Je n'étais pas aveugle, et pas idiot. Je voyais bien qu'elle était à bout de souffle, et si je faisais le fier, je n'en menais pas large non plus. Il fallait qu'on atteigne rapidement le lieu que j'avais en tête, c'était plus sûr. « Si c'est bon, alors on va devoir y retourner. » Ce qui est drôle, c'est qu'on faisait tâche dans ce milieu, tous nous regardaient avec de grands yeux, mais personne ne disait rien. Bon, pour ma soirée, c'était loupé. J'ignorais pour quelle raison elle n'avait jamais formulé le désir de s'en aller, car bien que je ne lui laisse pas l'occasion, elle est restée presque de marbre. « On sort, on prend à droite de l'allée principale, et ensuite tu verras. Ils viendront pas nous chercher là-bas. » A nouveau, ma main dans la sienne, je sortis avec précautions. Nous remontions ainsi l'allée principale sans la moindre encombre malgré nos regards inquiets, jusqu'à nous trouver dans une étroite petite rue montante. « Encore un peu, et on y sera. » J'étais épuisé, vraiment. Courir partout, la porter tout à l'heure, mon sac..

Encore quelques pas, puis tourner à droite.. Je tentais de me remémorer l'endroit exacte de la planque. J'appelais ça la planque puisque c'est là qu'on venait à chaque fois se réfugier, en vérité c'est le logement qui appartient à la famille Ham mais où personne ne vit. On réserve les lieux pour les repas de famille et ce genre de chose. Tout bon Ham qui se respecte a la clé. Arrivé devant le garage, je tâtais mes poches pour ressortir mon trousseau : « Non, ça va. Sans toi je me serais déjà fait coincer alors.. ». Ah. Sa tête venait de heurter mon torse, me faisant sursauter et perdre mes clés du fait. Je me baissai donc pour les ramasser, lui adressant un sourire sincère au passage. Tout compte fait, je ne regrettais pas de l'avoir embarquée. « Merci à toi. Aller, vient. Et profite, c'est pas tous les jours que les Ham reçoivent des étrangers. » Je ris, comme pour alléger la situation, et ouvrit la porte du garage pour me glisser à l'intérieur, allumant la lumière au passage. Naître dans une famille riche, neveu d'un PDG, ça avait du bon.

Elle n'était pas la première à se cogner contre mon torse, accidentellement ou non, et ne serait sûrement pas la dernière. De plus, je n'étais pas d'ordinaire prude ou gêné d'un rien, aussi je n'avais pas relevé, passant sous silence cet épisode. « Non pas vraiment, disons plutôt que c'est.. » Amusé de la voir s'arrêter telle une gentille fille sur le palier, je me mis à rire : nous venions de rire au nez de la police, elle était désormais complice d'un vol en magasin, et elle s'arrêtait pour une question de respect je suppose ? Je tirai donc doucement pour sa main pour l'inviter à entrer, refermant la porte du garage dans notre dos. Pour certains, la conception de ce genre de bâtiment était encore floue, pour les gens aisés comme nous, c'était monnaie courante. « C'est un domicile familial. Toute la famille Ham en a les clés. Mais personne n'y habite vraiment. » Je daignai enfin lâcher sa main, et m'étirer. Ici nous étions en sécurité, et ça faisait du bien de pouvoir se poser et reprendre son souffle. « Au fait, tu peux me tutoyer. C'est gênant autrement, tu sais ? »

« T'inquiète, c'est bon. » D'ordinaire, il n'était pas dans mes cordes de mettre quelqu'un à l'aise alors que je ne connaissais pas cette personne, mais je me sentais juste extraordinairement redevable envers Ju Ah. Certes elle avait été sur mon chemin et m'avait involontairement frappé en plein dans le nez, mais c'est aussi grâce à elle que j'ai pu fuir aussi loin et passer sous le nez des flics, alors.. Je ne regrettais rien. « Tu sais je me disais.. T'es bizarre quand même comme fille. » J'avais mille et une questions à son sujet. Enlevant mes chaussures près de l'escalier, je finis par grimper rapidement ce dernier pour accéder à l'étage puisque tout le rez-de-chaussée servait de garage, et l'invitait à en faire de même : « Oui je pense rester là. Tu viens ? T'auras qu'à appeler en haut, pour qu'on vienne te chercher. » Je laissai la porte ouverte afin qu'elle me suive, et poussai un long, profond et significatif soupire de bien-être. Cet immense appartement blanc et luxueux, au mobilier moderne et cher.. ça portait la signature Ham. C'était bon, de se sentir chez soit !

J'étais chez moi, et ça faisait du bien. Je pouvais circuler librement, m'étaler librement, faire ce que je voulais en somme. Et bon sang, quelle satisfaction ! Depuis que j'avais lâché son poignet, elle était en droit de faire ce qu'elle souhaitait, et l'instant ne faisait pas exception : tandis que je gagnais la cuisine agencée sur le modèle américain pour sortir du frigo une bouteille de coca-cola, je lui offrais le salon. « Ah ouais ? Qu'est-ce que tu t'emmerdes alors ? T'as qu'à rester ici cette nuit, et je te ramène demain, non ? » Proposer une telle chose à une inconnue, c'était un peu précipité, mais je n'avais pas cette sensation de faire face à une étrangère. D'autant plus que je lui devais d'être ici. Je posai le sac sur la table de la cuisine, l'ouvris, et rangeai ainsi l'alcool dans le placard au dessus du plan de travail. « Enfin, fait comme tu préfères. En attendant, tu veux boire quelque chose ? J'ai du rhum, de la vodka, du soho, de l'eau, du coca, du jus de fruit, de l'oasis.. Met toi à l'aise.. » Je n'étais d'ordinaire pas très bon pour l'altruisme et je me moquais bien que mes convives se sentent bien ou non : j'étais un Prince refoulé, tout confort devait être exclusivement pour moi. Mais là c'était légèrement différent, et j'arrivais même à être inquiet pour elle.

Je ne voyais pas vraiment en quoi cela pouvait me déranger, on devait bien avoir huit chambres ici, plus le canapé et les lits superposés des chambres des gosses.. ça n'était pas l'espace qui manquait, quand bien même elle trouvait ça « space » et je la comprenais, étant donné que la demande venait d'un inconnu à une inconnue.  « T'en fais pas, personne risque de débarquer et c'est pas la place qui manque. Même si j'avoue que c'est pas mon trip d'héberger des étrangers » Je ris machinalement comme pour détendre l'atmosphère et m'empressai de remplir son verre, et de prendre une des canettes de bière traînant dans le frigidaire. Les deux boissons en main, je pris place à côté d'elle sur le canapé en posant son verre sur la table basse, tout en gardant mes distances physiques comme par sécurité. « euh.. 'fin ouais c'est assez space quand même. Et puis j'suis franchement désolé de t'avoir embarquée, j'ai pas vraiment réfléchi. » Pour changer tien. L'impulsivité, c'était tout moi, et ça n'était que peu avantageux. Par automatisme, je posai mon index sur l'arrête de mon nez pour vérifier son état.