Je connais le chemin par cœur pour venir jusqu'ici et pourtant je ne l'ai pas pris depuis plusieurs jours déjà. Il n'y a pas de raison particulière. Enfin j'imagine. Je perds souvent la notion du temps. Je ne m'inquiète pas vraiment de savoir quel jour on est. D'ailleurs je me retrouve souvent débordée, je devrais faire attention. Non, je dois faire attention. Je me laisse portée par le temps qui passe alors c'est sûrement ma faute si on ne s'est pas vu depuis un petit moment. Je suis sûre que si j'en parlais à Se Ra elle me dirait que Shin pourrait faire un effort aussi. Et si elle me disait ça je lui répondrais qu'il a déjà prit la peine de m'écrire plusieurs fois. Au final la conversation tournerai en rond. Parce qu'au fond je me fais peut être des films. J'ai l'impression de ne pas avoir répondu assez vite mais c'est peut être le temps qui me joue des tours. Je cherche peut être des problèmes là où il n'y en a pas. Parce que jusqu'ici il n'y en a jamais vraiment eu et qu'il faut un début à tout ? J'ai l'impression que j'essaye de les provoquer en allant chez lui sans prévenir. Mais je ne peux plus me contenter de messages ou de quelques appels, parce que mon cerveau a décidé d'y chercher un sens caché. Je me dis que débarquer à l'improviste sans demander l'avis de personne c'est le mieux. Le mieux pour faire voler mes doutes en éclats. J'arrive devant sa porte. J'étais sûre de moi en venant et maintenant je me retrouver à essayer de cacher ma nervosité. Pathétique. Je sors mon portable « Dis, t'es chez toi ? » message envoyé. J'espère qu'il n'est pas à une soirée, avec la chance que j'ai ça pourrait bien arriver. Je sais pas si je me sens capable d'attendre parce que j'ai vraiment envie de le voir.

Plus de nouvelles depuis quelques jours. Peut-être voyait-elle d'autres personne. Ou une autre personne. Shin n'avait pas cherché à prendre des nouvelles, ces derniers temps. Les réponses tardives de Tara lui laissaient penser qu'elle avait d'autre chose à penser ou que peut-être, elle se sentait un peu envahie. Vouloir un peu d'indépendance, c'était excusable. Mais ça laissait à Shin tout le temps de réfléchir, de faire des hypothèses, de douter.

Alors qu'il s'acharne sur une manette, face à l'écran, il tarde un peu à s'arrêter quand il entend son portable vibrer. Il finit néanmoins par saisir son cellulaire, à jeter un coup d’œil à l'écran. Tara. Elle lui demandait s'il était à l'appartement. « Ouais. Pourquoi ? » A peine le bouton « envoi » est il pressé, que l'analyse se fait. Elle voulait sûrement le voir. Peut-être histoire de se faire pardonner d'avoir été un peu absente ces derniers temps. Et sûrement pensait-elle qu'aller le voir directement, à l'improviste, en espérant qu'il soit disponible le soit même aurait plus d'impact que de lui passer un coup de téléphone ou lui envoyer un simple message. Du coup, avant de se mettre en route, elle lui demandait quand même s'il était là. « Ça fait longtemps qu'on s'est pas vus. Tu étais beaucoup occupée ces derniers temps ? » renvoie t-il, à peine le premier message réceptionné par Tara. Sous-entendu : ça fait un bout de temps que j'ai l'impression que t'en a pas grand-chose à foutre de ma gueule. Ne jamais dire les choses clairement mais faire sentir quand même son pressentiment. Du Shin tout craché.

En venant jusqu'ici je ne me suis pas demandé ce que je ferai s'il n'est pas là. J'ai juste eu envie de venir et je n'ai réfléchi à rien. Je ne sais même pas ce que je vais dire pour m'expliquer. Parce que j'imagine que je vais avoir à le faire. Je crois que c'est ce qui me rend nerveuse. Comment justifier que j'ai perdu la notion du temps alors que ça sonne comme une excuse. Même moi si quelqu'un me dit ça je ne suis pas sûre de bien le prendre. Je sors mon portable et lui demande s'il est chez lui. Il faut vraiment que j'arrête de dramatiser. Difficile quand la réponse se fait longue. Je commence à me trouver stupide d'envoyer un message au lieu de frapper comme tout le monde. Réponse, il est là. Un sourire se dessine sur mes lèvres et je laisse de côté mon besoin de tout anticiper. Car au final ça se passe jamais comme j'imagine. Je m'apprête à frapper à la porte quand mon portable vibre à nouveau. Nouvelle vague de nervosité. « J'ai pas vu la semaine passer. Tu m'ouvres ? » Pas de oui. Pas de non. En fait c'est la première phrase qui m'est venue j'espère qu'il s'en contentera. Message aussitôt envoyé je frappe enfin à la porte. Laissant ces derniers jours derrière moi. Même si je réfléchi beaucoup je suis capable de passer rapidement à autre chose. Ou du moins de m'y forcer. Alors là tout ce qui compte c'est qu'on va enfin se revoir. Et cette pensée me décroche un nouveau sourire.

Pas de confirmation, pas de démenti. Une réponse évasive qui laisse Shin penser que sa question l'avait mise mal à l'aise. Il se contente de cette réponse, n'en dit rien. Mais n'en pense pas moins. Elle n'avait pas vu la semaine passer. Cette maigre excuse lui apparaît comme toute faite, un justificatif tendu à toute occasion pour se faire pardonner. Ça avait beau être la première fois, ça suffisait à Shin pour remettre les choses en question.

Stop. Elle est sur le pas de la porte. Elle a pris la peine de se déplacer pour le voir, sans garantie. Un coup résonne dans le corridor exigu. Il prend un instant pour reprendre ses esprits et se résonner. Secoue la tête, et va ouvrir la porte. La clef est tournée, la poignée actionnée. Elle est bien là, souriante. Une contemplation rapide, un sourire étire à son tour les lèvres de Shin. « Rapide. » Un ton vaguement amusé qui laisse paraître son étonnement. C'était une agréable surprise, certes. Mais une surprise malgré tout.

Son bras s'étend pour saisir le poignet de Tara et la ramener contre lui. Le bras glisse sur les hanches, un baiser est déposé. Un court instant de chaleur et de douceur pleinement savouré. Il recule un peu, reste silencieux, observe, les lèvres toujours vaguement étendues. Sa main remonte le long du dos pour inviter Tara à ne pas rester sur le pas de la porte. « J'pensais pas que tu serais là aussi vite. » reprend-il, le temps qu'il ne referme et verrouille la porte. Se retournant vers elle, il a un petit mouvement de tête en sa direction, sourcils haussés. « Ça fait longtemps que t'es ici ? » C'était tout de même surprenant – impossible – qu'elle ait put venir aussi rapidement.

La porte s'ouvre et il n'y a plus de trace de nervosité en moi parce que je ne réfléchi plus. Je laisse toutes les questions de côté et mon regard se pose sur son visage souriant. Finalement je crois que je me suis encore perdue dans des raisonnements inutiles en venant. Je vois son étonnement parce que je suis déjà là. Il aurait été logique d'envoyer un message avant de partir mais évidemment encore une fois je ne suis pas logique. « Et oui déjà là ! » Non tu ne rêves pas; je me laisse entraînée contre lui, il m'a manqué, nos contacts m'ont manqué, je dois l'avouer. Sa main dans mon dos, je m'avance pour entrer. J'espère vraiment avoir eu tant d’appréhension pour rien. Il ferme la porte et se retourne vers moi. Mon arrivée soudaine ne passe pas inaperçue. « Non, depuis quelques minutes. Je fais les choses à l'envers, je viens et après je m'assure que t'es là. » Un petit rire, non non ce n'est pas une blague, je suis totalement illogique. Je m'avance vers Shin et pose mes mains sur son torse, inquiète. « Je ne te dérange pas j'espère ? » Quand je dis que je fais tout à l'envers. « Tu n'avais rien de prévu ce soir ? » Je glisse mes mains dans son dos pour l'enlacer comme si je pouvais réduire la distance de ces quelques jours par un geste.

Facile d'avoir des doutes et des inquiétudes quand Tara n'était pas là. Pourtant, maintenant qu'elle était ici, face à lui, souriante, naïve et presque insouciante, chacune de ses inquiétudes semblaient envolées. Peut-être n'y avait-il pas lieu de se faire du souci, en fin de compte. Maintenant qu'elle est à ses côtés, chacune de ses pensées semblent biaisées, infondées, illogiques et paranoïaques. Comment est ce que je peux penser de telles choses, alors qu'elle fait l'effort de venir, sans avoir aucune garantie ? Peut-être a t-elle plus d'intérêt pour moi que ce que je n'ai pu le penser au cours de ces derniers jours. Cascade de nouvelles pensées qui martèle. La logique semble basculer, paraît infondée.

Mais le problème, le vrai, était probablement que Shin était incapable de faire part de ses impressions. Par peur qu'elles semblent infondées. S'il en parlait maintenant, il craignait que Tara réplique, qu'il semble exagérer un minime état des faits. Alors comme souvent, les mots restent bloqués au fond de sa gorge, même s'ils sont bel et bien là. Ils demandent à sortir. Mais il les retient. Par manque d'envie de briser quelque chose, alors qu'il n'y avait peut-être pas lieu de le faire.

Il se contente de sourire. De paraître pleinement satisfait qu'elle soit là – ce qui est loin d'être faux. Ses mains glissées sur le torse de Shin, Tara demande si elle ne le dérangeait pas. « Non, du tout. » Il secoue la tête, posant ses mains sur les hanches de sa vis-à-vis. « J'pensais rejoindre les autres, mais j'ai eut la flemme finalement. » explique t-il quand une nouvelle question lui est posée sur ses occupations de la soirée. L'espace entre eux se réduit. Un petit soupir est lâché, malgré lui, avant que Shin ne recule un peu. Il observe Tara un instant... Et reprend une conversation des plus banales ; « Tu voulais qu'on sorte, sinon ? » demande t-il, avant de secouer la tête pour faire signe de rejoindre la pièce principale. Une fois à nouveau affalé sur le sofa, il reprend ; « Et ta semaine ? Bien passée ? »

Je suis rassurée. Rassurée qu'il soit là, rassurée qu'il n'ait rien de prévu mais surtout rassurée qu'il ne m'en veuille pas. Même si pour la dernière raison je ne me fie qu'à mon ressenti. Ce serait bien d'être dans sa tête parfois. Inconsciemment, j'ai fini par me convaincre que je suis la seule fautive. Voit-il les choses de la même façon ? Je fuis ce sujet de conversation parce que si c'est le cas je sais que je pourrai finir par rejeter la faute sur lui, je me connais. C'est paradoxal de se juger coupable mais de ne pas s'excuser. Illogique pour ne pas changer. Je continue à agir comme si cette semaine n'avait jamais existé. Merci flemme de Shin. Comme si la distance invisible n'avait jamais existé. Rêve Tara rêve. Elle existe. Un soupir ? J'ai l'impression de vivre une de ces scènes qui passent tellement vite qu'on ne comprends plus rien à ce qu'il se passe. J'essaye de cacher mon incompréhension après l'avoir vu reculer. De me convaincre que ce n'est rien, qu'il n'y a rien. D'ailleurs il n'y a plus d'assurance. Et lui qui reprend et rejoint la pièce principale ! Je le suis, continue à prendre sur moi comme si je ne savais faire que ça. « Non. » suis-je encore en train de tout exagérer ? « Juste rester ici avec toi. » J'esquisse un sourire discret alors que je m'assoie à côté de lui. Ma semaine ? Je fais en sorte de dire les choses sans reproches. « Elle ne peut pas bien se passer si je ne te vois pas. » Un brin mélancolique ma phrase. Je ne veux pas de cette ambiance. Retour de la Tara souriante. « Et la tienne ? Raconte moi tout ce que j'ai raté. » Je me rends compte qu'en parlant trop vite je viens encore de fuir.

Amen. Tara non plus ne souhaitait pas sortir. Shin se contente d’opiner ; ça lui convenait parfaitement. Faisant en sorte qu'il ne résonne aucun reproche dans sa voix, il interroge sa vis-à-vis sur sa semaine passée. Et... La réponse donnée le laisse un peu perplexe. Malgré lui, il reste silencieux, sans trop savoir que dire. Est ce qu'elle lui reprochait de ne pas avoir plus prit de ses nouvelles, alors qu'il avait prit les devants ? Où est ce qu'à rester lui même silencieux, c'était lui qui laissait sentir son amertume à ce sujet ? Un peu agacé à cette pensée, Shin s'essaye néanmoins à esquisser un sourire, qui ne se révèle pas très sincère. Tara l'interroge à son tour. « Rien de particulier. Une semaine assez chiante, à vrai dire. » annonce t-il sobrement, sans tenir à renter dans les détails de la routine. Il finit par tourner le visage vers la jeune femme, tout en reprenant ; « Tu m'as manqué. » Et c'était chose vraie. Une fois encore, une esquisse de sourire arque ses lèvres, mais... Malgré lui, il n'arrivait pas à être sincère. Trop de choses qui le travaillait, qui le rendaient plus nerveux qu'à l'ordinaire.

Cherchant encore une fois à garder ses pensées pour lui, Shin regarde autour de lui. Une échappatoire, qu'elle quelle soit. Son regard se pose sur le guéridon, où trône un amas de bazar. Il étend le bras, saisit un paquet de cigarettes et un briquet. Ça ne ferait que retarder l'impact de quelques secondes... Pourtant, le Coréen prend le temps de récupérer une clope, de l'allumer, de tirer une latte en silence. Passable détente alors que la fumée s'échappe en une danse abstraite. Il inspire longuement. C'en était assez. S'il avait quelque chose à dire, autant se laisser parler. La communication, c'est important, à ce qu'on dit. Et s'il souhaitait être véritablement rassuré, la seule façon de l'être était de parler à Tara, et d'espérer qu'elle le contredise sur ses impressions. Continuant à fumer, il reprend ; « Pour tout te dire, j'avais l'impression de te déranger à chaque fois que je cherchais à te contacter. »

Un jour mes sentiments me rendront plus folle que je ne le suis déjà, peut être même ce soir. Je n'arrive plus à suivre mes pensées. Une phrase de sa part et dans ma tête tout bascule. Je ne suis pas quelqu'un qui cherche une explication à tout mais avec Shin c'est différent. Le moindre silence affecte mes émotions sans raisons. Même pour une simple question sur ma semaine je me prends la tête pour ne pas dire quelque chose de travers. Et pourtant nouveau silence de sa part accompagné par ce que j'interprète comme un sourire forcé. Pourtant je souris à mon tour et lui retourne la question. Je lui ai manqué et pourtant encore ce sourire qui me fait réfléchir. Stop. « Heureusement que je suis venue alors. » Dis sur le ton de la plaisanterie. « Tu m'as manqué aussi. » Je le fixe comme pour effacer les doutes qu'il pourrait avoir. Paraît que les yeux ne mentent pas et les miens sont très expressifs. Plus les secondes passent et moins j'arrive à détacher mon regard. Je ne dis rien, je me contente de l'observer fumer. Je suis venue mettre les choses aux clair et pourtant c'est tout ce que je ne fais pas. Le temps semble figé. Parle Tara, parle, toi qui n'aime pas les malentendu. Et pourtant c'est lui qui parle. Je me retrouve face à ce que je ne voulais pas entendre, je détourne le regard. Silence. Il est la dernière personne à qui je veux donner cette impression. « Non jamais ! » J'essaye de reprendre mon calme, comment dire les choses simplement ? « J'ai pris la mauvaise habitude de ne pas répondre sur le moment. De remettre les choses à plus tard. » Je me rapproche de lui, attrapant sa main libre. « C'est pas contre toi. » J'esquisse un sourire qui se veut rassurant avant de lâcher sa main et reculer.