J'avais pas daigné bouger mon cul du canapé toute la journée, autrement Iseul m'aurait forcé à faire le ménage. Wow, c'est pas parce qu'on partage une vie, une maison, et un potentiel futur mariage qu'on doit imposer à l'autre ses activités favorites. Je la force à mater le foot en mangeant une bonne pizza ? No. Alors pas question de passer la serpillière. De toute façon je sais même pas comment on fait ça. Bref, autant est-il que j'avais oublié cette foutue soirée, et qu'au moment où je me suis rappelé qu'il fallait que j'emmène quatre bouteilles d'alcools différents, tous les magasins étaient fermés. Le problème c'est que je suis un gars de paroles moi. De paroles certes, mais visiblement pas d'honneur, comme quoi c'était différent. C'est ce qu'il me sembla du moins, puisque j'étais quand même en train de voler les bouteilles que je fourrai dans mon sac chez le marchand du coin, lançant de furtifs regards circulaires. J'ignorais comment j'avais réussi à entrer, le tout était de réussir à en sortir.

Accroupi pour saisir une bouteille du dernier étage de l'étagère commerciale tout en regardant les étiquettes, je ne cessais de flipper pour trois fois rien. Sérieux les gens, matez Tao Jun, et osez dire qu'il a une tête à payer ces quelques articles. Ok, adjugé vendu. Une fois les quatre bouteilles fourrées dans mon sac noir, je décidai d'éviter soigneusement les caisses pour ne pas qu'on me fasse vider mon eastpak, et passai plutôt par la sortie directement, discrètement..  « PUTAIN DE MERDE !» L'alarme. Foutue alarme. J'avais pas pensé un instant à ce qu'elle puisse se déclencher, et la priorité devint alors de m'échapper ! Malheureusement pour la jeune femme qui venait d'entrer et se mettre sur mon chemin, je décidai de l'écarter à ma façon.. c'est à dire en enroulant mes doigts autour de son poignet pour la tirer à ma suite. Histoire qu'elle ne vende pas la mèche ou quoi. « Putain j'suis dans la merde là, alors cours! »

« Où, I don't know ! Mais on y va ! Et vite. » Il fallait juste payer ? Ma prise se referma sans que je n'en ai conscience sur son poignet tandis que j'accélérais : je priais secrètement pour qu'elle puisse suivre mon rythme car je ne me voyais pas la traîner au sol, ni la porter. De toutes façons, il me suffisait de la laisser là, de la lâcher, mais malheureusement, tandis que je courrais, mon corps semblait s'y refuser. La nuit commençait à tomber : les journées étaient encore courtes en cette période. Et de là où j'étais, surtout parce que je n'étais pas discret, j'entendais déjà le gars crier au vol. Le pire dans l'affaire les gars ? C'était pas la première fois, et sûrement pas la dernière, que j'allais faire mes courses chez lui, il me connaissait le fourbe. D'ici peu j'aurais droit aux voitures de police, je le savais, il rêvait de m'attraper et m'égorger. Pff, juste parce que je suis plus jeune, plus beau et plus futé ! Je tirai donc la demoiselle dans un recoin plus étroit, et me collai au mur le temps de souffler, ne la lâchant pas : j'étais sûr qu'elle irait me dénoncer. « Attends meuf.. Tu trouves que j'ai une tête à payer mes articles ? »

Si elle pouvait rentrer chez elle ? On se serait cru dans un films d'action où le mauvais garçon enlève l'héroïne. Je la jugeai du regard sans lâcher son poignet, cherchant dans son regard une quelconque trace de loyauté à mon égards puis.. Arf, comment une inconnue pouvait-elle m'être loyale ? S'il faut, je venais de lui foutre la trouille de sa vie, et à peine sortie de la ruelle, elle viendrait me dénoncer. Il attendait que ça, le vieux, me coincer enfin ! Ah non, plutôt crever que la laisser gentiment rentrer. Et dire que tout ça partait simplement de quelques bouteilles volées.. Ma radinerie me perdra. « Pour que t'ailles les aider à me coincer ? Plutôt mourir. Pas avant que je ne sois totalement tiré d'affaire ! » Lorsque les sirènes redoublèrent près de nous, je me plaquai davantage au mur en retenant mon souffle. Pour n'importe qui, cela ne serait que d'un vol banal. Pour moi s'était au moins le cinquième, et j'avais passé tant de temps en garde à vue cette année que je connaissais le nom des flics sur le bout des doigts.

Je paniquais en entendant les sirènes se rapprocher : ça n'était pas parce que j'avais déjà fait de multiples séjours au poste que je ne craignais pas d'y retourner. De plus, cette fois, j'étais réellement coupable de quelque chose. Et de l'alcool en plus ! Je massai ma nuque en cherchant une idée, aboyant presque sur la jeune femme. « Et alors ?! justement,ils vont penser que je t'ai kidnappée en otage ! Aigoo ! » Sans doute me faisais-je des films, mais qui sait ? Je n'étais pas dans la tête des flics. Je retins une nouvelle fois mon souffle et m'accroupis en entendant les sirènes se rapprocher, attrapant délicatement la taille de la jeune femme pour.. la soulever comme un sac de pommes de terre, et la balancer sur mon épaule. « Ecoute j'suis désolé, mais pour le moment tu restes avec moi! » Finalement oui, c'était du kidnapping. Par contre, avec ma sublime gueule, j'avais peur qu'elle développe le syndrome de Stockholm.

Ah la salope. La garce, la pute. Volontaire ou non, je ne savais pas, mais son coup avait eu l'effet d'être placé au bon endroit, en plein dans mon magnifique nez. Je la lachai donc d'une main pour la poser sur ce dernier, réprimant un frisson de dégoût en voyant les premières taches rouges. D'ordinaire je saignais rarement du nez, mais je devais avouer qu'elle avait bien visé.. et bien forcé. « Putain de ta mère ! » Plus que la douleur, c'était l'énervement qui me secouait. Mais je n'avais pas le temps : pas question de me faire coincer. Je refermai donc mes deux mains sur les jambes de la jeune femme et me mis à courir. Qu'importe si les secousses lui donnaient la gerbe, tant qu'elle ne me dégueulait pas dessus tout irait pour le mieux. Condamné à respirer par la bouche à cause du sang qui coulait -et c'était pas du joli-, j'étais bien décidé à ne pas m'arrêter avant un moment, même si le poids était considérable et que je m'épuisais vite du fait.

Qu'elle se confonde en excuses m'importait peu : tant qu'elle ne m'aidait pas à me sortir de ce mauvais pas, je décrétais qu'elle ne me servait à rien d'autre que jouer le rôle du boulet. Et pourtant, je me refusais à la lâcher : non pas que j'étais parano, mais pour je ne sais quelle raison je venais d'embarquer avec moi une meuf qui, si je la lâchais, risquait d'aller me dénoncer, y'avait de quoi baliser. Surtout que j'étais essoufflé. « Ta gueule ! » J'aboyais sans scrupule cet ordre : elle me donnait mal à la tête. Et elle était lourde. Puis apparu une opportunité pour moi : je m'engouffrai dans une petite ruelle à nouveau et me félicitai de connaître si bien Suwon. Puis, à bout de souffle, je me laissai glisser contre le mur sale, sans lâcher le poignet de l'inconnue que je venais de reposer. « ... ... .. Finalement je veux bien tes mouchoirs.. » annonçais-je en essuyant du dos de ma main libre mon visage ensanglanté.

Je la mettais dans de sales draps en l'entraînant dans ma fuite avec moi. J'avais beau la retenir pour éviter qu'elle ne me cafte, si elle était prise avec moi ça n'allait pas être mieux. Ainsi, l'idée, c'était vraiment de pas se faire chopper. Et pourtant, elle m'aidait quand même. Bon, c'était quand même sa faute si mon nez était dans cet état, et j'espérais que ce ne soit rien de grave : de toute façon j'avais pas trop mal, ça ne devait que saigner. « Je.. merci. » Je penchai donc la tête en avant, curieux d'expérimenter sa méthode, tout en tapotant mon nez. Puis, dans un élan de folie, je lâchai son poignet qui avait presque viré au violet à force et essuyait le sang sur le dos de ma main, tout en la couvant d'un regard noir qui, j'espérais, ferait autant « laisse » que mes doigts. « T'envisages pas de partir j'espère, hein ? »

Je repliai les jambes sur moi-même pour lui laisser plus de place et relevai le visage sans la lâcher des yeux. On se serait presque cru dans les films. Le bad boy qui enlève la good girl. Manque de peau, c'était moins classe : j'avais juste volé de l'alcool. Par contre, pour la soirée, je pouvais clairement tirer un trait dessus. La nuit venait de tomber d'un coup, j'étais déjà censé y être. Tandis qu'elle tapotait mon nez, je poussais un soupire dont l'air fit frémir le mouchoir plein de sang, et me permis de détendre l'atmosphère à ma façon, du moins tenter : « Je m'appelle Tao Jun. » J'ignorais combien de temps on allait devoir courir comme ça. La vérité c'est que j'ai pas tout dit : j'avais pas fait que voler des bouteilles, enfin si, cette fois-ci mais.. les flics avaient tendance à me chercher ces derniers jours, depuis que j'avais fuit le commissariat en courant. Depuis je suis sur leur liste noire alors si je me fais chopper, je risque gros. Aigoo si mes parents le savaient. Enfin ils doivent le savoir depuis. Aich, j'suis dans la merde. Lorsque les sirènes retentirent à nouveau, d'un bond je me redressai et remis le sac sur mon dos, faisant s'entrechoquer les bouteilles : « Faut pas qu'on reste là ! »

Dans ma course, je venais de tomber nez à nez avec un agent qui, fort heureusement, n'avait pas l'air d'être au courant. J'étais tombé du bon côté, car quelques minutes plus tard il aurait été informé je suppose ! J'esquissai un sourire encourageant à Ju Ah -je l'avais entraînée alors qu'elle n'avait rien demandé, je pouvais bien me le permettre- et continuai à fuir. Ma voix était entrecoupée d'une respiration sifflante, et mon visage barbouillé de sang avait au moins le mérite d'écarter les gens sur notre passage. « Si t'as de bonnes jambes, tu devrais pas avoir d'ennuis ! » Malgré le poids de mon sac qui me ralentissait, j'arrivai à garder cette longueur d'avance sur elle, et finalement, reculai de quelques pas afin de la saisir par la main et reprendre ma course. « T'en fais pas, le tout c'est de trouver une bonne planque ! » On aurait dit que je sortais d'un film d'horreur : ma main glissée dans la sienne était celle couverte de sang, mon visage était barbouillé.. C'était pas glorieux.

Il est vrai que je connais Suwon comme ma poche. J'y habite depuis longtemps maintenant, et combien de fois y ais-je couru comme un fou pour éviter que les caïds ne me cognent parce que je venais de percer leurs pneus, et autres conneries du genre que seul un gosse peut faire ? Je zigzaguais entre les rues en l'entraînant avec moi, jusqu'à ralentir progressivement : la foule était trop dense pour simplement l'éviter. C'était pas normal d'ailleurs. « Putain c'est quoi cette fois.. ? » Spectacle de rue ? Une star mondiale ? On pouvait s'attendre à tout à Suwon. Mais nous n'avions pas vraiment le temps pour se pencher davantage sur la question, et afin de passer pour deux citoyens normaux, malgré le sang séché sur mon visage, je passai un bras autour de l'inconnue : « Aaaah je t'ai déjà dis que [.. ] » Il fallait saisir la première occasion pour s'engouffrer dans une petite rue. Deux bandits en fuite, pour un crime totalement.. con et futile. C'était tellement risible.

« Bah j'l'ai foutue à la porte ! Attends tu m'as regardé ? » J'imitai un rire gras. Un rire faux. Ma tête bougeait sans cesse, mon regard était fuyant, passant successivement de la jeune femme à la foule, de la foule à la femme, de la femme à la rue. Puis vint l'illumination du siècle pour elle, et j'avais bien saisi son message. Ma main quitta sa taille lorsque la foule se fit moins dense, pour retrouver la sienne, comme tantôt. « T'es un génie ! Enfin j'veux dire.. j'avais pas vu perso. » Finalement, heureusement qu'elle était là quand même. Je me dirigeai donc vers les toilettes publics sans la lâcher, n'ayant aucun scrupule à écarter les gens sur mon chemin d'un coup d'épaule bien placé. Puis, une fois arrivé, je l'entraînai avec moi dans la partie réservée aux femmes : c'était décidément plus propre et moins odorant que du côté masculin. Plus convenable pour une jeune femme, en toute logique. « 'azy aide oam steu'plait ! »

Ah.. Elle me vouvoyait, et je me rendis tout juste compte que, du fait, j'avais été impoli tous ces instants. Je me massai la nuque en riant, détournant mon attention sur mon reflet dans le miroir. Chaque femme rentrant ou sortant nous rappelait combien nous n'étions pas à notre place, combien nous étions de trop et.. combien j'étais laid, mon beau visage ainsi bafoué. Je déglutis, reculant afin de prendre appui contre les lavabos, et la laissai m'arranger comme je l'avais demandé. « Ouais ahah ! Croye moi, croye moi ! Naturellement je suis tout de même plus beau, sans tout ce sang. » Croye, du verbe croyer ouais. Un mauvais mélange entre croyez, et crois. J'avais du mal avec le vouvoiement, et je passais pour un idiot de surcroît. Je lançai un regard par la porte principale, croisant encore une fois le regard étonné, d'une enfant cette fois-ci, et haussai les épaules : « Je sais pas. A mon avis, on devrait repartir aussi vite que possible. Je connais une planque. » On l'avait vue fuir avec moi. Elle y était mêlée. Et je m'en voulais, parce qu'elle n'avait rien demandé hormis faire ses courses. Son regard était droit, il était sincère. « Je suis désolé de t'avoir mêlé à ça.. Il vaut mieux que tu préviennes quelqu'un, non ? »