » Elle se passe une main dans les cheveux, essaye de reprendre ses esprits.  « T'as genre jusqu'à lundi ... » Elle n'a pas le temps de finir sa phrase qu'elle se fait attraper le bras. Esprits retrouvés. « Toi aussi t'as des problèmes d'immigration ?! » Finalement, toujours la tête ailleurs. Toi aussi ? Comme si elle en avait ou connaissait quelqu'un qui en avait. Puis demi moment de lucidité. Elle attrape son bras pour qu'il la lâche. « Tu te fou de moi en fait ? » Changement d'attitude, air sérieux, ton grave. « T'as déjà fini et tu me fais une pseudo crise c'est ça ? » Nouveau sourire, rappelons le demi moment, elle calcule qu'on se paye sa tête mais calcule toujours pas son erreur.

Hui Liang l'écoutait pas vraiment parler, il la regardait juste s'emmêler les pinceaux et tenter tant bien que mal de l'aider. Elle était pas méchante, il regrettait presque de lui avoir tendu un piège, presque. Elle était tellement à fond dans son délire et dans son petit monde que s'en était mignon. Cette fille était intrigante, elle attisait sa curiosité. Pourquoi ? Il suffisait de regarder son visage pour comprendre : il exprimait tellement de choses, comme pour donner des images aux paroles qui sortaient de sa bouche. Hui Liang fut sorti de sa rêverie quand elle attrapa son bras, il la tenait toujours par le poignet. Incrédule, il l'a regardé sans vraiment comprendre. Elle avait réussi, au bout d'un petit moment certes, à piger qu'il se foutait de sa gueule mais elle ne se posait toujours pas de question sur lui ? Elle pensait donc vraiment le connaître, l'avoir déjà vu ? Elle lui souriait, comme si elle était fière d'avoir compris, de l'avoir débusqué. S'en était trop pour lui, trop pour son pauvre cerveau malade qui lui criait du repos. Il enfouit sa tête dans ses mains et se mit à pouffer comme un débile. Après quelques secondes pour tenter d'étouffer son hilarité, il finit par la regarder droit dans les yeux et lui éclaircir un peu la voie. « T'as toujours rien compris hein... ? » Question rhétorique, il savait déjà la réponse. Arborant un grand sourire, il étendit les jambes et se craqua tranquillement les articulations de ses bras, endoloris après être rester trop longtemps assis. « Je crois que tu t'es plantée de cours. C'est les 4ème années là, donc soit t'es au-dessus soit en-dessous parce que j't'ai jamais vu avant. » Il laissa son regard glisser sur la jeune fille de haut en bas. « Et crois moi, mais c'est pas souvent qu'on voit des occidentaux ici ! » Il se releva tant bien que mal en grognant, comme un vieux, et passa une main dans ses cheveux tandis que l'autre allait tout droit gratter sa nuque alors qu'il baillait. « Oh ! J'suis Hui Liang en fait. Si Hui Liang. » Même malade, on oublie pas un semblant de politesse.

Il y a quelque chose qui ne va pas là et Tara tente tant bien que mal de savoir quoi. Pas très perspicace, elle aurait peut être dû dormir un peu. Toujours l'idée qu'ils sont en même année dans la tête et c'est une déferlante d'émotions sur son visage. Émotions toutes plus contraires les unes que les autres. Ou est l'erreur ? Poser des questions pour trouver, mais certainement pas les bonnes. Il enfouit sa tête dans ses mains la prenant une nouvelle fois au dépourvu. Wait. Il fait quoi là, il rigole ou ? Tara détourne le regard, ne sachant pas comment réagir en attendant qu'il fasse ou dise quelque chose. Elle se dit que la tout de suite la meilleure chose à faire c'est d'arrêter de parler. Elle le voit faire un mouvement, le regarde à nouveau. 'Rien compris' c'est exactement ça et en plus ça le fait sourire. Elle fronce les sourcils, l'observant bouger sans rien dire. La brune avait envie de répliquer mais l'idée de s'enfoncer encore un peu plus la plongeait une nouvelle fois dans le silence. Heureusement pour elle il reprit la parole et lui expliqua. La sauvant en quelque sorte. L'erreur, elle est là ! Encore un silence, mais un sourire se dessine sur son visage et se transforme en rire. « Je crois que maintenant tu vas plus m'oublier.» Elle reprends son sérieux « La cinquième année qui connaît toujours pas sa classe. Inoubliable. » Son sérieux ? Enfin plus ou moins. « Eeh mais en fait t'es tout jeune ! » Principe numéro un de la journée : si t'es une année en dessous c'est que t'es forcément moins âgé. Ne pas chercher de logique. Tara le regarde se lever et se présente à son tour en souriant. « Enchantée ! » Un brin enthousiaste. « Moi c'est Rey Tara. » Après s'être présentée, elle s'avance vers lui et pose doucement sa main sur son front. « Mais ... tu te sens bien ? » Maintenant que la situation est plus claire elle peut s'inquiéter non ?

J'ai envie de lui parler mais je sais pas quoi lui dire … Oh mais pourquoi se prendre la tête ? Suffit d'utiliser l'approche façon Tara inventée à peine arrivée. Salut t'as fait ta dissert' ? c'est pas grave si on est pas dans la même classe dis moi quand même où t'en es. Mais pour mieux coller à l'approche Tara c'est quand même d'aller voir un inconnu jamais vraiment vu. Bon c'est vrai il y a des conséquences : s'enfoncer royalement. 24 ans ? D'accord se planter en beauté. « Oui on l'est encore … bon un peu moins qu'à 22. » Wahou, phrase super LO-GI-QUE. Mais c'est surtout qu'en plein milieu de sa phrase Tara a réalisé qu'elle s'était encore trompée. « Je dis ça parce que j'ai 22 ... » mais t'avais sans doute compris rajoute t-elle d'une voix presque inaudible. Habituée d'agir avec n'importe qui comme si elle le connaissait depuis dix ans elle pose sa main sur le front chaud du coréen. Oups c'est vrai qu'on est en Corée, bon c'est pas qu'elle la oublié mais n'y prête attention qu'après avoir agit. Sans bouger et la mine inquiète elle le regarde avant de baisser sa main quelques secondes plus tard. « Se serait con ! » Lâche t-elle avec un petit sourire amical. Elle recule discrètement pendant qu'il récupère son sac mettant ses mains dans ses poches. Un rire face à sa phrase qu'elle détourne. « Pardon, je suis en plein délire aujourd'hui mais je t'assure que … je suis presque tout le temps comme ça en fait. » Elle rit à sa propre bêtise. Peut être que ses mots allaient effrayer l'étudiant mais autant qu'il soit prévenu non ? Et comme si elle ne pouvait pas s'arrêter de rire elle se remet à rire après la proposition de Hui Liang. Rien de moqueur, rien de méchant, mais entre elle qui était dans son délire et lui avec ses justifications maladroites il y a de quoi rire. « Je peux pas dire non à un gars qui vient en philo' même s'il est malade. » Il a réussit à la supporter, il lui fait bonne impression, aucune raison de refuser. Toujours les mains dans ses poches elle commence à fouiller et cherche son portable évite de le faire tomber, évite de le faire tomber « Juste un truc, tu voudrais pas me passer ton numéro ? Je sais qu'on se connaît pas mais je suis pas du genre à traîner sur les bancs de la fac. » Mais du genre à sélectionner les matières et pas qu'un peu. « Si tu veux pas on se débrouillera, signaux de fumées, pigeons voyageurs c'est pas les possibilités qui manquent ! » Quoi qu'un sms est quand même plus efficace non ?

Quelle chance d'être tombée sur un coréen aussi sympa. Il a eu tellement d'occasions pour lui dire d'aller voir ailleurs et pourtant il ne l'a pas fait. Et le tout en étant malade. Et il lui propose même de la revoir. Chose qu'elle ne peux évidemment pas refuser. Si avec le temps il finissent par devenir amis, le souvenir de leur rencontre les fera sûrement rire. Enfin surtout elle, elle a beau parler à n'importe qui c'est quand même le genre de scène improbable qu'on oublie pas de si tôt. Tara lui demande son numéro, oui déjà. Mais c'est plus pratique et Hui Liang ne le nie pas. Elle lui tend son portable et récupère le sien au passage. Signaux de fumée, elle sourit à l'idée en s'imaginant la scène en tête. L'imagination n'a pas de limites. Elle rentre son numéro tout en imaginant de la fumée au milieu du campus. Normal. Puis rend le téléphone au propriétaire qu'elle ne peut pas s'empêcher de fixer. Faut pas croire qu'il fait quelque chose d'extraordinaire vu qu'il est juste en train de prendre des médicaments. Mais venir dans cet état pour Tara ça relève de l'exploit. « J'avoue ! » Bien con, en plus de ça ils auraient moins de chance de se revoir. Pas sûr qu'elle soit capable d'un exploit comme ça elle. Bon c'est bien beau de discuter mais le temps passe et les cours sont toujours là pour tout gâcher. Sauf le cour de philo, mais quand même. « Hâte de te revoir au meilleur de ta forme ! » La brune lui rend son sourire, récupère son sac et fait demi tour aussi. Sa classe aussi est en train de rentrer. Elle soupire. C'est parti. Comme on dit, quand faut y aller, faut y aller. La voix de sa nouvelle connaissance la sort de ses pensées. Elle remercie d'un simple geste de la tête accompagné d'un sourire. Elle va en avoir besoin de chance.