# fate is coming, time is running. #

Ma mère était une artiste, elle dessinait magnifiquement bien. Je l’ai toujours admirée, toujours adulée. Elle a été pour moi un grand modèle et encore maintenant, d’ailleurs. Elle m’a toujours épaulée, soutenue et encouragée. Ses mots me tourmentent encore. Elle voulait que je sois la meilleure, la meilleure pour moi-même. Pour mon propre plaisir, mon propre estime.
Mon père, lui, était un grand sportif. Depuis mon plus jeune âge, je suis baignée dans le sport. Je suis passée par plusieurs domaines et j’ai participé à beaucoup de compétitions. Mon père était, en quelque sorte, mon entraîneur. Il me réveillait aux aurores, me préparait mon petit-déjeuner et me faisait courir avant d’aller à l’école. J’avais un régime spécifique et quatre heures de sport chaque jour et davantage le week-end et les vacances. Mon père voulait que je sois la meilleure, la meilleure pour lui-même. Il avait pour but que je prenne la relève et que je sois au sommet à chaque fois.
Moi, j’étais une gamine épanouie, élevée par mes deux parents aimants. Je suivais le rythme, je n’avais pas le choix. Je devais faire de mon mieux pour ne pas décevoir mon père même si les entraînements m’épuisaient et même si je n’aimais pas le sport qu’il me faisait faire. Passant par l’athlétisme, la gymnastique, le cyclisme et l’escrime. Papa n’a jamais compris que ce que j’aimais, c’était la danse. Un sport de tapette, comme il aimait le dire et encore, il ne considérait même pas la danse comme un sport. Au fond de moi, je le savais. Je savais que papa regrettait de ne pas avoir eu un garçon.


Je ne suis pas restée un bébé éternellement, on s’en doute bien, et mon père a eu énormément de mal à comprendre que le corps d’une petite fille changeait, se déformait pour devenir celui d’une femme. Les règles, la poitrine, les hanches. Mon régime devenait de plus en plus strict car je n’avais pas le droit à un faux pas, pas un kilo en plus. Ma mère essayait de me consoler lorsque je pleurais, seule, assise au pied de mon lit. Je souffrais silencieusement pendant que mon père m’utilisait pour me changer en une simple machine. Ma mère ne pouvait rien faire, elle n’avait plus la force de se battre. Je la vois encore assise derrière son chevalet, son joli bandeau aux couleurs pastel sur la tête, cachant son crâne apparent. Maman était atteinte d’un cancer et se battait chaque jour contre la maladie. Maman n’avait pas besoin d’un fardeau de plus à sa vie, je ne voulais pas qu’elle s’inquiète pour moi. Je prenais alors sur moi et je pleurais dans les vestiaires de l’école. C’était le seul endroit où personne ne pouvait me surprendre, où personne ne pouvait me poser de questions. Je me suis battue de mon côté jusqu’au jour où ce qui dû arriver arriva.


C’était un samedi matin, seules à la maison, papa était à l’une de ses compétitions pour le week-end. Cette fois, il ne m’avait pas emmenée car je devais m’occuper de maman qui se sentait de moins en moins bien. Il n’avait pas voulu l’emmener à l’hôpital, voulant attendre de revenir et constater une amélioration. Maman avait l’habitude de se lever tôt et, pourtant, lorsque je m’étais levée sur les coups de dix heures, il n’y avait aucune trace d’elle dans la maison. Du haut de mes onze années, j’ai vu et ressenti les pires choses qu’on ne pourrait imaginer. Maman était là, allongée dans son lit. Je pensais qu’elle dormait toujours, elle devait certainement être épuisée. Je me suis glissée sous les couvertures, me calant contre elle pour la câliner mais son ventre ne se soulevait pas au rythme de sa respiration, je ne sentais pas non plus son souffle au creux de mon cou. Je l’ai donc appelée, gentiment, avec mon air adorable. Je l’ai doucement secouée pour qu’elle se réveille. Maman ne bougeait plus. Maman n’ouvrait plus les yeux. Maman ne respirait plus. Et ma vie s’est effondrée.


J’ai alors vécu huit ans sous l’autorité d’un père seul. D’un père détruit. Je ne lui en ai jamais voulu de m’avoir quelque peu abandonnée après la mort de maman. Je lui en ai voulu pour ce qu’il m’a affligé ensuite. Je n’avais jamais ressenti une telle douleur physique après ses entraînements. Papa s’acharnait sur moi. Je n’avais plus aucun répit et même si je finissais aux urgences, papa recommençait finalement à ma sortie. J’avais besoin de respirer. Maman me manquait. Plusieurs fois, j’ai voulu la rejoindre, pensant que ma vie n’avait plus aucun sens sans elle. Ses mots perdus dans les méandres de ma mémoire, je me souvenais qu’elle me répétait sans cesse de me battre et d’affronter la vie. J’ai alors voulu avoir une discussion avec mon père, lui disant ce que j’avais sur le cœur. Des phrases méditées, pensées et faites pour qu’il comprenne sans être blessé. Pourtant, la seule réponse a été la marque de ses doigts collée sur ma joue. O grand jamais on ne m’avait frappée jusqu’à ce jour. Je m’en souviens encore. Depuis cela, je suis devenue cette adolescente qu’on pourrait classer « en pleine crise » mais si seulement les gens savaient. Papa n’a pas compris non plus la fois où j’ai ramené une fille un peu plus vieille que moi à la maison. J’avais déjà eu un petit ami auparavant, en cachette, mais je voulais prouver à mon père que je n’étais pas celle qu’il voulait que je sois. J’ai alors pris mon courage à deux mains pour lui annoncer que je n’aimais pas que les hommes. Et une fois de plus, ma joue s’est teintée de rouge mais en plus de cela, j’ai eu le droit à un tas de reproches, des mots qui se sont ancrés en moi, qui me font souffrir encore aujourd’hui. Il n’avait pas le droit de cracher son venin et surtout pas de me virer de chez lui.


Ma tante habitant à Suwon, je me retrouve alors ici depuis deux ans, entamant mes études sans avoir de nouvelles de mon père. J'ai navigué entre chez ma petite-amie, chez mes grands-parents et chez ma tante. Aucun membre de ma famille, excepté mon père, n’est au courant de ce que je suis. Il ne me connaisse pas, il ne me connaisse plus. Je n’arrive déjà plus à me reconnaître. Je ne sais plus qui est cette jeune femme face à mon miroir. Mais je dois tout de même me faire violence et m’accepter. Mais savez-vous comme c’est dur ?


« Tout est de ta faute. Tu n’as rien à faire ici. Tu n’es pas ma fille, tu n’es plus ma fille. Tu m’as déshonoré et tu le paieras. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Tu joues la différente pour me mener la vie dure ? De toute façon, tout a toujours été de ta faute. Tu n’as jamais été celle que tu devais être. Maintenant, dégage, je ne veux plus jamais te revoir. Dégage. »