Je suis las. Las de cette vie que je mène. Ou du moins les conditions dans lesquelles je la vis. Je ne manque de rien, sauf de repos. Je ne manque de rien, sauf de compréhension. Je ne manque de rien, sauf de sommeil. Je manque des basiques. Je manque de ce qui est normal pour tout le monde. Je manque de stabilité mentale. C’est ce que je me dis de plus en plus. Parce que le fait d’être surdoué peut mener à la dépression et autres dérèglements psychiques de par la prise de conscience dont on fait preuve.

Je crois que je passe sérieusement par cela.

Mes bras se ferment, autour du cou de mon frère. Fermes. Ils s’accrochent à son cou. Je m’accroche à lui. « Je te ferai toujours confiance, donc, si tu dis trouver quelqu’un qui pourra m’aider, je n’aurais rien à perdre à essayer une dernière fois. Mais ne me demande pas plus d’efforts, pas plus de sacrifices, parce que je n’en suis plus capable. Je n’ai plus la force de me battre contre quoi que ce soit, et encore moins moi-même aniki… je veux juste apprendre à vivre avec, pour de vrai cette fois, et non pas faire semblant de voir mon mal être disparaître, parce que ce n’est absolument pas le cas… » Bien sûr que je lui fais confiance. Je lui en ferai toujours. S’il me dit de sauter, je saute. S’il me dit de tuer, je tue. Alors je le serre, je le serre dans mes bras, les yeux clos et gardant silence. Je ne sais plus quoi dire. Je n’ai plus les mots, je n’ai plus la force et je n’ai plus le courage. J’aimerais dire que j’ai encore la motivation, mais même cela, je n’en suis pas certain. Alors, je vais arrêter de l’ouvrir et ramener la terreur sur le visage de mon frère à chaque fois que je prononce un mot. Si je vais mal, il va mal. Ça a toujours été comme ça, et ça fait longtemps que nous savons que cela ne changera jamais. Résultat, j’attends, j’attends que le mal passe grâce aux cachets, j’attends que le manque déserte pour une heure ou deux. Et j’attends de tomber de sommeil aussi, pour ne plus avoir à penser à quoi que ce soit.

Shuji peut me promettre ce qu’il veut, je croirai toujours aveuglement à chacune de ses promesses. On ne se rend pas compte, on ne voit pas à quel point je me noie sous mes complexes, à quel point je peux être blessé, à quel point le regard de ceux que j’aime est important pour moi. C’est con, mais, jamais je ne pourrais réellement aller à l’encontre des avis de mon frère. La seule chose qui soit exception à cette règle, est mon addiction aux drogues. Mais sans ça, je crois que j’aurais déjà tout lâché il y a fort longtemps, et Shuji le sait. « Je ne dois pas être ta priorité non plus aniki… »

Je n’ai toujours pas défait mon étreinte autour de son cou. Je suis toujours appuyé contre lui, je suis toujours délaissé contre lui. Je peux rester comme ça ? Comme lorsque nous étions enfants, que je venais d’arriver au Japon, que mon père me manquait, que notre mère nous laissait seuls, que ton père n’était jamais là. J’ai encore ce besoin d’être collé à mon frère, d’être collé à mon modèle. J’ai beau chercher mon indépendance, j’ai beau tisser et continuer de coudre l’étoffe de ma vie, pour les finitions, j’aime bien avoir l’approbation de mon grand frère.

Il me soulève. J’ai dû encore maigrir, puisque la dernière fois qu’il avait tenté de faire ça, il avait légèrement grincé des dents, je m’en souviens parfaitement, et là, il ne le fait pas. Je me souviens toujours de tout. Alors, comme l’enfant que je serai toujours à ses yeux, je me fais tout petit alors qu’il me porte à l’étage. Je me sens coupable, parce qu’il commence à fatiguer. Alors qu’il me pose dans le lit et se jette dans celui-ci, un petit rire m’échappe. « tu n’es pas trop vieux… tu ne seras jamais trop vieux… » Je me blottis encore contre lui, commençant enfin à me calmer. Je me tiens à ses vêtements, fermant à nouveau les yeux. « Pars seulement si je dors… reste avec moi en attendant… » Sinon, je ne dormirai pas, mais j’ai pas besoin de rajouter cela, il le sait, que je ne dormirai pas, pas sans lui, pas ce soir.