Une boule au ventre. J’ignore pourquoi j’avais une boule au ventre. Comme si j’avais un mauvais pressentiment. Garant ma moto, quittant mon casque, l’enfilant à mon bras alors que j’ébouriffe mes cheveux pour leur redonner de la forme, je regarde le batiment face à moi et je me demande encore ce qu’Areum a à me dire. Elle est stressante la phrase « il faut que je te parle », quelle que soit la façon dont celle-ci est énoncée. Ça fait tout simplement flipper.

Descendant de ma bécane, j’y accroche le cadenas, même si je doute que le quartier craigne, et me dirige à la porte. Je l’avoue, je fais un effort surhumain pour ne pas trembler des genoux. Ai-je fait quelque chose de travers ? Et puis, pourquoi je stresse ? Je n’ai rien à me reprocher, je n’ai rien fait de mal, tout devrait aller bien, non ? Mon doigt se pose sur la sonnette, et elle retentit. Voyons ce qu’elle va me dire. Franchement, je me torture les neurones, mais je ne trouve aucune réponse plausible à mon interrogation. Vit-elle toute seule dans cet appart ? J’en doute. La porte s’ouvre, et je souris faiblement, mon visage montre rarement mes réelles émotions de toute manière.

J’entre et retire ma veste, posant mon casque, et me défais de mes bottes. Areum a l’air de réfléchir longuement à ses mots ; est-ce si important que cela ? Je m’assois à côté d’elle, croisant les jambes, mains posées sur mon genou et la regarde, écoutant sans l’interrompre. Apparemment, ça pèse sur son cœur. Elle prend ma main dans la sienne, et, pour une fois, je commence à ressentir de l’empathie. Je commence à sentir le cœur lourd, comme si ses émotions s’étaient calquées sur moi. Et c’est nouveau. « Unnie… tu… commences à me faire peur… » Je parle tout bas, je n’ai pas pour habitude de parler fort de toute manière. Je n’ai pas l’habitude de parler tout court et puis. J’apprécie sa sincérité. Réellement.

Ça va vite. Ça va très vite. Et surtout elle parle très vite quand même. J’ai du mal à comprendre ce qu’elle dit. Non pas par la langue, mais par le fond de la chose. En fait, il y a plus masochiste que moi. En fait, il y a encore plus niais, stupide, ou fou que moi. J’ignore quel qualificatif correspondrait le mieux. Areum est encore plus malsaine que moi.

En temps normal, je suis polie. La preuve, j’ai du mal à faire abstraction des suffixes de politesse. Comme « unnie ». C’est très ancré en moi le système de la hiérarchie. Cela dit, non, je ne prends pas le temps de demander si je peux fumer, je sors directement mon paquet de cigarettes de ma poche et m’en allume une à l’aide de mon collier-zippo. Il faudrait que je le nomme, parce qu’il est chiant de décrire ce que c’est qu’à chaque fois. Je tire une longue latte, et l’écoute. Elle m’a demandé de le faire gentiment, alors, je le fais. Et putain, elle est tarée. Au moins aussi tarée que moi.

Je garde silence encore quelques instants après sa tirade, la regardant. Je la détaille sans gêne, je la fixe d’un œil curieux. Je fais souvent ça. Les gens me fascinent. Les relations des gens me fascinent. Et c’mon moyen à moi d’essayer de comprendre et réaliser les choses. Une nouvelle bouffée de nicotine traverse mes lèvres, et je penche légèrement la tête sur le côté. « A vrai dire… ça ne me fait ni chaud ni froid… c’est un chien de la casse… et nous des meufs qui avons juste perdu notre temps… je n’aime pas dire que tu es « victime », parce que t’as rien fait contre ton gré, mais, je crois qu’on est assez grande maintenant… pour se dire si ce type, ou n’importe quel autre d’ailleurs, et bon pour soi ou pas… ma foi, si cette excuse d’homme te plaît, je ne te jugerai pas là-dessus, je pense cependant être en mesure de dire qu’il ne te traînera pas sur la bonne voie unnie. Voilà. » Je hausse les épaules. Putain. Je le prends mieux que ce que je pensais en fait.

Je réalise que nous sommes pareilles dans le fond. Nous sommes similaires. Nous sommes semblables. Nous n’avons certainement pas le même passé, mais nous avons la même façon de nous tenir. Cela dit, je pense qu’Areum est juste perdue pour le moment. Elle expérimente, elle cherche à échapper de quelque chose. Moi au contraire, je ne connais juste rien à la vie et je reste dans ce que je connais. C’est pour ça que j’ai tenu le coup malgré Jaeduk, c’pour ça que je suis restée avec lui ; parce que je n’ai connu que détachement et violence. Areum, je suis convaincue qu’elle n’a cherché qu’à se mettre une sorte de claque. Même inconsciemment. Moi j’apprends à avancer, et elle, elle devrait chercher des solutions. La chose qu’il nous manque ? Du courage. Voilà tout.

Je passe mes pieds sous mes fesses, assise sur les genoux sur ce canapé. Je la regarde. « Ce n’est pas de la force qu’il faut… C’est un peu de réflexion. » tournant la tête, je repère le cendrier et l’amène sur mes genoux, y déposant les cendres de ma cigarette. « Avoir Jaeduk sous la main, ou plutôt, avoir Jaeduk dessus ne va pas aider à ce que ça aille mieux avec Jin-oppa, tu t’en rends compte ? » Je hausse doucement les épaules, me grattant le bras nerveusement. « Parce que même s’ils ne se connaissent pas, tu penseras à « et que dira Jaeduk de ça ? », tu as pris Jaeduk parce que tu n’as pas cherché plus loin. Tu t’es vue seule, tu as cru que tu ne valais pas assez, tu as cru que Jaeduk était déjà plus que ce que tu pourrais avoir. Mais c’faux. Et je pense parler en connaissance de cause unnie… » Je me suis un peu perdue dans mon argument, mais, Areum ne me connait pas encore assez. Avec Shûji et Kazuya, je communique par les gestes et le regard. Avec les amis que je me suis fait, je suis obligée d’utiliser la parole.

Ecrasant ma cigarette dans le cendrier, je la regarde toujours parler. Je vois bien que c’est dur pour elle. Mais, je l’envie, parce qu’elle a le courage de se confier sur ce qui la fait mal. Quand est-ce que je pourrai le faire moi aussi ? Quand est-ce que je pourrai dire clairement pourquoi je me suis foutue dans la merde la tête la première avec Jaeduk ? Quand pourrai-je expliquer pourquoi je parle peu, pourquoi je dis rien sur moi ? Quand est-ce que je déciderai de révéler à tous mon vrai prénom ? « Alors vaut mieux laisser tomber tout de suite si c’est ton ami… » Et je sais de quoi je parle encore une fois. Avec Shûji on avait essayé, et ça n’avait pas marché, mais on avait quand même insisté, et il ne faut pas, il ne faut pas essayer de faire rentrer la pièce carrée dans la fente triangulaire, ça ne sert à rien.

« Je sais qu’il peut être calme et adorable. Mais. Je ne trouve pas que le prix à payer pour ça, pour voir cette facette de lui soit juste. » être humiliée, trompée, insultée, sans compter les innombrables disputes… pourquoi respecter un type qui ne te respecte pas ? Il faut arrêter de se détruire comme ça. Je soupire, regardant nos mains liées. « Je suis peut-être plus jeune que toi unnie, mais crois moi, tu dois arrêter de te faire du mal.. tu vas devenir comme moi sinon… »


Aussi étonnant que cela puisse paraître, je la prends dans mes bras. Moi qui n’aime pas être touchée, moi qui ne fais confiance à personne, moi qui n’ai pas de chaleur à donner. Je ne dirai rien. Ce n’est pas à moi de le faire de toute façon.

Faisons en sorte de passer une bonne soirée pour oublier tout ça.