Ce matin déjà il s'était posé des questions. Des questions qu'il n'avait pas tardé à juger inutiles de peur d'en comprendre l'inverse, par peur de réaliser qu'il avait sans doute fauté quelque part. Ce matin déjà il s'était douté de quelque chose avant de balayer ce soupçon aussi vite qu'il ne s'était imposé, en claquant la porte de son appartement qu'il avait ensuite verrouillé. Après tout, non, son comportement n'avait pas été différent de l'ordinaire, et elle avait sourit. Alors quel était ce froid qui avait serré son coeur dans l'instant pour se dissiper en silence ? Il ne voulait pas savoir : il avait des cours à assurer, et bien trop peu de temps à perdre pour ce genre de réflexion sans queue ni tête. Et pourtant. Et pourtant, il n'avait pas été dur de noter l'air absent qu'il avait abordé toute la matinée. Non pas qu'il ne soit pas ordinaire de le voir si distrait, car Young Ja n'était pas de ces professeurs qui se donnent à cent pour cent, mais plutôt de ceux qui prônent la détente, mais une atmosphère étrange était palpable pour quiconque se posait un minimum la question. Young Ja était préoccupé. Il avait envoyé un, deux, puis trois messages qui ne rencontrèrent aucune réponse. Il avait également tenté de l'appeler sans succès. Qui ? Areum, la jolie Jeopardize, ou plus précisément sa petite amie. Et il ne s'était pas mis en colère pour autant. Young Ja ne manquait pas de caractère, pour sûr, il avait seulement été tant entraîné à le réprimer qu'il ne savait plus comment s'en servir, comment l'exprimer. Sourire, rire, quand bien même tout va mal. Toutefois, il n'avait jamais été très bon comédien. Alors comme face aux grands publics, et parce que son public était essentiellement composé d'universitaire, il fit taire son angoisse d'un sourire. « Donc je disais.. »

Les heures n'avaient pas joué en sa faveur et s'étaient faites incroyablement longues, si bien qu'une bouffée d'oxygène raviva un instant chez lui le bonheur de se sentir libéré de cette cage que représentait la salle de cours. Et alors son problème lui revint à nouveau en mémoire lorsqu'il consulta ses appels et messages en absence, tous provenant de personnes quelconques. Personnes n'étant pas sa jolie partenaire. Il songea donc qu'en effet, il ne pouvait y avoir qu'un problème, et ressassa des bribes de conversations, ou même des gestes, mettant un point d'honneur à se souvenir de tout pour comprendre de quelle façon il avait été désobligeant. Lui seul n'était pas une lumière lorsqu'il s'agissait de comprendre le comportement humain. Un très mauvais sociologue, voilà pourquoi il préférait étudier et enseigner des choses passées, écrites et déjà définies. Ainsi il savait éperdument qu'il ne pourrait obtenir réponse qu'en venant quérir l'aide de celle qui semblait de toute évidence le fuir. D'autant plus qu'il n'appréciait pas être en froid avec elle.

Lorsque, enfin, il pensa à vérifier la salle de danse, il la trouva en pleine répétition. Ce fait l'étonna, puisqu'aux dernières nouvelles elle était interdite de ce sport suite à son entorse, mais n'en laissa rien paraître et afficha plutôt un sourire contrit. Il s'avança dans la salle tout en gardant une distance de sécurité qu'il savait nécessaire pour sa santé, et enfouit ses mains dans les poches de sa veste de marque. « Salut Areum. » On ne peut plus froid. C'était sa manière d'aborder un sujet dont il ignorait la teneur, et le contenu. Que lui reprochait-elle, et qu'attendait-elle de lui ? A ses yeux, il n'avait fait qu'agir comme tous les jours, pas un mot différent de l'autre, et il lui semblait même que tout avait été plutôt bien mesuré puisqu'elle n'avait pas crié. « Je croyais que tu étais interdite de danse ? Ton entorse va mieux ? » Non pas qu'il se moquait de sa blessure comme de la dernière pluie, cependant l'air désintéressé qu'il adopta signifiait clairement qu'il n'était pas venu débattre de la santé de la jeune femme. Il suffisait simplement d'engager la conversation. Il pinça les lèvres et fit la moue. Young Ja était préoccupé.

Le self-control est une des choses les plus dures qu'il eut à apprendre, et à maîtriser. Encore aujourd'hui, se tenir de marbre devant une vipère n'était pas de toute aisance pour l'ancien idole qui avait bien du mal à cerner sa petite-amie. Son sarcasme lui donnait parfois des envies de meurtre, mais fort heureusement il savait gérer ces pulsions et, à l'identique d'Areum, les masquer par un sourire sans joie. Une façade balconnée qui ne pouvait pas s'écrouler, une façade balconnée inébranlable. Young Ja prit appui sur l'un des seuls espaces du mur à ne pas être recouvert par les miroirs et pencha la tête en arrière jusqu'à ce que son crâne heurte la surface, ne réprimant pas le soupire qui s'échappa d'entre ses lèvres fines. « Tu sais très bien de quoi je veux parler. » A l'instar du professeur, elle le savait. Mais était-il à blâmer pour autant ? Pouvait-il deviner qu'un sujet qu'il avait pour habitude d'aborder une fois par jour au minimum ai résulté de cette façon, après qu'elle soit parti avec un sourire qu'il n'avait pu deviner faux malgré sa froideur ? Young Ja avait suivi une formation d'idole. Il avait été « élevé » pour plaire au grand public et être une machine à sous ambulante, pour vendre des disques. Il n'avait jamais suivi une formation de médium. Lorsqu'il se redressa, lorsqu'il r'ouvrit les yeux, il vrilla son attention sur la belle jeune femme assise dans une moue exprimant sa lassitude sans retenue. Il avait appris à s’accommoder à ses piques et à sa mauvaise fois, à son sarcasme aussi, mais ça n'était pas pour autant qu'il n'en était plus atteint. En d'autres termes, il aurait joué, serait rentré dans son jeu, et aurait réussi à tourner la situation à son avantage par une technique de séduction qu'il connaissait et maîtrisait. Mais aujourd'hui, il avait mieux à faire. Young Ja était préoccupé.

« Si tu veux te fragiliser encore un peu, grand bien te fasse. » L'on n'apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces : Young Ja était un danseur professionnel, ou du moins l'était, au vue de sa carrière en hiatus. Le redeviendrait-il un jour ? Peu lui importait aujourd'hui, car la vie haut en couleurs de la scène, ça n'était pas lui qui l'avait rêvé, mais bien les autres membres de son boysband. Non pas qu'il manquait d'ambition, mais le jeune homme était doté d'un caractère plus doux, plus modeste : il préférait œuvrer pour la charité, et briller sur les petites scènes lors d'occasions spéciales. « Je ne suis pas ton père, et encore moins là pour jouer au flic. Passons, tu sais pertinemment que je ne suis pas venu parler de ta santé. » L'homme était froid. Il se sentait acculé, et sans défense, il se refermait donc. Il n'était pas maître de cette scène sur laquelle ils jouaient tous deux, et en perdait ses moyens. Il n'avait que le rôle du mauvais background, il le sentait bien. Conscient qu'elle ne tarderait pas à s'évader, avide d'air frais qu'il n'aurait pas respiré, il se décolla du mur pour anéantir ses tentatives de fuite, et se plaça devant la porte contre laquelle il reprit appui.

« Si tu espérais partir et échapper à une petite conversation, tu es bien naïve ma belle. » Pourtant, contre toutes attentes, un véritable sourire s'imposa sur ses lèvres pour les étirer. Et une forme de tendresse, aussi. Pourquoi fallait-il que ce soit au moment le moins opportun ? Son cœur rata un battement lorsqu'il songea que cette crise n'était peut-être pas passagère s'il ne trouvait pas la raison de ce soudain hivers, alors il ne resta pas en place. S'avançant de quelques pas, il finit par remonter à sa hauteur, la surplombant alors de sa taille, et la coincer dans cette position. Il ne lui laissa pas le temps de s'évader : deux avants-bras puissants vinrent encadrer son visage de porcelaine et son visage s'approcha. Proche. Trop proche peut-être, jusqu'à ce que leurs souffles s'emmêlent. Il clôt ensuite les yeux, pinçant ses lèvres dans une moue pleine de regret. « Donne moi au moins un indice ? Explique moi pourquoi tu me fuis, pourquoi tu ne réponds à aucun de mes messages, aucun de mes appels ? » Il n'aimait pas que ce soit le cas. Il n'aimait pas qu'elle l'ignore. Mais il ne l'affirmait pas concrètement, pour le comprendre, il lui faudrait le deviner, bien que cela ne soit guère difficile.

Il pataugeait. Young Ja pataugeait dans l'incompréhension la plus totale. Qu'avait-il pu faire, qu'avait-il pu dire qui ai poussé la belle jeune femme à lui faire la tête toute la journée. Evidemment, avec tempérament parfois aussi explosif que celui de la sarcastique Jeopardize, avec les habitudes à vivre dans le passé de l'ancien idole, leur couple n'était pas fait que de jours roses, bien au contraire, mais tous deux savaient prendre sur eux pour oublier, s'habituer, et bien souvent finir sur l'oreiller. Les mots leur servaient à régler les conflits. Les en priver était le rallonger, il le savait, mais ne le voulait. Alors, de son souffle s’entremêlant au sien, de son visage bien trop proche, de ses bras l'encadrant, il espérait attiser une pointe de désir jouant en sa faveur ou, tout du moins, faire la colère qui grondait en elle et faisait briller ses beaux yeux chocolatés. Et le jeune enseignant osa espérer qu'il eut l'effet escompté au moment où elle enroula ses bras fins derrière sa nuque, lui tirant un sourire doucereux.

« Areum, belle Areum. » Il approuva tête baissée sans savoir sur quel sinueux chemin il s'engageait. La stupeur, pour l'une des rares fois, avait été peinte sur ses traits sans qu'il ne cherche à la réprimer. Young Ja était une poupée de porcelaine. S'il était mauvais comédien, il était capable d'imiter toutes les expressions possibles ou au contraire d’annihiler chaque sensation. Cela lui avait servi dans sa vie sur scène, lorsqu'il était encore une étoile, mais alors qu'il n'était plus qu'une nébuleuse, il prenait conscience de, ô combien, cela pouvait être difficile pour ses proches de le savoir si impénétrable, si terne et éteint. Le bellâtre avait été tant entraîné à cette extinction que le fait de se dévoiler un tant soit peu révélait d'un exploit similaire à une mise à nue, et ce même en face de sa petite amie qu'il chérissait pourtant. Il n'avait jamais eu conscience de la blesser, car le but n'avait jamais été tel. Et pourtant, chaque jour c'était la même chose, chaque jour, il enfonçait un poignard dans son cœur en ressassant le passé duquel il ne pouvait se décrocher. Ses sourcils se froncèrent dans l'instant, alors qu'il entrouvrit la bouche en comprenant, hélas enfin, où elle voulait en venir : « Are you jealous ? »

Elle. Elles en réalité, mais il n'avait pas le cœur à la corriger sur cette erreur afin de la doubler. Young Ja savait qu'il passait son temps libre à critiquer la jeune femme sur ses manières qu'il ne jugeait pas assez « Sulliesques » ou « Sunnahesque », mais au fond de son cœur, c'était ainsi qu'il aimait Areum. C'était son fort caractère qui l'avait séduit, mais aussi la douceur qu'elle lui réservait lors de leurs tendres moment. Il la trouvait belle, lorsque ses joues se teintaient de rouge sous la colère, mais il savait aussi qu'elle lui pardonnait souvent, trop souvent, trop aisément, l'incitant ainsi à recommencer. Était-ce sa faute, si la Jeopardize ressemblait tant à ces femmes si aimées ? Le brun ne faisait même plus attention à ce qu'il disait, pensant dur comme fer qu'elle s'était habituée à l'entendre, et son sourire de ce matin avait confirmé ce qu'il avait imaginé. Et pourtant, aujourd'hui, il aurait appris qu'un sourire pouvait cacher une douleur profonde.

« Tu ne seras jamais elle. Elles. Elles sont.. différentes. Tu es différente. Trop différente. » Et pourtant, trop similaire. Les lèvres pincées, Le professeur d'histoire portait son attention sur ses deux yeux charbonneux dans une expression de sévérité qui pourrait faire régresser la jeune femme plus bas que terre. Et pourtant. Il finit par enfouir la tête dans son cou, déposant un doux baiser sur son épiderme, tandis que l'une de ses mains remonta jusqu'à sa peau douce pour caresser sa joue tout en tendresse. Les mots n'étaient pas employés pour s'excuser, chez Young Ja, qui favorisait les gestes. Il se redressa par ailleurs, le regard chargé de regrets et remords : il savait qu'il avait fait mal à la jeune femme, et plus qu'autre chose, même s'il pensait ses mots non mesurés, la blesser revenait inexorablement à se blesser. « Tu sais pourtant que je le pensais, hn ? » Autant qu'ils soient fixés : ce genre de comportement risquait de se reproduire. Autant qu'elle sache à quel genre d'homme elle avait à faire, et alors à elle seule appartiendrait la décision de leur avenir.

Lorsqu'elle lui susurra tout près qu'il avait fauté dans sa réponse, il sut qu'il aurait peut-être du mentir. Mieux valait prévenir que guérir toutefois : si son attention n'avait jamais été de blesser la ravissante perle qui se tenait devant ses yeux, il l'avait fait maintes et maintes fois par sa conduite égoïste. Young Ja vivait dans le passé. Il ne pensait qu'à lui. Il ne pensait qu'à ses pertes. Il savait pertinemment que maintenant que l'erreur avait été faite, il ne servait à rien de vouloir la retenir, si ce n'était faire exploser une nouvelle bombe à leurs visages parfaits. Alors, acceptant sa défaite, il retira ses bras l'un après l'autre en serrant les dents, ravalant sa fierté : non pas qu'il soit un perdant dans l'âme, l'homme savait juste quand il fallait lutter, et quand il ne le fallait pas. Lorsqu'il était nécessaire de poursuivre, et lorsque cela ne mènerait à rien. Les bras de la femme se décroisèrent lentement avant de se retirer de sa nuque. Tout s'enchaîna rapidement pour l'enseignant qui se plaça alors du simple point de vue de spectateur, l'observant remonter sa bretelle et quitter la salle telle une tigresse gracieuse. Il avait perdu la bataille en jouant la carte de la sincérité, il l'avait perdue en avouant sa faiblesse. Young Ja ignorait si elle reviendrait vers lui un jour, car leurs crises avaient toujours été résolues avec les mots aussi violents soient-ils, ainsi, il ignorait s'il l'avait perdue temporairement ou définitivement.

Le membre du personnel resta un instant à se morfondre dans cette même salle, les mains dans les poches d'une veste bien luxueuse. Combien de temps, il n'en eut guère la capacité de mesure, sans doute de longues, très longues et nombreuses minutes. Puis, dans un élan d'espoir vain, il en retira son téléphone afin de consulter son agenda ainsi que ses messages et appels en absence. Peut-être le Tout-Puissant existait-il et, peut-être que s'il priait avec ferveur et sur ses deux genoux, daignerait-il arranger la situation pour lui ? Malheureusement il n'obtint aucune faveur divine, et aucun signe de la Jeopardize. D'un soupire, il reprit courage et cessa de froisser entre ses doigts le tissu de ses poches pour poursuivre sa petite-amie d'un pas rapide et assuré, d'une démarche de mannequin, d'une allure façonnée. Pour les quelques élèves qu'il croisa qui l'éclaboussèrent du fameux « Sam » qu'était devenu son autrefois « M-den », il s'inclina rapidement et esquissa un sourire. Et encore : fussent-il si rares qu'il douta un instant de leur véracité. Il n'était pas idiot, et n'était pas fou : si la demoiselle était fâchée, elle ne répondrait pas à ses appels, à l'identique de cette journée orageuse. Ainsi, la chercher dans les couloirs de l'établissement, pour un peu qu'elle y soit encore, revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Il se chargea donc d'accélérer, dans l'espoir d'entendre ses pas raisonner s'il la rattrapai.

« Araseo.. Tu fuis à la première difficulté, ou alors est-ce ta colère qui te pousse à t'éloigner ? » Il était conscient que ce ne fut pas la meilleure chose à dire, mais Young Ja était de ces hommes qui, lorsqu'ils se sentaient acculés, se braquaient et se refermaient sur en même en devenant désagréables. Par le plus grand des hasards, il l'eut retrouvé au détour d'un couloir, et de peur qu'elle ne s'échappe encore, il tentait d'attirer son attention, quitte à attiser sa colère du même fait. « Koneko.. » Cette appelation, ce chaton prononcé dans un mauvais japonais, voilà comment il avait appelé Sul Li, puis Sun Nah, et par la suite ses proches afin de les sentir vivre en eux. D'un pas, puis de deux et de trois, il se rapprocha de l'étudiante tout en gardant une distance de sécurité nécessaire : « Que comptes-tu faire ? Prendre tes distances à nouveau ? Areum, ce n'est pas parce que je passe mon temps à fouiller dans le passé que je ne suis pas attaché à mon présent. Tu es quelqu'un d'important pour moi. » Sans doute ce semi-aveu était-il un des plus importants qu'il ne puisse faire, et qu'il ne ferait jamais. Le connaissant, s'estimait-elle heureuse, ou bien n'en avait-elle cure ? Afin de faire jouer le pardon en sa faveur, le jeune homme esquissa un sourire esquinté par le remord de la savoir blessée, et s'adossa aux casiers du couloirs en portant sur elle une attention minutieuse toute particulière, scrutant ses traits à la recherche de réponses. Qu'elle fuit, si là était son désir, il ne la suivrait alors plus.

Il crispa la mâchoire et serra les dents sous la vague de colère qui réchauffa son corps, avant de s'en aller en laissant uniquement l’amertume s'emparer de lui. Il n'était pas alcoolique. Il n'était pas un toxico, plus du moins. Il n'était pas violent, ne battait pas sa femme, et n'avait pas de dangereuses ou imposantes passions. A conditions que les anciennes femmes de sa vie ne soient pas considérées comme des passions, auquel cas l'on aurait pu le classer dans la catégorie des potentiels psychopathes. Young Ja passa une main sur son menton pour le masser un instant : qu'est-ce qui aurait été pire ? A ses yeux, elle ne pouvait se considérer comme malheureuse. Il n'avait en effet pas conscience de l'impact réel de ses comparaisons incessantes. S'il savait qu'elle était blessée, il ignorait jusqu'à quel point. Polygamie ? Alors c'en était là, c'en était à ce point. Comme quoi, l'enseignant ne pouvait réaliser seul : il lui fallait qu'on le place face à une crise pour qu'il ne comprenne, et encore qu'en partie, ses erreurs. « .. Pardon ? » Il était un compagnon désagréable, à en croire par ce qu'elle lui exposait-là, mais pouvait-elle oublier en un claquement de doigts tout ce qu'il avait fait ? Il avait beau avoir été l'un des chouchous du public, il n'en avait pas pour autant vaincu sa timidité, et lorsqu'il était venu la chercher la première fois pour lui faire part de ses ressentis, lorsqu'il l'avait embrassé pour la première fois en dehors d'un cadre de jeu, savait-elle quels efforts considérables il avait du faire ? Puis il n'avait pas été tout noir. Il lui arrivait régulièrement d'être à ses petits soins, de lui offrir des bouquets, de lui préparer à manger. C'était cela, qui l'agaçait. Qu'elle lui reproche son tord principal, sans penser à ces moments de plaisirs simples.

Néanmoins voilà. A la savoir mal, il se sentait mal. Compatissant, ou bien simplement attaché à elle ? Les deux à la fois, et c'était le pire pour Young Ja. A cet ultimatum, il baissa les yeux, redressa ses cheveux sombres d'un geste de la main, et soupira. Pour qu'elle en arrive là, les choses devaient être encore pires que ce qu'il ne pensait. C'est ce qu'il ne cessait de se répéter sans en avoir conscience, du moins avant cet instant. Il ne se savait pas en capacité de réprimer l'affection qu'il portait pour la jolie Tsebé, mais il savait qu'il ne pourrait pas non plus se remettre aisément de sa rupture, si elle avait lieu en faisant les mauvaises décisions. « Je vois. Areum, que les choses soient claires, mon intention n'a jamais été de te faire du mal, hm ? » Il doutait du fait qu'elle n'en ai conscience. Peut-être pensait-elle qu'il faisait exprès de se comporter en goujat ? La distance qui les séparait fut rompue de quelques pas encore, et il la rattrapa de la façon qu'il utilisait toujours. C'était sa manière de clore les disputes, lorsqu'elles étaient futiles, sa manière de se faire pardonner : deux bras puissants venant enlacer la taille de guêpe de sa partenaire tandis qu'il enfouissait son nez dans son cou en poussant un soupire. Hélas, le professeur craignait bien qu'il ne s'agisse là d'une crise un peu plus rude que les précédentes. « Je vais faire des efforts.. »Soupira-t-il contre sa peau. Des efforts, qui n'allaient peut-être pas être récompensés par des résultats, mais au moins il essaierait. Par pitié, qu'elle ne l'abandonne pas. Il était las d'être abandonné par toutes ces femmes qui tenaient les mêmes propos qu'elles, qui se disaient repoussées, sans avoir la force de caractère d'Areum et vouloir arranger les choses. « Je suis désolé de t'avoir blessée. S'il te plait, laisse moi encore une chance, je ne te décevrais plus. » Du moins il l'espérait. Il espérait être assez fort pour ne plus la décevoir. Après tout, il l'aimait tout de même un peu, c'était plus que de la simple affection et c'est ce dont il avait peur.

Il la sent frémir sous ses bras forts, il sent qu'avec ce simple geste il a de l'emprise sur elle. Il ne la connait pas depuis très longtemps, mais en vivant avec elle presque quotidiennement, il a appris à la connaitre. L'enseignant a des valeurs morales très présentes, ainsi il a été dur pour lui de briser cette règle interdisant aux professeurs d'entretenir une quelconque relation avec un élève. Mais lui n'est pas Mr.Hok, le vieux professeur de mathématiques un peu bourru : il n'a ni crâne dégarni, ni plombage aux dents. Il n'est pas cet homme frôlant la retraite dont tout le monde se moque en ignorant que, plus qu'un prof, il est une personne charmante. Bien au contraire, Young Ja est jeune, fougueux dans ce qu'il entreprend, posé dans ce qui nécessite réflexion. Il a du charme, un sourire fondant, un corps bien bâti, la personnalité du gendre idéal. Beaucoup de filles craquaient pour ce qu'il possédait matériellement, mais certaines, plus modestes, sombraient simplement en se noyant dans ses yeux charbonneux et dans la force de son sourire. Une part de ses élèves avait tout juste un ou deux ans de moins que lui, il était dur de s'imposer comme enseignant. Il était censé représenter une forme d'autorité, mais comment le pouvait-il alors qu'il n'avait pas même la trentaine ? D'autant plus qu'à cet âge, une poignée de demoiselles ne voyait qu'en l'université l'occasion de rencontrer le Prince charmant. Pour en revenir au sujet principal : M-den a eu mille et une occasions de rompre ce contrat silencieux, mais ne l'a jamais fait. Jamais, hormis pour Areum, ce qui prouvait bien son réel attachement. Si aujourd'hui il n'était plus dérangé d'agir en public de façon familière et romantique avec la Jéopardize, il n'en avait pas toujours été ainsi, et il se souvenait aisément des débuts où il avait fait preuve d'une timidité extrême. Malheureusement, Young Ja avait beaucoup changé par la suite. Une fois qu'il eut obtenu ce qu'il avait désiré, et une stabilité certaine à ses côtés, il s'était mis à regretter amèrement le passé. Un peu trop, et voilà que par ce même acte, il mettait en danger le couple qu'ils formaient. Il ne voulait pas la perdre, vraiment, et pourtant, il savait que si un jour elle le quittait vraiment sans lui laisser de chance pour se rattraper, il partirait sans hésiter : il l'estimait bien trop pour la retenir captive de ses filets, et savait qu'une personne en or comme elle pouvait trouver son bonheur là où elle voulait. Il n'était pas assez égoïste pour déterminer que ce dernier ne dépendait que de lui.

C'est pourquoi, au fond, cette simple étreinte lui faisait du bien. Ses bras encerclaient son corps frêle, ses cheveux corbeaux chatouillaient sa peau ; il s'imprégnait de son odeur, déposait la sienne, se nourrissait de sa chaleur. Pour quelle raison voudrait-il quitter ce qu'il avait ? Il savait à quel point il était maladroit, qu'il était lassant dans sa quête du Passé, et trop peu adroit en amour, mais il l'aimait. Oh non, pas comme on aimerait concrètement sa femme ou sa fiancée, il ne savait pas même s'il était amoureux d'elle, mais il avouait, en rougissant, que c'était en bonne passe de le devenir. Sa voix le ramena à la réalité, et de son timbre rendu presque béate par ce simple contact physique, il prouva qu'il l'écoutait alors en poussant un « Hm ? » l'encourageant à poursuivre. Il pouvait comprendre sa douleur, il pouvait la comprendre. Il la comprenait, même. Il savait que tout était sa faute, qu'elle avait supporté quelques mots tout d'abord, et qu'aujourd'hui elle encaissait des paragraphes entiers destinés à lui faire comprendre à quel point elle leur ressemblait. S'il existait, quelque part dans le monde, un bouton capable d'avaler le temps pour refaire le chemin arrière, il lutterait de toutes ses forces pour y appuyer, et la préserver de toutes ces erreurs. Pourquoi était-il seulement incapable de lui dire ceci, mot pour mot ?

« Tu sais, j'ai toujours aimé écrire. Je suis doué pour trouver les mots qui vont avec mes émotions, mais généralement je m'adresse au grand public, et personne ne sait vraiment à qui ou quoi ces mêmes mots font référence. C'est plus facile ainsi, de conserver sa bulle. Je suis très maladroit quand il s'agit de parler en face à face alors.. Ne sois pas intransigeante s'il te plait, tu me le promets ? » Il savait qu'elle n'était pas sévère avec lui, justement, autrement, voilà longtemps qu'elle aurait claqué la porte et rendu les clés. Il referma les yeux, savourant le frisson de bien-être que déclenchait la présence de ses bras autour de son cou. Ses baisers se firent plus appuyés sur sa peau, baisers qu'il remonta jusqu'à sous son oreille après qu'ils furent partis de la base de son cou. Des baisers qui, contre toute attente, savaient également se faire d'une légèreté aérienne. « Tu comptes beaucoup pour moi. Je suis désolé, sincèrement. Tu sais.. Elles ont vraiment tout été pour moi, tout. Mais elles appartiennent au passé, et mon présent aujourd'hui, c'est toi et uniquement toi. » Une déclaration bien maladroite, encore une fois, mais Young Ja la rapprocha encore de lui comme pour se faire pardonner ce dernier point. Peut-être pouvait-elle comprendre, pouvait-elle puiser, en la force de son corps, combien elle était importante à ses yeux ?

Le brun n'avait aucune idée concrète de ce qu'il désirait. Ou bien, si, il en avait une, mais celle-ci variait tant et de si nombreuses fois qu'à renfort de logique et concessions, il finit par s'y perdre. Voulait-il la garder auprès de lui aussi précieusement que ses deux bras la serrant le lui indiquaient ? Ou bien, perdu dans le flux de ses émotions, s'abrutissait-il à s'enticher d'une relation qui, comme les précédentes, ne durera sans doute pas plus longtemps ? Oh, bien évidemment, égoïstement, il désirait Areum. De tout son cœur, de tout son corps, tant et si bien que M-den ne voulait pas lui nuire, pas lui faire le moindre mal. Or, il savait qu'il n'était ni le bon, ni même capable de lui apporter quoi que ce soit. Son goût prononcé pour le regret, pour la désolation, sa frustration, n'étaient pas de bons alliés et jouaient en sa défaveur et, s'il lui promettait de les ranger au placard, il doutait en être réellement capable. Voilà pourquoi, s'il en avait le courage, il mettrait fin là et maintenant à cette relation destructrice qui les rongeait tout deux. Hélas, son attachement pour son l'élève n'avait d'égale que la couardise de Young Ja.

« Je déteste ça aussi. » Tous les défauts et les attitudes de l'enseignant pouvaient être à l'origine de ces conflits à répétition, et ils l'étaient, ça n'était pas pour autant que l'idole les appréciait, bien au contraire. Chaque fois, il se remettait en question, doutait de lui, se haïssait, jusqu'à ce qu'ils retombent dans les bras l'un de l'autre et oublient cet épisode ; et la boucle recommençait. Étaient-ils toutefois voués à plus ? Voués à moins alors ? Si seulement il avait la réponse, il pourrait au moins agir en conséquence, faire des efforts plus notables. Son cœur ne se serra pas même à son aveu, il en savait depuis longtemps la teneur : leur couple n'était pas basé sur l'amour, mais bien sur l'attachement qu'ils se portaient. Tous deux se bornaient à se dire qu'un jour peut-être, l'étincelle s'embraserait. Il n'en était rien pour le moment. « Areum... Je sais que tu essaies, tu sais que j'essaie aussi, hm ? C'est compliqué tout ça. » Young Ja resserrèrent sa prise autour de son corps pour la ramener contre lui. Il aime quand la peau et les tissus d'Areum épousent ses muscles et son corps sculpté. Il aime ça plus que quiconque. Et il aime sa voix, aussi.

« Que fait-on ? » A nouveau, le professeur ose cette question. Que feraient-ils si tout recommençait, et que feraient-ils si tout s'arrêtait là ? Il soupira, et enfoui encore une fois son visage dans les cheveux de l'asiatique pour s'y cacher, et cacher les rougeurs qui venaient, naissant de la honte qu'il éprouvait. Ne pouvait-il pas être un amant agréable et fidèle au présent comme n'importe lequel, plutôt qu'un homme vivant dans le passé et le regret ? « Tu sais.. Je tiens vraiment à toi. » Ses yeux, sombres, abyssaux, plongèrent dans ceux de son vis-à-vis, et de son pouce, il retraça la ligne de sa joue affectueusement. « Je peux concevoir que tu préfères en rester là, et je comprendrais. » Ces mots différaient bien de ceux de tantôt. Il avait réfléchi, il avait pris sur lui. Il préférait souffrir, que de la voir souffrir.

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