Areum ∞ Amélie

mélie aurait pu passer totalement inaperçu au milieu de la foule de travailleurs déambulant dans les rues de Suwon, si tard dans la soirée. Si seulement elle n’avait pas eu ces jambes si longues et ce visage si peu coréen. Elle marche à grands pas, un sac en cuir beige de taille moyenne au bras, les cheveux au vent et des lunettes de soleil sur le nez — inutile, certes, mais une habitude. Un vrai cliché. Se rendre au travail tous les matins est devenu une habitude. Pourtant, ce n’est pas faute de sortie tout juste de l’université. Rien ne change. On se lève tous les matins à la même heure. On marche vers son lieu de travail ou d’études. On travaille, on apporte des résultats. Sauf que dans le cas de la section de recherche de la police scientifique, de ces résultats dépendent parfois la vie de quelques personnes. Voire même des dizaines ou des centaines. Pourtant, elle est confiante. Pas heureuse. Elle ne l’a plus été depuis bien longtemps. Assez longtemps pour avoir oublié les émotions que cela procurait. Confiante, c’est ce qui la caractérise. On l’a appelée pour une affaire spéciale. Ce n’est pas rare pour elle de venir travailler de nuit.

Une voix résonne dans son oreille. Elle ne se retourne même pas, reconnaissant immédiatement l’origine et l’identité de la voix. Un petit sourire narquois étire ses lèvres. Apparemment, c’est reparti pour un tour. Cette gamine a l’air de se plaire à se chercher des ennuis. C’est la crise d’adolescence en retard ? Car mine de rien, l’espèce de merdeuse qui la suit comme une sangsue a son âge. Mais que fait le système scolaire ? Le pire, c’est que pour une fois, Amélie ne porte pas sa blouse blanche puisqu’elle la laisse, comme d’habitude, bien pliée sur la chaise à roulettes de son bureau. Plaisanteries mises à part, il y a peu de temps qu’elle s’est intéressée au cas de la jeune femme. Areum. Elle l’a elle-même emmenée plusieurs fois au commissariat mais il semblerait que cette fille aime se chercher des ennuis. Son cas a fini par intéresser la haut-gradée.  Pourquoi ? Comment ? Dans quelles circonstances ? Tout ceci sont des questions auxquelles elle cherche activement une réponse. Finalement, aux portes du gigantesque bâtiment de verre, Amélie s’arrête net et se tourne vers sa sangsue. Toujours ce petit sourire et l’air décontracté. Quel intérêt de perdre son sang froid face à une gamine qui, de toute évidence, consciemment ou non, cherche l’attention.

Finalement, elle cherche quelque chose dans son sac. Un petit objet rectangulaire blanc et noir sur lequel elle compose un numéro de téléphone rapidement. Commencez sans moi, j’ai un petit truc à régler. Son coréen est parfait. Elle ne peut pas se permettre moins bien au risque de perdre de sa crédibilité. Fouillant à nouveau dans son sac, elle sort un paquet de cigarette ainsi qu’un petit briquet vert. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la cigarette entre ses lèvres fume. Délicatement, elle pose une main sur le bras d’Areum pour l’entraîner un peu plus loin sur la place et s’assoir sur un banc exposé sur la rue. Peu lui importe de savoir si la jeune femme l’imite ou pas. Elle continue d’un ton doux. Qu’est-ce que tu veux, Boo Areum ? Que je t’envoie une énième fois en garde-à-vue en attendant que ton père vienne te chercher ? Tu sais parfaitement que ce n’est pas moi qu’il faut aller voir pour ça. Cesse de jouer à la plus maligne et dis-moi ce que tu cherches à t’attirer des ennuis, comme ça. Un petit rire lui échappe tandis qu’elle se redresse sur le banc et croise ses longues jambes nues. Suis-je bête, tu ne me le diras pas. Je me trompes ?

Areum ∞ Amélie

mélie ne peut retenir un soupire. Il y a un moment où, même avec la meilleure volonté du monde, elle ne sait pas comment parler à cette fille. A vrai dire, à cause de sa précocité intellectuelle, elle a toujours eu du mal à discuter nonchalamment avec qui que ce soit. Du coup, elle est toujours en train de réfléchir tout haut sans réellement écouter l’autre personne ou à tout prendre au sens premier du terme. Dans un sens, l’espèce d’agressivité passive dont fait preuve Areum la met à l’épreuve. Parce qu’elle doit s’adapter à son caractère qui n’est pas facile, c’est le moins que l’on puisse dire. Bien sûr, malgré sa froideur générale avec les trois quarts des gens, la jeune inspectrice a un coeur et n’est totalement insensible à cette gamine qui, malgré les apparences, a son âge et semble complètement paumée. Il y a ce moment où Areum et Amélie sont tellement proches que, quand la première parle, elle sent l’odeur d’alcool s’échapper de ses lèvres. Non, tu n’as pas bu, c’est bien connu. De toute façon, elle aurait dû s’en douter. Elle n’a jamais vu cette jeune femme sobre. Certes, elle la connaît très peu mais les seules fois où Areum s’est présentée à elle, c’était avec une certaine dose d’alcool dans le sang.

Alors oui, appliquant peut-être un stéréotype féminin, elle s’est dit qu’Areum avait besoin d’être écoutée, vue, d’avoir de l’attention. Mais ne sachant pas comment réagir, elle l’a simplement fait professionnellement, en l’emmenant au poste. C’est à chaque fois, en retournant dans son bureau et s’asseyant à son petit fauteuil à roulettes qu’elle se rendait compte de sa bêtise. C’était cependant toujours la même chose. A quoi cela servirait-il de lui mentir de toute façon ? Alors, elle hausse les épaules avec un petit sourire en coin, comme toujours. Ce sourire qui ne la quitte jamais. Bah. Oui, c’est à ça que je pensais. Je ne suis pas psychologue et ça m’est complètement égal. L’inspectrice se lève, fourrant les mains dans son long manteau. Elle tourne lentement autour d’Areum pour venir se planter à côté d’elle, face au gigantesque bâtiment général de la police où se regroupent les administratifs et le quartier général de la police scientifique. En gros, pas du tout un endroit où cette ado perdue devrait se retrouver. L’inspectrice passe une main dans ses longs cheveux bruns qu’elle garde presque systématiquement détaché, à part pendant les interventions sur le terrain.

Seulement, si tu continues à te pointer ici, tu vas avoir des ennuis. Si la sécurité te chope, ça va être plus costaud à régler. Et tes séjours répétés en garde-à-vue vont figurer dans ton dossier. Si ton employeur se renseigne sur toi et qu’il ou elle trouve ton casier judiciaire, tu vas avoir du mal à trouver un emploi. Certes, ce sont quelques mensonges. Le casier judiciaire d’une personne est privé et personne, même la famille, n’a droit de le lire. Seule la police peut en disposer en cas de nécessité. Laissant échapper un long soupire, elle croise les bras sur sa poitrine — enfin, cette planche à pain qui lui sert de poitrine — et se balance un peu d’avant en arrière sur ses talons hauts. De toute façon, qu’est-ce que tu crois ? Que je suis ton souffre-douleur ? Désolée, mais ça n’est pas le cas. Tu es chiante ou tout ce que tu veux, mais pas un tyran. Plutôt un flan, je dirais. Foutue référence. Elle espérait faire rire un peu Areum mais aucun risque qu’elle ne connaisse cette référence.