La nuit tombée sur le pays, j'en profitai pour souffler. Les journées étaient crevantes, le rythme était soutenu, bien que l'on ne s'en rende pas forcément compte dans le vif de l'action. Visiter et paraître comme le parfait touriste venu comme une fleur, je veux bien, mais rajoutez un Nam Kyu Bok et un Ik Jun en chaleur devant les mono-bikini -okay c'est pas les seuls, hm-, c'était comme tirer sur la laisse de chiens en rute pour les empêcher d'aller renifler les derrières. J'exagère à peine. Heureusement qu'on ne passe pas tout le séjour ensemble -et ils doivent se dire la même chose- sinon je serais épuisé avant la fin de la semaine. Je m'étirai rapidement et me tournai pour enfoncer mon ventre dans le sable cette fois, lézardant sous le clair de lune. Je ne comptais plus les heures que j'avais passé à la plage à profiter du tapage en provenance du bar à cocktails. J'avais simplement envie de ne rien foutre, carrément envie même. La serviette sous mon ventre avait été froissée, roulée en boule, et j'avais même la flemme de me relever pour la remettre en place, comme si bouger allait me lacérer les membres. Pouah, si ça c'était pas de la flemme haut niveau.. Bercé par le clapotis des vagues, je me surpris à penser à Perséphone en soupirant. La vie ne devait pas être facile. Pour tout dire, je ne comprenais pas ce qu'elle foutait à Rio. Cela devait relever du supplice, comme quotidien. J'attrapai mon portable dans un ultime effort et me chargeai de lui envoyer un message. Aish.. J'avais pas vraiment envie qu'elle soit seule et qu'elle ne puisse pas profiter des bienfaits de Rio de Janeiro.

tenue ▬ Écouteurs enfoncés dans les oreilles, assise en tailleur sur le lit, je regardais les photos prises au cours des derniers jours. La musique tapant à fond dans mes tempes, je n’entends pas ce que les autres font, je n’ai même pas remarqué que Bok et Ik Jun étaient partis à vrai dire. Beaucoup de clichés de Jin Hyun et Areum occupent l’album que j’ai créé pour ce voyage. Il y aura peu de retouches à faire, je suis satisfaite. Je me demande si mon amie survit dans sa chambre. Message. En temps normal, j’aurais refusé. En temps normal je n’aurais même pas répondu. Mais le nom affiché sur mon téléphone doit avoir un effet particulier, pour que mes doigts aient déjà composé une réponse et appuyé sur « envoyer ». Je retire mes écouteurs et ferme mon ordinateur portable. Ça ne peut pas faire de mal. Troquant le large t-shirt piqué à Bok, le remplaçant par un haut très ouvert au niveau du dos –sans compter le fait qu’on voit parfaitement mon scorpion tatoué sur mes côtes-, j’enfile mes sandales, et prends mon sac. J’envoie un message à Ari pour savoir si elle est dans sa chambre, mais ce n’est pas le cas. Ça attendra alors.

Repérant le lieu annoncé par Tao, je peux l’apercevoir allongé sur le sable. Je ne me plains pas, j’aime profiter de la plage la nuit, de toute manière, c’est à ce moment que je trouve le paysage agréable. Sandales dans la main, j’arrive à son niveau. « bonsoir.. » Je souris. Rio ne dort jamais on dirait.

Le sable est encore chaud, la musique est encore là, les rires ne s'estompent pas. Rio n'a pas bougé, seul le ciel a foncé, le soleil s'est éclaté en millier d'étoiles. Le vent est chaud, agréable et faible, et le tout accroît mon envie de rester étendu sur cette plage. Pourtant, Perséphone arrive, et quand bien même le lieu ne prête pas à la perfection supposée du Jeopardize, je ne pus m'empêcher d'agir. Je me relevai, attrapai la serviette pour l'étendre à nouveau après l'avoir débarrassée du sable, et arrangeai mes clés, mes bouteilles de bière et mes lunettes de façon à ce que cela ne paraisse pas bordélique. C'était con, vraiment, mais quelque chose me poussait à toujours donner le meilleur de moi-même pour Persy, même dans ce genre de détails. Elle est une princesse, après tout, elle mérite au moins ça de ma part. Je me rallongeai, sur le dos, tenu légèrement sur-élevé sur les coudes. Je me serai grillé une clope avec plaisir à l'instant, fait chier. Un sourire étira mes lèvres lorsque je pus distinguer sa silhouette féline. Me remettant sur pieds une fois de plus, je m'inclinai rapidement avec respect. Bonsoir ! Enjoué, un rire cristallin mais bref quitta ma gorge. Qui était le plus heureux à l'idée de passer une soirée agréable ? Elle, qui pouvait enfin souffler, ou moi, enchanté de pouvoir lui faire plaisir ? Tu dois être mieux, comme ça, tu dois avoir moins chaud. Sa tenue est la première chose qui m'a tapé à l’œil. J'étais rassuré, au fond, mais aussi perturbé de me découvrir si attentionné.

▬ Passant une mèche de cheveux derrière mon oreille, mon sourire s’agrandit. J’aime pas, j’aime pas quand il s’incline devant moi. Mais j’aime bien, j’aime bien quand il me rappelle que je suis une princesse. Avec lui, ce statut prend un sens presque féérique. Quand c’est Tao, j’ai l’impression d’être une bonne princesse, une princesse dans le contexte dans lequel on l’entend normalement. Pas ce que je suis dans le fond. Si j’ai accepté de venir à Rio, c’est juste pour me séparer un peu plus de ce qui me tracasse. Me sentir un peu plus normale. Je commence à m’y faire, je commence à aimer. Il faut donc continuer sur la lancée. Son rire me met à l’aise. Il y a encore du monde sur la plage, mais personne ne regarde. J’aime cette ambiance. « La chaleur n’est pas le problème… Juste le soleil.. et oui c’est… bien mieux comme ça ! » Je pose mon sac sur le sable, ainsi que mes sandales, me permettant de m’assoir en tailleur d’un côté de sa serviette. La musique me met de bonne humeur, je bouge légèrement la tête en suivant le rythme. « Tu as passé la journée ici ? »

Je m'assis à mon tour sur la serviette, les genoux repliés. La tête tournée vers elle. Je lui devais beaucoup de choses, à Perséphone. J'avais ce sentiment de devoir la combler pour pouvoir me soulager d'un peu de ma dette. Elle m'avait écouté cette nuit-là, lors du camping. Elle n'avait rien dit et, au fond, ça m'avait aidé. Je crois que j'avais besoin d'en parler, de me décharger un peu de mon mal-être à quelqu'un. Je suis venu dans l'après-midi, ouais.. Depuis je fais le mort. Je souris rapidement, détaillant discrètement sa tenue me semblant pour le coup anormale. Anormale mais jolie, hn. Je n'avais jamais fait attention comme ça à son tatouage. Conscient que j'étais peut-être insistant, je redressai la tête. honnêtement, ça me fait plaisir que tu sois venue. Je me mordis la lèvre inférieure, embarrassé. J'ai pris l'habitude de pas mal te voir ces derniers temps, il faut dire. Entre l'attaque des verts, la contre-attaque des Jeopardize, les soirées passées en petit comité avec le reste du groupe, mais aussi l'attribution des chambres. Tentant de détourner la conversation, je tournai la tête vers le bar. Tu veux boire quelque chose ?

▬

J'ai du prendre un coup de soleil.. Sûrement. Je reste jamais aussi longtemps, mais j'avais vraiment pas envie de rentrer. Disons que cela me plaisait tout autant de passer le temps avec les deux bleus que seul. Besoin de souffler, parfois, pour mieux repartir. Peut-être que j'ai choppé de rougeurs qui se voient ? Aïe.. Ou peut-être, avec de la chance, j'ai simplement bronzé, même si j'en doute. Ma peau ne fonce presque jamais. Tu parles de Soo Ah, et Ari ? Parfois, je me demande si je ne sors pas de ces phrases toutes faites. Mais j'ai du mal à mettre des mots sur le fond de ma pensée, et je suis extrêmement pudique vis-à-vis de mes émotions et de mes sentiments. .. Ouais, pour le coup on se connait tous plus ou moins depuis un moment. Mais je pense qu'on a jamais été aussi efficaces qu'avec toi, comme si on attendait que ça. C'est simplement vrai. Depuis que Persy est là, c'est comme si nous n'étions plus quatre mais un, une nouvelle cohérence s'est établie. Je plongeai mon visage vers le paquet pour saisir entre mes lèvres une tige qui dépasse, attrapant en même temps mon briquet d'une main. Oui, si tu veux. Je fermai les yeux, bercé par le clapotis des vagues. Je n'avais plus rien à dire, et c'en était gênant, mais je n'avais pas pour habitude de débattre des heures, tout au contraire. Et j'aurais pu m'en contenter, de ce silence, si je ne me sentais pas embarrassé de l'avoir fait venir pour ça. Tu faisais quoi avant de venir, là ? Je comptais finir ma clope avant d'aller commander à boire.

▬ Je hausse les épaules, il aura mal demain et ce serait drôle au matin quand il ira sous la douche si jamais il a pris un coup de soleil. Hochant la tête, je me mords l’intérieur de la lèvre. « Soo Ah, Areum, Jin Hyun… je n’ai pas l’intention de connaître toutes les têtes de la fraternité… celles-ci me suffisent largement… » Et puis, j’en connais d’autres, que je n’aime pas, que je trouve vides, que je trouve tout simplement débiles. Les sœur Ko, ou la présidente par exemple. Je ne m’attendais pas à ce que ça vole haut, mais, je ne pensais pas que ce serait si bas pour le coup. La cigarette entre mes lèvres, je le regarde parler. Il y a de la lumière sur le côté, qui se reflète sur sa joue, et qui change de couleur. Je ne réponds pas au compliment, du moins, je suppose que c’en était un. Je ne sais pas quoi y répondre de toute manière. Mais, ça fait du bien d’entendre ce genre de mots. D’entendre que l’on appartient à quelque chose, que l’on trouve sa place.

Le silence ne me gêne pas. Il m’aide à me concentrer sur ce que je vois. Glissant à nouveau ma main dans mon sac, j’en tire mon appareil photo, que j’allume rapidement. Braquant l’objectif sur lui, j’immortalise le moment où la lumière est bleue sur sa peau. Un jour je vais me manger des droits d’image à faire ça. Mais je m’en fiche pas mal. Je regarde le résultat sur l’écran du gros appareil, tenant ma cigarette entre mes doigts. « Ça… je regardais les photos que j’ai prises… depuis qu’on est arrivé et puis vu que… dumb et dumber n’étaient pas là… j’ai pu me reposer un moment tranquille. » Je lève à nouveau l’objectif et prends une photo de l’horizon. J’aime ce que je vois.

Je me tendis soudainement en entendant le nom de Jin Hyun, par automatisme. Mon corps se contracta tel qu'il semblait rejeter par tous ses pores ne serait-ce que l'entende ce ce prénom. Je déteste Jin.. Ou alors je l'adore, et il m'a fait mal. Ou l'inverse. Ou qu'en sais-je, je suis perdu. Peut-être sommes nous si diamétralement opposés que l'on ne se supporte pas, que l'on ne se supportera jamais. Ou alors, à l'inverse, nous sommes si semblables que nous ne pourrons jamais nous sentir en sécurité lorsque l'autre rôde à côté. Sans parler du fait qu'en une fraction de secondes, il a capturé le coeur d'une femme que je m'évertue à conquérir depuis longtemps maintenant, et pour ça, il mérite au moins son propre rejet via ma personne. J'en sais rien, et je ne veux pas savoir, je ne veux plus avoir à me prendre la tête sur ça. Je me mordis le coin des lèvres, détournant le regard une nouvelle fois vers le bar ambiancé. Peu à peu, au fil des secondes et presque instantanément même, mon corps se détend. Elle n'a pas fait exprès, et ne peut pas savoir que le Jeopardize me met dans tous mes états. Le flash me sort de mes rêveries au moment où je la fixe à nouveau, et je manque de sursauter, sûrement immortalisé dans une expression surprise. Ah.. Je massai ma nuque, gêné, et expirai une nouvelle nappe blanchâtre hors de ma gorge. Kyu Bok et le babouin sont sortis ? Je pensais qu'ils seraient plutôt restés pour répartir les meufs qu'ils tenteront de pécho demain. Je raclai ma gorge. J'aimais bien me bidonner en pensant à toutes les petites habitudes de Groku et du babouin en question, mais souvent ça s'arrêtait vite quand je songeait que, bien souvent, j'étais dans le lot. Tu as une idée de ce que tu veux ? Comme ça, je vais chercher les verres et je reviens te rejoindre. Je passai ma main dans ses cheveux rapidement pour la rapprocher de moi et déposai un baiser sur son crâne. Je m'y habituais, à ces petits gestes rares mais bien présents.

Spoiler:

▬ Ah c’est vrai. Areum m’en avait parlé. Jin Hyun et Tao Jun ne se supportent pas. Je ne connais pas le début de l’histoire, je n’en connais pas la source, mais, il est vrai que je suis au courant de certains détails actuels. Cependant, je préfère me focaliser sur le cliché à mon écran plutôt qu’à leur relation. D’ailleurs, ma meilleure amie, où est-elle ? J’espère juste ne pas devoir aller la récupérer au commissariat demain… Appuyant sur l’écran tactile de mon appareil photo, j’ajuste la luminosité du cliché. Tao a une expression neutre sur la photo, seuls ses yeux ont eu le temps d’être surpris. On distingue à peine les personnes en arrière plan ; j’aime le rendu. « Je pense que l’effet IkJun doit être le même que sur moi : il fait peur. » dis-je d’une traite. J’ai l’habitude de Bok, je sais comment il marche. Enfin, je l’ai cerné. Et aussi bêtes soient-ils l’un et l’autre, j’ai l’impression que Ikjun est encore plus pervers et lourd que Kyu Bok. Je ne pensais pas que cela serait possible d’ailleurs… « Cela dit… au vu des standards dans ce pays.. il serait encore possible qu’ils repartent… en ayant vidé leurs bourses… » je fronce le nez et ris. Je n’y crois pas trop dans le fond. « Mmh.. oui, mais je sais pas prononcer le nom… » Je pose mon appareil sur la serviette, et écrase mon mégot plus loin, sortant mon téléphone pour lui montrer le nom du cocktail que j’ai noté plus tôt dans la journée. « J’ai déjà goûté les trois sortes de Caipirinha… et je veux ça maintenant… » Batida de Coco, je ne suis pas sûre de savoir le lire, et encore moins de le prononcer, mais je sais que c’est à base de rhum et lait de coco, c’est tout ce qui me suffit. Je souris, et lorsqu’il se lève, je sens mes joues prendre feu. Je ne m’y fais toujours pas. De la part des autres, ça me rend folle, je crains presque ce genre de gestes ; mais, pas avec lui.

Ah.. Ouais, enfin. J'ai même pas envie d'y penser, erk. Un frisson me prit. Quoique.. Si les deux avaient leurs chances, j'en avais une aussi, nan ? Bon. Ik Jun reste Ik Jun, et Bokal reste un Groku. Je n'avais pas envie plus que ça de m'étendre sur le sujet, paradoxalement, puisque c'était moi qui cherchait à les lancer en ultime quête de conversation. Je suis pas beaucoup plus avancé que toi au niveau de la langue, ici. J'entourai mes genoux d'un bras en les ramenant contre moi, et tendis l'autre bras pour saisir avec délicatesse le téléphone tendu afin d'y déchiffrer le nom. Il me semblait déjà en avoir entendu parler, mais je n'avais jamais consommé, me cantonnant aux mojitos et piñas coladas depuis un moment. Je reviens vite. Pourquoi ce besoin d'user toujours des mêmes mots à tord ? J'étais incapable de revenir vite, la foule s'amassait derrière le comptoir. Pourtant j'ai souri et je me suis éclipsé, ne cessant de tourner et retourner le nom du cocktail dans ma tête de peur d'oublier de quoi il s'agissait. J'ai pensé un instant qu'elle avait rougi, mais ce sont les lumières changeantes du bar qui m'ont dupé. De toutes façons, Perséphone n'est pas de ce genre. Tout comme Shûji. Parfois l'impression de faire face à des automates picote ma nuque, mais je sais en faire abstraction en me rappelant de leurs rires. Tout compte fait, j'avais eu une bonne idée. Ça n'était jamais déplaisant de passer un peu de temps avec la nippone, et puis ça avait au moins le mérite d'être calme, de me rendre calme. Une fois sur place, je constate avec dépit que les serveurs sont surbookés et que j'en aurais au moins pour cinq longues minutes d'attente, chose insoutenable dans le cas présent. Saisissant mon portable, je pris soin d'avertir la jeune femme. « Cest long dsl ya du monde ».

▬ Le voir se concentrer sur le téléphone, voyant ses lèvres bouger sans son, afin de retenir le nom du produit. On me fait souvent la remarque, pour ne pas dire le reproche, d’avoir tendance à m’extasier et être touchée par des choses qui sont courantes aux yeux des autres. Je me fiche de passer pour une débile dans ces cas là. Cela ne fait que peu de temps que j’apprends à vivre comme n’importe qui d’autre ; et je n’ai pas envie de m’habituer aux petites choses qui me réchauffent le cœur. Mains sur les joues, je me rends bien compte qu’elles sont en feu. Je n’aime pas rougir. C’est une réaction beaucoup trop révélatrice de ce qu’il se passe dans ma tête. Ramenant mes genoux contre ma poitrine, j’y cale mon visage pour en cacher mon menton, mes cheveux retombant le long de mes joues. Reviens vite… Mon portable sonne. Oh… « Je vais tremper les pieds dans l’eau en attendant. » Rangeant l’engin, et prenant mon appareil photo, n’ayant rien d’autre de valeur dans mon sac –mis à part le sac lui-même mais enfin. Hésitante, je marche un peu plus loin dans le sable mouillé, et une petite vague couvre mes chevilles ; l’eau est tiède. Je m’enfonce jusque sentir l’eau au milieu de mes mollets, et je me tourne pour surveiller les affaires restées sur le sable. La vue est magnifique, quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Mon flash se lance une fois de plus, et l’image de la plage animée par les touristes s’immortalise dans ma carte mémoire. Ah, je vois Tao revenir, verres en main, je devrais en faire de même.

La musique d'ambiance aurait pu me faire sourire. Les conversations des gens auraient pu éveiller ma curiosité. Les alcools servis auraient pu me mettre en appétit. Le bar, en lui même, aurait pu me pousser à rester. Mais, étrangement, je n'en ressentais aucune envie, et nourrissait même une forme d'envie inégalable de reprendre ma place sur le sable encore chaud, bercé par le clapotis léger des vagues, échangeant quelques futiles paroles avec la jaune. Nous n'avions pas grand chose à nous dire au final, mais je m'accrochais à l'idée, peut-être non partagée, que ce rien faisait déjà beaucoup. Je me sentais bien, quand elle était là. Comme si.. comme si je n'avais plus à faire semblant, en fait. Depuis l'autre nuit, depuis que les masques s'étaient fissurés, je me sentais plus confiant. Je ne cherchais pas à savoir ce qui la rendait si mal, si malade de la vie, tout comme elle n'avait jamais demandé ce qui me mettait dans des états pareils. Le savait-elle, l'avait-elle deviné ? Je n'en doutais pas, mais elle avait le respect de ne pas en parler. Et pourtant, à la manière dont nous agissions, c'était tout comme si le soleil avait percé la neige, et je m'en satisfaisais. J'avais surestimé le temps d'attente, et revins vers la serviette avec les deux boissons en mains. Je m'assis le plus délicatement possible afin de ne pas renverser les verres, et les posai avant de faire signe à Perséphone, laquelle m'ayant sans doute déjà aperçu. Lorsqu'elle revint, j'affichai un sourire et tapotai la laissai s'asseoir pour ensuite lui confier ce qu'elle avait réclamé. J'espère que c'est ça, hm ? Je portai mon verre à mes lèvres, frémissant au passage chaud de l'alcool dans ma gorge. Voilà des heures que je rêvais d'un bon mojito -on ne change pas les équipes qui gagnent. J'aurais voulu ouvrir la bouche pour parler, encore, combler le silence, mais je n'avais simplement rien à dire. Tout me semblait si futile avec elle. Alors, en attendant, je la détaillais avec une once de fierté, me congratulant pour avoir réussi à la faire sortir de notre chambre.

▬ Revenant vers le sable, je manque de tomber dans l’eau. Et ça fait mal. J’ai marché sur quelque chose de pointu, j’ignore si c’est une roche ou quelque chose d’autre, mais j’espère juste ne pas avoir de plaie au pied. Je tente de ne pas appuyer sur la douleur, et m’assois à nouveau sur la serviette, le sable ayant collé à ma peau humide. Je pose ce que j’ai dans les mains, tendant les jambes, ne voulant pas voir ce que j’ai, préférant me focaliser sur la boisson qu’il me tend. Je souris en retour, goûtant au cocktail. C’est doux, c’est sucré, et je suis sûre que c’est traitre, parce que je ne sens absolument pas l’alcool. « C’est super bon… » gardant la paille entre mes lèvres, j’allume l’écran de mon appareil photo, voulant lui montrer les clichés que je viens de prendre en étant au loin. Tournant la tête vers lui, je croise son regard directement posé sur moi. « Pourquoi tu me regardes ainsi ? » C’est fou, je ne me suis pas entendue le dire, mais, je l’ai dit. La spontanéité est quelque chose à laquelle je m’adapte, surtout en sa présence. Ce n’est pas évident, de ne pas se contrôler, de ne pas se surveiller, de ne pas se censurer parfois. Mais… mentir n’est pas mon fort, et camoufler les choses n’aurait aucun sens avec Tao Jun. Je fronce le nez, curieuse, amusée, et tourne l’écran de mon jouet préféré vers lui, le lui tendant. « Dis moi ce que t’en penses… » La série de clichés qu’il allait voir, alternait entre l’ambiance sur la plage ce soir, et les expressions sur le visage du jeune homme. On n’en s’en rend pas compte, mais, lorsque l’on suppose que personne ne nous regarde, lorsque l’on se dit « enfin, eux ils ne me connaissent pas », on peut refléter bien plus que ce que l’on laisse paraître au quotidien. De l’inquiétude, des doutes, de la curiosité, de la lassitude. On laisse tomber le masque que l’on enfile chaque matin pour convenir à la société.

Le bruit d’aspiration dans un verre vide me fait regarder mon verre. Je repose le verre en faisant une moue. J’ai déjà fini ?

Je ne sais jamais pourquoi je continue de jouer, de tenter le diable. A chaque gorgée, l'alcool me brûle la gorge et me monte à la tête comme si c'était la première fois, mais je sais que c'est éphémère et que les soirées Tsebe m'ont formaté de telle sorte que je tiens bien la boisson, en général. Contrairement à la drogue en général que j'ai tendance à fréquenter plus assidûment depuis peu, et que je ne supporte toujours pas le moins du monde. Je sais pas. J'haussai les épaules et détournai le regard. Je la fixai parce que son ouverture ce soir, ses mots et ses sourires étaient comme une récompense précieuse, je la fixai parce que je me demandais comment des personnes pouvaient ne pas prendre soin de ces merveilles du quotidien, et je la fixai parce que j'avais conscience d'avoir les pensées assez floues pour dire des choses pareilles quand elle était aussi humaine que ce soir. Mais je n'avais pas vraiment l'envie de lui dire, vraiment pas. Délicatement, j'attrapai un bord de l'appareil photo pour le ramener vers moi tandis qu'elle se refusait à lâcher l'autre. Je n'étais pas un grand amateur d'arts, et si j'avais eu quelques cours particuliers de peinture plus jeune, rien de mes souvenirs ne me permettait d'apprécier à leur juste valeur les photos et apprécier leur éclat particulier. Encore, mon poignet me permet de lever le verre à mes lèvres, de recommencer ce schéma qui commence par la saveur, la vive brûlure, et qui se termine en un soupire d'aise. Elles sont jolies, j'aime beaucoup. Je ne pouvais pas comprendre leur particularité, mais ne crachais pas dessus pour autant, sincèrement appréciateur de ces choses pourtant banales à mes yeux. Ah.. Tu en veux un autre ? Le bruit d'une paille aspirant l'air m'a fait poser les yeux sur son verre, et j'ai ris. J'ai ris devant sa bouille et la surprise dans son regard. Tu devrais faire a.. nan, rien, j'ai rien dis. J'haussai les épaules, encore, et finis mon propre verre d'une traite. J'pouvais pas lui demander de faire attention, étant donné que je n'avais aucune envie de le faire moi-même. Persy, j'peux te prendre.. Je me raclai la gorge, ma voix abîmée par le mojito, afin de reprendre plus clairement. Je peux te taxer une clope ?

▬ « mmh… sôka… » dis-je simplement. Pourtant ses yeux disent le contraire. Ses yeux montrent qu’ils savent. Tant de temps à rester dans l’ombre, à ne pas dire mot dans ma vie, à ne pas bouger et analyser les situations, m’avait quand même donné une certaine aptitude à deviner les choses sur les visages d’autrui. Je soupire. Je n’aime pas parler en réalité. J’aime bien ne pas avoir à ouvrir la bouche, ne pas avoir à articuler et que l’on me comprenne quand même. C’est le cas avec Shûji, avec Kazuya… Areum commence à s’y faire aussi… mais ce n’est pas une généralité, tout le monde ne peut pas saisir ce que mes gestes indiquent et traduisent. Je ne commente pas d’avantage les photos qu’il vient de voir. « Si je les utilise pour mon travail… ça te gênerait ? » il valait mieux éviter les litiges quant au droit à l’image après tout…

J’acquiesce vivement en lui tendant mon verre. Bien sûr que j’en veux un autre. Et je ne veux pas que ça d’ailleurs. J’acquiesce une seconde fois, et je lui tends mon paquet de clopes ouvert afin qu’il se serve. J’ai soif, tant, que je ne relève même pas sa formulation maladroite. « Tu… pourrais demander à… ce qu’ils chargent un peu plus mon… verre en alcool s’il te plait ? » rajoutai-je en lui tendant mon zippo. Typiquement japonaise que je suis, je ne suis pas ivre que mes joues prennent déjà de la couleur. Je peux résister très bien à l’alcool. Quand j’ai mangé et dormi. Or, je n’ai rempli aucune des deux conditions. De mon sac, je tire ma pochette noire ; mon kit de survie comme de destruction. L’ouvrant à peine, je sors une feuille slim, et de l’herbe. Le temps qu’il revienne avec les boissons, moi je serai certainement déjà en train de savourer cette marie jeanne sud américaine. La consommation de cannabis est aussi illégale que la vente ou la culture dans ce pays. Mais, nous sommes au Brésil ; tout s’achète. Je roule en vitesse, regardant néanmoins autour pour assurer la zone. Je ne risque rien. Je commence à me sentir joyeuse..