Son regard l'avait troublé : elle n'avait su être discrète. Elle s'était égarée sur sa musculature omniprésente tout en restant fine et agréable, et s'il n'avait pas relevé immédiatement, Young Ja avouait qu'il avait ressenti ce coup de chaud propre à l'intérêt. Ainsi, pour le jour J, il s'était permis de pousser la taquinerie jusqu'à porter un de ces fameux hauts qu'elle lui avait conseillé autrefois, mettant en valeur son corps. Celui-là même qui découvrait ses bras et épousait les formes de son torse et de ses abdominaux. Les bras ainsi à nus, il laissait l'occasion à la jeune étudiante de constater qu'il n'avait pas tant changé ces dernières années, et qu'il portait toujours les bracelets brésiliens qu'ils s'offraient à chaque anniversaire. Mais là n'était pas le sujet, et c'est ce dont il se rappela, détournant le regard de ses poignets jusqu'à la pochette qu'il remplit de cours spécialement ajustés au niveau de la belle. Il avait été dur de réajuster le niveau en le revoyant très à la baisse, mais si cela lui laissait l'occasion de converser dans un cadre plus calme avec l'étudiante, il n'avait pas hésité longtemps. Il avait été jusqu'à les lui imposer ses cours et.. Finalement, tout compte fait, n'était pas certain du calme des choses, et redoutait les retrouvailles, une boule au ventre.

Malheureusement il ne put repousser davantage les choses. Ou tout heureusement, car Young Ja était un homme complexe ne sachant que rarement ce qu'il voulait. Lorsqu'il descendit de sa voiture, ce ne fut que pour trouver le logement de son ancienne collègue et frapper à sa porte. Il se savait en danger, en terrain inconnu et, qui plus est, ciblé. Il sentait ce malaise qu'elle dégageait lorsqu'elle lui ouvrit, que leurs regards tombèrent l'un dans l'autre. Il serra les doigts autour de sa pochette et pinça les lèvres, ne se départissant pas de son attitude sérieuse qui, somme toutes, pouvait le rendre plus hautain et distant qu'autre chose. « Bonsoir. » Il était mal, et s'il ne faisait pas tant d'effort pour lutter contre sa timidité, M-den se serait enfui au galop. Il se félicitait également de s'être rappelé de prendre ses cachets : dans le cas contraire, sans doute aurait-il fait un malaise. Qu'importe elle.. Elle appréciait son torse non ? Quel était le rapport, il l'ignorait, mais lui donnait la force de rester stoïque face à elle.

Ces cours. Il avait insisté. Encore et encore. Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus y échapper. Et là voilà donc, qui, en pyjama, devant sa télé, ne s'en inquiétait pas réellement pour autant. Elle n'était vêtue que d'une petite robe, dont elle ne se souvenait plus vraiment de la provenance. Quelqu'un la lui avait offerte ? Mais qui ? Elle peinait à se souvenir. Si elle avait oublié leur rendez-vous ? Non, ce serait mentir. Simplement, elle tentait de ne pas y penser pour ne pas se torturer l'esprit. Elle tentait de ne pas encore y penser, comme elle l'avait pourtant fait durant le reste de la semaine. C'était... Stressant. Si elle avait évité pendant si longtemps de se rendre à ses cours, c'était pour ne pas avoir à le voir, pour ne pas se remémorer le passé malgré elle. Et pourtant... Et pourtant... Voilà qu'il allait l'y forcer. Quatre soirs par semaine, qui plus est. Elle ne le comprenait pas. Elle ne comprenait tout simplement.

On finit par sonner. Et, elle sut immédiatement qu'il s'agissait alors de lui. Son sang ne fit alors qu'un tour. A vrai dire, rien que l'idée de devoir passer une heure entière en sa compagnie lui serrait le cœur. En fin de compte, des cours en classe auraient été meilleurs, non ? C'est ce à quoi elle pensait actuellement. Mais c'était trop tard. Il n'y avait plus de retour en arrière possible. Prenant sur elle, et tentant de paraître la plus neutre possible, comme elle avait réussi à le faire plus ou moins bien quelques jours plutôt lorsqu'il avait demandé à la voir, elle alla donc ouvrir la porte. Et... En fin du compte, elle eut bien du mal à rester neutre, à ne pas réagir. Pourquoi ? Parce ce genre de haut, c'était exactement le genre de haut qu'elle lui avait sans cesse conseillé de mettre dans le passé, afin de mettre en valeur sa musculature. Et sa musculature en était clairement mise en valeur, d'ailleurs. Mais le pire... Le pire, c'était les bracelets. Elle ne pouvait faire comme si elle ne les avait pas remarqués. Car elle les voyait, c'était ainsi. Se moquait-il d'elle ? Après tout ce qui était arrivé, il osait encore les porter ? Elle déglutit, puis lui lança un rapide « Bonsoir. » à son tour avant de lui faire signe d'entrer. Cela n'avait rien à voir avec leurs rencontres dans le passé... Habituellement, elle lui sautait dessus, lui sautait dans les bras, le couvrait de baisers... Et pourtant là, ils ne faisaient que s'échanger quelques formules de politesse. Si étrange, après tant d'années. Bref, elle lui indiqua un siège, autour de la table, avant de se rendre dans la cuisine pour ensuite ramener quelques boissons. Et de s'asseoir à son tour, le visage fermé. « Bon... Une heure. Pas une minute de plus. »

Il se souvenait, une fois, qu'une jeune femme du public s'était levée pour demander de vive voix si sa relation avec Sul Li était telle qu'elle était décrite sur Soompi. Il avait pâli, la timidité et la gêne avait teinté ses joues, et c'est en riant qu'il avait répondu que la Maknae et lui étaient simplement de très bons amis. M-den se souvenait, également, que lorsqu'il avait lu à voix haute sa destinée sur le papier du biscuit de la chance, qui lui prédisait un avenir radieux avec deux enfants et une femme, Dong Yul, le danseur principal, avait rit. Tous l'avaient chambré au sujet de la femme, tous hormis Tae Yang évidemment. Et, si, par le passé, il aurait du décrire la relation future qu'il s'imaginait entretenir avec elle, il n'aurait sûrement pas employé les mots « distance », « froid » et « regret ». Les sueurs froides l’inondaient. Young Ja en venait finalement à regretter son choix vestimentaire qui laissait ses bras en proie à la soudaine fraîcheur. Celle-là même qui régnait entre eux. Oh oui, il aurait aimé s'en protéger. Et alors qu'il passa par la porte, il se demanda où étaient passées ces étreintes à s'en briser les os, à s'en rompre la nuque.

Il s'assit donc à la place qu'elle lui indiquait, et posa sa pochette sur la table. En attendant qu'elle ne revienne, il pianota un instant sur ses cuisses du bout des doigts : un moyen nullement efficace pour se débarrasser d'un stress omniprésent. Lorsqu'elle revint, il esquissa un sourire poli et la remercia, mais déchanta rapidement.Une heure. Pas une minute de plus. Les conditions étaient fixées. Après tout, c'était le deal. « Tant que les 4h y sont, chacun y trouve son compte. Toi aussi, à ta façon. Quand tu décrocheras ton diplôme, tu me remercieras. » Sans doute y trouvait-il plus son compte qu'elle. Il décrocha son regard charbonneux du visage de porcelaine de sa protégée d’antan pour le plonger sur sa pochette, et les feuilles qu'il en retira. Une écriture maladroite mais droite, un début de partition griffonné dans un coin, voilà ce qui caractérisait chacune de celles-ci. Il ne pouvait s'en empêcher : il était musicien dans l'âme. « Si tu me disais ce sur quoi tu bloques ? Enfin.. Sauf si c'est plus court pour toi de me dire ce dont tu te rappelles bien sûr. » Ce rire, franc, joyeux et pourtant tout en retenue : voilà une nouvelle chose qui n'avait jamais changé chez Young Ja. Il se moquait ouvertement d'elle, mais il s'agissait ici d'une façon de se détendre. Il étendit ses jambes sous la table et décida d'oublier un instant ses écrits pour le faire au feeling.

Décrocher son diplôme. Encore ce diplôme. Elle s'en fichait, du diplôme, c'est ce qu'il ne semblait visiblement pas comprendre. Non, vraiment, elle n'en avait rien à faire du diplôme. Elle ne comptait pas travailler dans ce domaine de toute manière. La philosophie ? Très peu pour elle. L'histoire ? Pareil. Devenir prof ? Hors de question. Sa passion était et resterait la danse. Tout ou rien. Sûrement que son diplôme, si par miracle elle venait à le décrocher un jour, alors il ne ferait que pourrir dans le fond d'un placard, rien de plus. Elle ne l'utiliserait pas, n'en ferait rien. Ce n'est pas pour rien qu'elle lui disait qu'il perdait son temps. Il le perdait réellement avec elle. Elle n'avait ni la motivation, ni l'envie. Ni l'envie d'étudier, ni l'envie d'être dans la même pièce que lui. Et s'il trouvait la force de sourire, ce n'était pas son cas. Elle ne voyait et ne pensait qu'aux bracelets. Qu'aux bracelets qui étaient à son poignet. Elle les avait fait. Elle les lui avait offert. Pourquoi les gardait-il encore ? Pourquoi les mettait-il en sachant qu'il allait la voir ? Une provocation ? Car c'est ainsi qu'elle ressentait la chose. Son cœur ne cessait de se serrer à cause de tous les souvenirs que cela lui remémorait. Voilà pourquoi elle fuyait tant ses cours. Pour ne pas être confrontée à des événements qu'elle avait tout fait pour enfouir au plus profond de son être.

Elle était silencieuse, ne disait rien, et le fixait simplement. Même sa blague sur son niveau ne la fit pas rire. Et puis, pourquoi se moquait-il d'elle d'ailleurs, encore une fois ? N'était-il pas un professeur ? Ce n'était pas la première fois qu'il le faisait. Mais, puisqu'il voulait tant savoir sur quoi elle bloquait... Elle finit par briser son silence, et par lui répondre. « Les bracelets. Voilà sur quoi je bloque. » qu'elle finit par lancer, en les désignant du regard, avant de tendre la main. « Pourrais-je récupérer mes bracelets, monsieur Baek ? Je me souviens de les avoir fait, et je souhaiterais les récupérer maintenant. »

Ces bracelets, il n'avait jamais osé s'en débarrasser. Était-ce parce qu'ils représentaient le dernier lien entre le passé et le présent, entre elle et lui ? Ou alors, simplement, parce que l'on ne jette pas un cadeau, un présent, surtout aussi symbolique ? Il ne pouvait le dire : sans doute que la vérité se dispatchait à part égale entre ces deux options, car à de nombreuses reprises il avait souhaité les brûler. Son regard sombre ne cessait de multiplier les allés et retours furtifs et rapide, passant de son visage pâle et parfait, tel une sculpture à même le marbre, à la variété de bracelets colorés qui transformait son puissant poignet d'adulte en celui d'un enfant masqué sous les bijoux aux couleurs vives. « Pourquoi ? » Voilà qu'instinctivement, Young Ja venait de rabattre son poignet vers lui, et avait jalousement posé sa deuxième main sur les anciens présents de la jeune femme à son attention. Pourquoi voulait-elle les reprendre, quel intérêt ? Pourquoi bloquait-elle dessus, que pouvait-elle bien penser ? M-den pouvait concevoir qu'elle soit surprise de l'actuel port de ces cercles colorés, mais pour rien au monde il ne s'en séparerait. « Parlons de choses sérieuses mademoiselle Ahn, vous aviez dit une minute, et pas une de plus. Je suis en mesure de poser ma requête : ceci n'équivaut que pour le temps de révisions, ainsi chaque minute perdue est rattrapée voyez-vous. Je vous conseille de lever les yeux, et de vous mettre au travail. »

Qu'il était étrange, de la vouvoyer ! Pensait-il, chaque fois qu'il ouvrait la bouche pour s'adresser à elle. Qu'il était étrange, aussi, de s'octroyer d'étranges droits lui rappelant sans cesse sa condition inférieure d'élève. Gêné par ceci, il massa sa nuque. Young Ja se racla la gorge et, l'espace de quelques phrases, clarifia la situation marchande de ses objets fétiches : « Vous pouvez oublier cette idée. Un cadeau est un cadeau, ils sont en ma possession et à mon nom. » Pour prouver ses dires, il retourna son poignet pour montrer les nœuds de chaque bracelets : il avait été de leur coutume de toujours inscrire le prénom de l'autre, dans une écriture différente chaque année. Elle ne pouvait lui demander une telle chose. Il se racla la gorge et plongea son poignet sous la table, pinçant à nouveau ses lèvres en adoptant une attitude glaciale singulière. D'un regard presque méprisant, il reposa sa question : « Alors, où se situent vos difficultés majeures ? » Il avait appris à se protéger en agressant les autres, c'était ainsi lorsqu'il se sentait acculé. Cela n'avait rien de personnel, Young Ja se sentait simplement en danger. S'il n'avait été là, ne l'avait pas vue changer, elle non plus n'avait pu observer sa métamorphose du premier rang. Il fallait que les choses rentrent dans sa tête : il était professeur, elle était une élève, et ne voulait plus le voir de surcroit. Ils n'avaient plus grand chose en commun.

A vrai dire, le voir les porter la déstabilisait. La poussait à penser par moments que peut-être n'était-il pas aussi horrible qu'elle se forçait à le penser, que peut-être l'appréciait-t-il réellement après tout. Et... Elle ne voulait pas avoir ce genre de pensées en tête. Pas même un seul instant. Voilà pourquoi elle tenait tant et voulait tant récupérer ces bracelets. Comme pour pouvoir enfin détruire l'un des rares liens qui les rattachait tous les deux au passé. Qui les rattachait surtout l'un à l'autre. Elle clamait qu'elle avait tourné la page, mais elle n'y était guère arrivée. Ces présents ne faisaient que lui rappeler cette triste réalité. Elle déglutit, en détournant le regard, n'arrivant plus à se concentrer sur autre chose. Voilà que maintenant, il lui rappelait qu'ils n'avaient qu'une heure et que chaque minute de « hors-cours » ne serait pas comptée dans cette heure-ci. Et qu'il dictait ses règles. Il ne faisait que ça depuis le départ. Dicter des règles, et les forcer à les suivre. Même ce cours, elle ne l'avait pas demandé, avait tenté de le fuir, et il était celui qui l'avait forcée à avoir des cours particuliers, des heures supplémentaires... Or, elle jugeait que maintenant, c'était à son tour de poser des clauses du contrat. Ses bracelets. Un cadeau est un cadeau. Mais si elle était revenue sur sa décision, hein ? Si elle ne souhaitait plus les lui offrir ? Ils lui avaient appartenu tout aussi bien à elle qu'à lui, car ELLE les avait faits. Bref, pour Sul Li, toute excuse était bonne afin d'essayer de l'en déposséder. Mais, ce qui donna le coup de sifflet, et l'impulsion de ce qui allait suivre... Ce fut son regard. Un regard froid. Terriblement froid. Voire méprisant. Qui n'avait strictement rien à voir avec Young Ja. Avec le Young Ja qu'elle avait connu. Et ces bracelets, elle les avait offerts à l'ancien Young Ja, non pas à celui qui était actuellement face à elle. Sans prononcer un mot, elle le fusilla du regard un instant avant de se lever et d'aller devant lui, prenant son bras de ses mains et tentant de le tirer de sous la table afin de désespérément tenter de lui retirer ces fameux bracelets. « RENDS-LES MOI ! TOUT DE SUITE ! » Elle n'avait pas réussi à tenir le coup. L'image de ces bracelets à son poignet la mettait dans tous ses états. Au point même qu'elle en ait oublié de le vouvoyer alors qu'elle ne faisait que ça, d'habitude.

Il était étrangement dur de s'en douter lorsque l'on posait son regard sur l'homme qu'il était aujourd'hui, mais encore à l'instant présent, le professeur gardait un amer souvenir de toutes ces pertes passées, et restait, et sans doute le resterait-il toujours, un homme blessé. Bien évidemment, il s'en était remis, mais garderait toujours une forme de remord et de nostalgie en songeant à tout ce qu'il aurait pu faire. Voilà pourquoi l'homme refusait de se séparer des multiples bracelets brésiliens qui faisaient ressembler ses bras à ceux des enfants : si rien n'était là pour lui rappeler Sul Li au quotidien, qui se souviendrait pour lui ? Il avait peur d'oublier définitivement cette partie de sa vie, et comme on protégerait un être important, Young Ja protégeait de sa main sur son autre bras ses rêves, ses amis, ses amours et ses souvenirs passés. Et tout l'Or du monde ne saurait l'en dissuader. Rien n'était plus précieux, à ses yeux, que ces bribes de souvenirs qui lui restaient, bien que le temps faisait son affaire et qu'il ne sut plus exactement s'il n'en avait pas inventé certains de toutes pièces.

Son doux regard givré ne s'était jamais voulu méprisant, ses pupilles charbonneuses n'avaient jamais désiré imposer une telle distance morale entre eux, et dans cet océan de gel, une étincelle la suppliait assidûment de cesser de le fixer ainsi, et de revenir à ses côtés. Et Young Ja ne sut s'il s'agissait d'une récompense dûment méritée ou d'un châtiment divin pour avoir trop prié Dieu, mais lorsqu'elle se leva, que ses doigts fins s'enroulèrent autour de son bras, un long frisson délectable le força à relever la tête vers elle. S'il baignait dans l'incompréhension la plus totale, il n'était pas mécontent de sa situation. Ses yeux glissèrent sur son teint pâle pour s'arrêter à la teinte aride de ces joues empourprées par la colère, et voilà qu'il se sentit soudain d'inspiration à décrire sa beauté divine en quelques lignes travaillées. Jamais Young Ja ne s'était senti succomber.

Succomber, ou tomber, qu'importe le sens littéral qu'il en découlait, puisqu'à tant mettre d'ardeur à conserver ces ornements à son poignet, et elle, à tant s'impliquer à l'en déposséder, voilà que son poids musclé vint les entraîner. La chaise frémit, frémit à s'en renverser, et l'enseignant, d'un mouvement de contre-balancier, sombra contre toute attente en avant, là où la Maknae avait plus tôt désiré l'entraîner à force de tirer.

Lorsqu'il r'ouvrit les yeux qu'il avait tantôt fermés pour, instinctivement, échapper au choc, il sut qu'il venait de faire la plus grosse erreur de sa vie : le visage de la femme sous le sien, trop proche pour sa santé, puisqu'il sentait aussitôt son cœur s'emballer. Il s'empourpra, mais ne pensa pas à se relever, préférant plutôt se confondre en excuses, les avants-bras posés de chaque côté de sa nuque gracile : « J'suis désolée Sul Li ! Aigoo.. Je veux dire Mademoiselle Ahn. Je.. Ah, vous voulez vos bracelets ? Tient, prends-les! » Tant de maladresse face à ses yeux qui n'en décoléraient, il défit l'attache du premier bracelet du bout de ses dents blanches, toujours penché sur elle.

Elle le détestait. Elle le haïssait. Elle espérait que plus jamais ils ne se rencontreraient. Qu'il partirait, loin, très loin d'ici, et que plus jamais ils ne se verraient. Basta, terminé. … Mensonges. En réalité, Young Ja lui manquait, il lui manquait terriblement. Son Oppa lui manquait terriblement, et c'est la raison pour laquelle elle tentait tant de garder ses distances. Garder ses distances, pour ne pas succomber. Pour ne pas lui pardonner, et risquer peut-être de souffrir une nouvelle fois. Or, elle avait eu beau tenter de l'éviter, rien n'y faisait. Il était encore et toujours là. Partout où elle allait. Elle avait séché ses cours, le voilà qui lui en donnait à domicile. Qu'était-elle censée faire, au juste ? Toutes ses actions étaient constamment réduites à néant. Et plus elle avait l'impression d'arriver à avancer, à tourner la page, plus on lui mettait sous le nez des indices qui la ramenaient à la triste réalité. Ces bracelets. Elle se souvient encore de la manière dont elle lui avait offert chacun d'eux, de la manière dont elle les lui avait offerts. Ses sourires, leurs étreintes. Elle se souvenait de tout. Lui craignait de perdre ses souvenirs. Elle ne rêvait que de tout oublier. Elle avait naïvement cru y être arrivé, mais ces bracelets lui avaient alors prouvé qu'il n'en était rien.

Perdant son sang-froid, ce sang-froid qu'elle avait tenté de garder tout ce temps, se forçant à paraître neutre, à paraître détachée... Elle finit par se lever, et par se ruer sur lui, tentant de lui arracher les fameux bracelets. Sans grand succès. Pire, ils finirent par basculer. Et lorsqu'elle rouvrit les yeux, une fois le choc de la chute passée... Son regard rencontra le sien, alors que leur souffle se mêlaient à leur tour. Il n'était qu'à quelques centimètres de son visage. Et, elle n'avait pas eu une telle proximité avec lui depuis... Des années. Alors qu'il se confondait en excuses, elle se contentait de le fixer, comme sous le choc. Puis, lorsqu'elle le vit détacher le bracelet, une première larme coula. Ainsi qu'une seconde. Une troisième, une quatrième... Et il fallut peu de temps pour que ses joues rosies soient finalement baignées dans les larmes, alors qu'elle reprenait enfin la parole. Son expression ? Un mélange d'incompréhension, de tristesse, de désarroi... Elle se sentait prise au piège. Elle se sentait au bord du gouffre, et ne savait plus comment en sortir. « Pourquoi me faire ça à moi, au juste ? Hein, pourquoi à moi ? Qu'est-ce que je t'ai fait ? J'ai toujours été sincère avec toi, j'ai passé des journées même à te faire ces bracelets, un à un... Et aujourd'hui, tu reviens et tu t'amuses à remuer le couteau dans la plaie, à me rappeler ce qui s'est passé il y a deux ans plus tôt. Tu agis comme un inconnu, tu agis comme un prof, mais tu envoies constamment des messages en rapport avec le passé...  Si c'est me faire du mal que tu voulais, alors t'as atteint ton but. T'es content maintenant ? Satisfait ? » Elle peinait à parler, ne cessant de hoqueter à cause des sanglots qui lui nouaient la gorge. Non, elle n'avait rien, rien oublié.

S'il n'avait pas pris ses cachets plus tôt dans la soirée, M-den aurait juré qu'une nouvelle crise était à la source de ces battements de cœur intempestifs et incontrôlés. Son souffle rendu irrégulier par la peur de la chute de tantôt effleurait la peau de la jeune femme par la proximité, et son regard ne sut se rediriger ailleurs qu'en ses pupilles envoûtantes. Et tandis qu'il lui tendait le premier bracelet défait, peu à peu, ses dents s'enfoncèrent dans sa lèvre inférieure : Young Ja était un homme faible, et voir celle qu'il avait tant affectionné fondre en larme le retournait, lui, son cœur, son intestin et ses tripes. Elle n'était pas la première qu'il mettait dans cet état en un court laps de temps. Pourquoi fallait-il que les personnes les plus importantes de son existence se « sentent repoussées » comme le disait Areum ? « Sul Li ! » Il avait crié, comme pour couvrir l'acier perçant de ses mots s'enfonçant dans ses tympans, pour ne plus avoir à l'entendre, pour ne plus être blessé par cette odieuse vérité. Néanmoins, l'idole était, est, et resterait sans doute toujours un homme altruiste, compatissant et d'une telle douceur, d'une telle sensibilité et sincérité, que toutes les peines de la femme le prirent à la gorge.

Son corps tout d'abord fut parcouru d'un second frisson qui hérissèrent les poils sur sa peau, avant que cette dernière ne soit prise de tremblement involontaires mais conséquents. Son être tout entier vibrait sous la douleur, et bientôt, toutes les barrières sombrèrent. Il cessa de jouer l'homme dur, méprisant. L'iceberg vivant. Il cessa de la toiser de haut tout en la détaillant d'un regard de braise. Il cessa d'être le professeur et elle l'élève. « Je suis... » Tout comme elle, sa gorge se serrait, l'empêchant peu à peu de s'exprimer. Sa main droite agrippa la courte robe de Sul Li au niveau de ses côtes pour la froisser de ses doigts, tandis que son souffle se rapprocha lentement de son cou, jusqu'à ce que ses lèvres soient à quelques millimètres de son épiderme. « Je suis tellement désolé ! » Il était sincèrement désolé. S'il pouvait mourir aujourd'hui, c'est sans hésiter qu'il se coucherait sur les rails à condition que cela ôte tous ses regrets et annihile la douleur de sa Dongsaeng. Cependant, le choix ne lui était pas laissé, et la honte, les remords et la colère qu'il ressentait à son égards le firent craquer en cette honteuse position : le visage enfoui dans son cou, Young Ja fit tressaillir ses épaules jusqu'à finalement s'immobiliser totalement, retenant son souffle, quelques larmes téméraires s'échappant de ses yeux sombres. « Je suis désolé. Mais tu me manques. Tu penses que c'est facile de te regarder tous les jours de la fenêtre en sachant que tu feras tout pour m'éviter ? Regarde à quoi j'en suis réduit. C'est pathétique, nh ? »

Il avait crié Sul Li. Il ne l'avait pas appelé mademoiselle. Mademoiselle Ahn. Mais Sul Li. N'était-ce pas déjà un progrès ? Le Koneko n'était toujours pas là. Mais il l'avait appelée Sul Li. A vrai dire, cela ne fit que rendre ses larmes encore plus nombreuses. Cela ne fit que la ramener encore plus au passé. Pourquoi avait-il fallu qu'il lui tourne le dos ? Pourquoi avait-il été aussi idiot ? Pourquoi n'était-il pas resté à ses côtés comme l'avait fait Tae Yang ? Si les choses s'étaient déroulées ainsi, alors rien n'aurait changé. Aujourd'hui encore, elle rirait en sa compagnie, se blottirait avec plaisir dans ses bras et... L'appellerait Oppa. Non pas monsieur Baek. Elle ne le fuirait pas. Assisterait à ses cours. Ils seraient inséparables. Proches l'un de l'autre. Dans les bras l'un de l'autre.

D'une certaine manière, c'était ce qui était en train de se passer, bien que la situation n'était pas la même, que les conditions n'étaient pas les mêmes. Il avait enfoui son visage dans son cou, mais pour pleurer. Il avait empoigné sa robe au niveau de ses hanches, mais par tristesse, et non par jeu. Elle pouvait sentir ses larmes s'échouer contre son cou, elle pouvait sentir son souffle saccadé contre sa peau, elle pouvait entendre ses sanglots, sentir son corps tremblant à quelques centimètres du sien. Il s'excusait. Pour la première fois, il s'excusait, lui disait qu'elle lui manquait. Son cœur se serrait. Lui aussi lui manquait, terriblement, énormément. Elle lui en voulait encore plus, maintenant : parce qu'en plus de la faire souffrir, il s'était fait souffrir lui aussi, d'une certaine manière. Alors qu'elle déglutissait, reniflant un peu, elle finit par... Glisser sa main dans ses cheveux, alors que l'autre s'aventurer dans son dos. Oui, elle l'enlaçait. Elle l'enlaçait, et lui offrait une étreinte, comme pour le consoler. Pour se consoler aussi, car il n'y avait que ses bras pour calmer ses larmes. « Babo ! Babo babo babo ! » C'était là tout ce qu'elle trouvait à lui dire, alors qu'elle se nichait à son tour dans ses bras. « Mais pourquoi ne t'es-tu pas excusé plus tôt ? Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt ? Pourquoi... Pourquoi n'as-tu pas été là quand j'en avais besoin, quand j'avais besoin de toi plus que de toute autre personne ? » Sa dernière question, une question avait hanté son esprit durant toutes ses années. Elle n'avait jamais compris sa réaction, et ne la comprenait toujours pas.

Il se souvenait bien qu'à l'agence, leur manager avaient assidûment travaillé à ce que Young Ja tout particulièrement ai des réactions modérées. Membre le plus émotif de son groupe, il avait suivi jusqu'à des cours particulier pour maîtriser ses sentiments et ses émotions. Et pourtant, voilà qu'en un instant, il venait de briser entre ses doigts ces nombreuses leçons, et broyer ses souvenirs du poing. Son visage enfoui dans la longue chevelure de son ancienne protégée, M-den contracta la mâchoire comme pour tenter, vainement, de contenir les quelques larmes fugitives qui s'écoulaient sur ses joues. Il ne savait plus où donner de la tête. Ses souvenirs lui montaient à la tête, le rendaient fou. Il avait bien cru ne jamais revoir le visage de Sul Li ; désormais il s'imposait chez elle dans un nouveau cadre pédagogique pour s'assurer qu'elle ai son diplôme : où allait le monde ? Un professeur laissant libre court à son désespoir des dernières années contre le corps de son élève, ses doigts enserrant avec force ses hanches. Néanmoins, il rouvrit les yeux avec surprise au moment même où il sentit la main de la chanteuse se frayer un chemin dans ses cheveux d'ébène. Ne le détestait-elle pas ? Comment pouvait-elle passer sa main dans sa tignasse avec autant de douceur, après lui avoir craché tant de choses au visage, après s'être défilé, après l'avoir maudit du regard tout ce temps ? Elle lui offrit une étreinte. Une étreinte dont Young Ja ne se privât pas, relâchant peu à peu son vêtement pour glisser sa main sur la cambrure de ses reins. « Je pouvais pas. Veuillez excuser mon comportement, mademoiselle Ahn. » Son crâne se posa sur le sol. L'enseignant vrilla son regard sur le plafond, tachant avec plus ou moins de succès de mettre fin à ses sanglots légers. A nouveau, il l'avait appelée ainsi. A nouveau, il lui avait rappelé sa place, s'éloignant. Ses deux mains remontèrent sur la nuque de la tsebé. M-den souffla un instant, dans le but de faire ralentir le cheval fou lancé au galop dans sa poitrine, qui meurtrissait son corps. Les battements irréguliers et rapides de son cœur lui coupaient le souffle ; il était presque certain que cela n'avait rien de tachycardiaque. Voilà qu'il prétendait ne pas en avoir eu le choix. En vérité, c'est ce qu'il avait pensé, sur le moment. Tout d'abord les consignes avaient été claires. Aucun contact, afin de protéger le groupe. Mais par la suite, plusieurs de ces membres avaient apporté leur soutient à la chanteuse, et la honte l'avait alors tenu à l'écart. « J'avais trop mal. Le manager a insisté pour n'avoir aucun contact, pour l'avenir du groupe. Je ne savais pas qu'ils continuaient à te parler. » Un murmure coulé à son oreille, tandis qu'il enfouit ses doigts dans les doux cheveux de son interlocutrice. Ses lèvres vinrent frôler sa joue, avant qu'il ne se résorbe. « Vous voulez toujours vos bracelet ? Je vous rappelle que j'ai un cours à donner. Le temps nous est compté, mademoiselle. » Voilà qu'il avait l'occasion offerte sur un plateau d'argent de recoller les pots cassés ; voilà qu'il prenait la fuite avec dignité, se redressant en remettant en ordre ses cheveux corbeaux, essuyant ses yeux du revers de la main.