Assis à ma batterie, je tape frénétiquement sur les cymbales. J’en ai trop sur le cœur, j’ai trop à dire, j’ai besoin de parler. Je joue depuis plus d’une heure sur mon instrument, évitant de prendre mon téléphone, évitant de répondre à Jin Sil surtout. Elle cherche à me voir je crois, ce n’est pas dit ainsi dans le message, mais je sais que ça dériverait là-dessus si j’y répondais. Je meurs d’envie de la revoir, mais je ne pense pas non plus supporter de voir son corps couvert de blessures, je ne supporterais pas de voir son visage triste, sombre, sans vie. Je meurs d’envie d’écraser la gueule de son petit ami sous ma chaussure, contre le trottoir, je meurs d’envie de plonger mon poing contre son corps frêle pour lui faire payer tout le mal qu’il fait à celle que j’aime. Je meurs simplement d’envie de le voir mourir. Suis-je un monstre de penser cela ? Certainement, mais, ça me ferait vivre plus en paix.

Seulement, je ne dois pas y répondre, non, je ne dois pas. Je ne peux pas faire ça à Sera, ce n’est pas possible. Je viens de casser une de mes baguettes. J’ai tapé trop fort. Je râle, je jure, je grogne, j’en prends une autre dans le tiroir, et finalement laisse la paire de baguettes sur le tambour de la batterie. Il faut que je me calme, il faut que je trouve le moyen de me calmer. Je regarde l’heure, Jie ne devrait pas tarder. Seigneur, j’ai l’impression que cela fait des années que l’on ne s’est pas vus, je n’ai pas pour habitude de ne pas le voir justement. Les journées à Hong Kong que l’on passait tous les deux sans se soucier de quoi que ce soit me manquent terriblement. Elle était facile cette époque, elle était simple, elle était presque innocente.

Mais nous sommes adultes maintenant. On commence à comprendre le poids que la société pose sur nos épaules, et ça ne m’atteint pas vraiment. Le poids que nos relations posent sur nos corps par contre, commence à m’étouffer.  Je prends une bière dans mon frigo, et m’assois sur mon canapé. Je regarde mon studio, il est en bordel. Iseul a encore laissé des affaires sur mon lit, et Ren est certainement passé me piquer des fringues vu l’état de mon armoire. Je souris un peu, mes amis donnent vie à ce petit appartement. Jie dépêche-toi d’arr… Je n’ai rien dit, la sonnette vient de retentir, et sans même prendre la peine de m’assurer que c’est lui, j’appuie sur le bouton de l’interphone pour que la porte en bas de l’immeuble se déverrouille, et j’ouvre ma porte en grand pour qu’il entre dès qu’il arrive au dernier étage. J’ai besoin de mon meilleur ami, et, j’ai bien l’impression, qu’il a tout aussi besoin de moi.

Je suis stressé. Non. C'est plus que ça. C'est.. Pire que ça. J'ai l'impression que ma tête est sur le point d'exploser, trop de pensées encombrent mon esprit durant ce trajet de métro, et pas que mon esprit, mon cœur aussi. Il n'a jamais battu aussi vite. Enfin, si, avec Shûji évidemment, mais là c'est un autre sentiment qui le fait battre aussi vite : la peur. Je suis effrayé, totalement paniqué. J'ai presque envie de poser un lapin à mon meilleur ami. Comment dire à son ami de toujours, celui qui m'a toujours connu jusqu'au bout des doigts, que je sors avec un homme ? C'est tout bonnement impensable. Je n'arrive même plus à réfléchir.

Je descends du métro avec un air visiblement agacé, sourcils froncés, mains enfoncés dans mes poches, je me dirige vers le studio de Ethan. Si on oublie cette frayeur, je suis vraiment heureux de le revoir. On avait pour habitude de passer la plupart de notre temps ensemble en Chine, depuis qu'il est parti en Corée, ce n'était plus possible, mais maintenant que j'y suis, c'est encore pire. Limite j'ai l'impression que nous sommes des étrangers tellement on ne se voit pas. Je ne sais pas encore si j'aurais le cran de lui dire alors qu'on vient tout juste de se retrouver. Mais ce secret est si pesant, et je sais que cela ferait énormément plaisir à Shûji de voir que je suis plus sérieux qu'il ne le pense avec lui.

Quoi qu'il en soit, je laisserai Ethan vider son sac le premier, j'ai bien compris qu'il en avait besoin lorsqu'il m'a laissé un message il y a quelques jours, étant aux abonnés absents depuis mon arrivée en Corée du Sud, je lui dois bien ça. J'arrive plus vite que je ne le pensais devant la porte de Ethan, je suis nerveux. J'aurais tellement pas l'air naturellement avec mon propre meilleur ami, c'est fou à quel point un aveu peut perturber le comportement de quelqu'un. Je souffle un bon coup en secouant la tête, me vidant ainsi l'esprit, je lève le doigt vers la sonnette et j'appuie sur le bouton qui signe mon arrêt de mort j'ai envie de dire. Néanmoins, je tâche de sourire ne serait-ce qu'un peu, je suis ravi de le revoir après tant de temps passé sans lui. Je considère Ethan comme mon frère après tout.

Lorsqu’il passe le pas de ma porte, un sourire s’affiche enfin sur mes lèvres. Certes mon meilleur ami a l’air agacé, certes il a l’air inquiet, certes il a pas l’air frais, mais moi je suis heureux de le revoir. Parce que j’ai l’impression que le temps n’a pas fait d’effet, qu’il ne s’est pas écoulé, que c’est toujours pareil entre lui et moi, que c’est simplement, et surtout, mon meilleur ami qui vient d’arriver chez moi. Je pose ma bouteille de bière et le prends dans mes bras en riant. « Putain gros, faudrait que tu viennes plus souvent me voir ! » Oui, bon, je pourrais le faire aussi, mais lui il vit pas seul, et puis, dans mon état actuel, dans ma situation actuelle avec Sera, si je pouvais éviter de croiser Hiro ça m’arrangerait. J’ai pas envie de lui rendre des comptes dans l’immédiat alors que j’ignore totalement ce que je vais faire avec sa meilleure amie.

Je relâche Jie et lui fais signe de faire comme chez lui. De toute manière, chez moi a toujours été chez lui. C’est un frère pour moi. J’ouvre le frigo et lui sors une bière, que je lui tends en m’asseyant sur mon lit, face à lui. « Mec on se traine des gueules, ça devrait pas être permis… » Je le regarde, et j’ai l’impression de me voir. Il est aussi fatigué que moi, il est aussi fermé que moi. Il nous arrive quoi sérieusement ? La Corée n’était peut être pas une bonne idée en fin de comptes.

« J’ai envie de reprendre la compétition, j’ai presque envie de rentrer chez nous, tu te rends compte ? » dis-je d’une faible voix en finissant ma bière, passant une main dans mes cheveux. Je dirais que ma mère me manque, presque. Et dire ça, c’est en dire long. Ma mère est une sorcière. Je me lève et viens m’asseoir à côté de Jie, mes coudes sur mes cuisses, penché en avant, regardant la table basse. « J’ai l’impression que la Corée nous mange à petit feu, ou plutôt, que les Coréens nous mangent à petit feu, t’en dis quoi ? » Je tourne la tête vers lui. Mon visage est triste, mais mes yeux sont réconfortants. Il ne me laisserait jamais tomber ce bonhomme, jamais.

Spoiler:

Dès que je vois mon meilleur ami m'ouvrir la porte, un large sourire s'empare de mes lèvres. Ça faisait bien trop longtemps que je ne l'avais pas vu. On était toujours fourrés ensemble en Chine, maintenant que ce n'est plus trop le cas, ça créé un vide énorme. Je passe mes bras autour de lui et je le serre contre moi dans une étreinte amicale, je m'écarte de lui en arquant un sourcil, je lui assène un coup à l'épaule. « Tu peux causer toi ! » J'aimerais le voir plus souvent, mais bien évidement, dès que j'ai du temps libre, je le consacre à Shûji, je ne devrais pas faire ça, sachant qu'il s'envoie encore en l'air avec d'autres, du moins, j'en suis persuadé. Je me demande comment je fais pour supporter ça, et ne pas me venger en allant voir ailleurs comme avant. Des fois, j'ai envie de tuer ce sentiment qu'on nomme « amour ».

Je n'attendais même pas que tu me fasses ce signe pour faire comme si c'était chez moi, nous avons beau être en Corée, je me sens toujours à mon aise chez toi. Je tire une chaise et je cale mes fesses sur celle-ci, j'attrape la bière que tu me tends, je l'ouvre et je bois une gorgée en le regardant, j'écoute ce qu'il me dit. Je ne peux que rire en me retenant de recracher ma gorgée de bière. J'admets qu'on a tous les deux des têtes de cadavres, ni plus ni moins. Je lève ma bière vers toi avec un sourire sarcastique. « À nos têtes de cadavres. » Je rebaisse ma bouteille ensuite en soupirant, n'empêche que depuis que je suis en Corée, mon moral ne cesse de baisser. J'appuie mes avants bras sur mes cuisses, le dos un peu voûté. « Moi aussi, si tu savais. J'ai presque l'impression que je n'aurais pas dû venir ici, limite je vais de plus en plus mal tous les jours, je suis gavé et toujours fatigué. »

Je me redresse, je pose ma bière sur le sol, je place mes mains sur mes cuisses et je te regarde longuement. Je ne nous reconnais plus, nous n'étions pas comme ça avant, nous n'avions jamais l'air mal auparavant. Maintenant … C'est tout à fait autre chose. J'esquisse un sourire à ta déclaration, je passe une main dans mes cheveux en soupirant, je parle plus pour moi-même avec cette phrase : « Pour ma part, c'est un japonais qui me mange à petit feu.. » Je penche ma tête en arrière en passant mes mains sur mon visage. « Alors, tu me racontes ce qu'il se passe ? »

Spoiler:

Ma bière se lève et un petit hochement de la tête accompagne le geste. A nos têtes de cadavres. A nos questions sans réponse. A notre demain incertain. Qui aurait pu croire que nous serions nos propres ennemis ? Non pas l’un contre l’autre, cela est impensable, cela n’aurait absolument pas de sens… cependant ce sont nos choix, nos sentiments qui nous dévorent. Pour ma part, ça me torture, ça me fait un peu trop réfléchir et il est évident que j’ai horreur de ça. « seulement rentrer serait avouer l’échec et devoir supporter la honte… je ne sais pas si je suis prêt à ça… » Mes parents feraient de moi à nouveau leur putain de pantin.

Je serai leur gagne pain, je serai la bête de foire qui ne fera que ce qu’ils voudront, une fois de plus. Et je refuse de vivre ça à nouveau. Mes parents ne sont pas non plus des monstres, je suppose que dans le fond ils doivent m’aimer : seulement ils ne l’ont jamais montré de la manière la plus orthodoxe de la chose. J’observe mon meilleur ami. Qu’est-ce qui le bouffe ? Qu’est-ce qui le ronge comme ça ? Je le connais par cœur, c’est bien plus grave qu’un simple mal du pays. Aiden va bien plus mal que ça.

Me levant, je prends encore une gorgée de bière et viens m’asseoir à côté de lui cette fois. La bouteille rejoignant la table basse, je laisse ma tête venir se poser contre le dossier du fauteuil, et je le regarde du coin de l’œil. Lui aussi a des choses à dire. Je suppose, qu’il ne sait juste pas comment les dire. « Je pense à… larguer Sera, ouais, je sais, moi qui y réfléchis c’est rare… ce n’est pas la première meuf avec qui je couche ou que je laisse sur le bord de la route, mais je crois que c’est bien la première qui a réussi à sortir le bien de moi… la première après Jin Sil bien sûr… » Et c’est bien à cause de Jin Sil que je vais le faire. « A cause » ou bien « grâce » ? D’habitude je ne pense pas aux conséquences. Mais là… Briser le cœur d’une femme qui m’aime… ce n’est pas bien, ce n’est pas beau… mais si moi j’en aime une autre, c’est la meilleure chose à faire, n’est-ce pas Jie ? Rassure moi dans mon choix, dis moi que je fais bien, s’il te plait…

Je ne comprendrais jamais totalement comment tu te sens, mais je devine facilement que ta vie en Chine a été très dure. Moi qui ai toujours été aimé par mes parents pour ce que je suis et qui n'ai jamais été forcé à faire quoi que ce soit, je ne peux me mettre à ta place, mais à te voir, à la façon dont tu parles, je ressens nettement que tu ne voudras plus jamais y remettre les pieds. Je ne te réponds pas, puisque je ne saurais quoi dire. S'avouer vaincu n'est pas un sentiment très agréable, et des encouragements seraient vains.

Je regarde ma bière dans ma main. Contrairement à toi, je serai ravi de rentrer. Mes parents m'accueilleraient à bras ouverts, et puis ça serait tellement plus agréable d'être dans son pays natal. Loin de tout mes soucis, loin de Shûji. Je ne sais pas si je serais capable de m'éloigner de lui volontairement, mais des fois je me dis que ça serait plus simple de rencontrer une femme que je pourrais assumer. Cet amour me consume, et le pire dans tout ça c'est que le principal concerné ne s'en rend même pas compte. Je regrette presque le jour où je l'ai rencontré.

La voix de Ethan me sort de mes songes, je n'avais même pas remarqué qu'il était venu à côté de moi, il faut croire que j'ai vraiment des absences à force de penser. Je suis surpris de ce qu'il m'annonce, je pensais que tout allait bien pour lui et Sera,je n'aurais jamais cru qu'il avait une autre femme en quelque sorte. Je ne sais pas trop ce que je devrais lui dire. Je me redresse en le regardant, faisant mine de réfléchir. À sa place, je m'assurerai que JinSil est vraiment celle qu'il me faudrait, que je ne fais pas d'erreur en laissant tomber une femme qui me rend aussi bien que SeRa. Je me tourne vers toi, prenant mon temps pour bien formuler ma phrase, je ne voudrais pas dire quelque chose de travers. « Est-ce que tu aimes encore SeRa ? Ça serait bête que tu la laisses tomber alors que tes sentiments sont encore forts. Si tes sentiments pour JinSil sont plus fort, sans hésiter je te dirai de la larguer. Après tout, rester avec elle plus longtemps la fera encore plus souffrir, alors autant achever les choses maintenant. » Je ne suis pas un expert en la matière, moi-même je suis débordé à cause d'histoires de cœur, mais à ta place, c'est ce que je ferais, et puis il me semble que de nous deux j'ai toujours été le plus réfléchi, tant que ça ne me concerne pas directement...

Je me surprends à nier aussitôt la tête lorsqu’il commence à me demander ces choses. « Je n’ai jamais été amoureux de Sera, je l’ai beaucoup appréciée, j’ai voulu prendre soin d’elle, mais tu sais bien que Jin Sil a ce pouvoir chelou sur moi, si elle revient, je me dirige automatiquement vers elle…tu as déjà ressenti ça ? » J’aurais voulu tomber amoureux de Sera, mais, ce n’est pas possible. Jin Sil a toujours été là, dans un coin de ma tête, dans un coin de mon cœur. Ce qu’on a vécu est bien trop fort comme pour que j’oublie tout, comme pour que je passe à autre chose. J’ai toujours pensé que j’étais prisonnière de cette femme, et ce n’était pas quelqu’un d’aussi mignon que Sera qui aurait pu la remplacer. J’ai juste tenté de me mentir et de me faire croire mon mensonge. Mais on ne peut pas mentir à ses sentiments on dirait.

« Se Ra m’aime, elle me l’a déjà fait comprendre, elle me l’a déjà dit, mais comme tu dis si bien, je vais achever les choses maintenant… Jin Sil revient de plus en plus me voir en ce moment, et je veux pas dépasser la limite et me dire ensuite que j’ai trompé Sera, ce serait le pire, et j’ai déjà fait assez le con avec les femmes comme ça… » Il serait temps de grandir et de me poser. Surtout si c’est Jin Sil. Je veux pouvoir réparer mes erreurs avec elle, lui montrer que j’ai changé, que je peux être un homme bon pour elle. Je prends et finis ma bouteille de bière, et hausse un sourcil. « Je pense à reprendre la compétition aussi… mais ça, je vais en chier… » Je soupire et lui mets une tape contre l’épaule. « Tu vas me dire ce qui ne va pas, ou va falloir que je t’oblige à le faire ? »

Mes soupçons se confirment face à ce que tu me dis, c'est bel et bien JinSil que tu sembles aimer. Et même si ce n'était pas le cas, tu ne fais qu'apprécier SeRa, cela ne sert donc à rien de se voiler la face, il faut aller vers la femme qui te fasse vibrer comme jamais. J'esquisse un simple sourire lorsque tu me demandes si cela m'est déjà arrivé. Oh que oui, et cette torture dure depuis trois as déjà. Trois ans que je suis incapable de tourner le dos à mon amant. Même maintenant c'est encore dur à avouer à moi-même, ce qui me fait douter sur ma capacité à me confier à toi aujourd'hui. Heureusement, nous sommes lancés sur ton problème pour l'instant, il me reste encore du temps.

Je continue de t'écouter, mais je ne peux m'empêcher de rire à la fin de ta phrase. « Si on m'avait dit que tu agirais enfin en homme, en vrai, j'aurais ri. Wow, ça doit vraiment faire longtemps qu'on ne s'est pas vus, je te reconnais à peine. » dis-je pour te taquiner. En vérité, ça me fait plaisir de voir à quel point cette femme t'a changé, je t'ai toujours apprécié, quelque soit ton comportement envers ces demoiselles, mais il faut dire que c'était triste à voir d'un point de vue extérieur. M'enfin, je dis ça alors qu'il m'arrive d'être pire que toi.

Je m'apprête à répondre à ta réflexion sur les compétitions, mais tu me prends de court en commençant à parler de moi. Je grimace un peu en passant ma main dans mes cheveux, je regarde sur le côté. Je ne sais plus si je dois te le dire ou pas, j'ai tellement peur de perdre l'ami le plus cher à mes yeux à cause de ça. Je me redresse et je vais près d'une fenêtre, enfonçant mes mains dans mes poches. « Hm ... C'est difficile à expliquer. » ou à avouer plutôt.

Je ne peux pas m’empêcher de le fusiller du regard en lui mettant un bon coup de poing contre l’épaule. « Je suis pas une de ces petites pédales de nippons là, bien sûr que je suis un homme. » Moi fier ? Beaucoup. Beaucoup trop. Vraiment beaucoup trop. Je peux faire le con et tout, mais non, on touche pas à ma fierté, s’il vous plaît. « Eh oh, Jin Sil, c’est la femme de ma vie, je l’ai toujours dit. Bon, d’accord, je ne l’ai jamais dit, parce que voilà, ça se dit pas ces choses là, c’est trop intime, et merde. Mais, si tu me reconnais pas juste parce que j’ai envie de me poser avec elle, mon gros, ça va être quoi quand je vais vouloir vivre avec elle ou l’épouser alors ? » Je ris, pour cacher ma gêne. Jie ? Bien sûr qu’il est au courant de comment était ma relation avec Jin Sil dans le passé. Chaotique. Engueulade sur engueulade, et les coups partaient aussi vite que les mots. Je ne veux plus vivre ça avec elle. Je l’aime, je l’ai toujours aimée, et j’ai envie de me racheter, de lui prouver que j’ai changé, et uniquement pour elle.

Aiden se lève. Le doute, l’appréhension peut se voir clairement sur son visage. Il ne se rend pas compte que pour moi, il est aussi lisible qu’un livre ouvert. « Vaut mieux que tu lâches la bombe maintenant, avant que je commence à m’inquiéter pour de bon. T’as tué quelqu’un ?! Dis moi au moins que tu as fait disparaître le corps si c’est le cas ! » Mi plaisanterie, mi sérieux. Jie comme moi serait capable de tuer, je suppose, mais je doute que ce soit ça. On lui a découvert une maladie ? Je commence à flipper, alors vaut mieux qu’il accouche parce que moi je ne suis pas fait pour le suspense.

Je rigole encore un peu, joignant mon rire au tien. « Je tiens à être ton témoin lorsque ça arrivera ! » Je ne peux pas m'empêcher que tu es trop adorable à parler comme ça, mignon et adorable, mais je ne te le dirais pas, tu le prendrais trop mal, tu es un homme trop fier pour ça je pense. Je me lève de mon siège et je me dirige vers une fenêtre en me grattant la nuque nerveusement, la tête légèrement inclinée vers le bas. J'ai toujours eu ce tic quand je réfléchis trop. J'ai l'impression que ma tête va exploser. Comment puis-je bien dire à mon meilleur ami, mon ami d'enfance, celui qui m'a connu toute ma vie que j'aime un homme ? J'ai l'impression de faire mon coming out, alors que je ne suis même pas gay. Enfin, je le suis un peu du coup. Quoi qu'il en soit, les autres hommes ne m'ont jamais intéressés. Je secoue vivement la tête, je m'égare. Je me tourne vers toi, les deux mains jointes, et posées contre mes lèvres. Je prends une grande inspiration avant de dire : « Je sors avec quelqu'un. Depuis environ trois ans. » Je ne précise pas de suite qu'il s'agit d'une personne doté d'un organe masculin entre les cuisses, je préfère lâcher cette bombe le plus doucement possible.

Un rire traverse alors mes lèvres, parce qu’encore une fois mon imagination a dépassé la simple pensée. « Sois heureux que je t’aime, que tu m’aimes, bref, qu’on s’aime, et surtout que ton rôle serait d’être témoin, parce que je t’aurais bien vu avec une robe meringuée et bien rose, ça irait bien avec ton teint ! » Rieur, moqueur, je ne me rends pas compte qu’il s’est mis près de la tête et qu’il est nerveux. Bien sûr que je l’aurais compris rapidement si je l’avais observé, jusque présent, je pense encore être celui qui le connaît au mieux, peut-être même mieux que sa propre mère.

Je ne m’attendais pas à la suite.

Et j’ignore pourquoi, mais je ris encore, je ris encore plus fort. Là c’est moi qui suis nerveux. Trois ans ? Trois comme, trois, les trois petits cochons ? Mon rire s’estompe, et je me lève, posant ma main sur son épaule, le regardant bien de face. Cette fois je suis surpris, juste surpris. « Trois ans… T’es amoureux et tu me l’as jamais dit ?! » Parce que bon, pour sortir avec quelqu’un aussi longtemps, c’est qu’on l’aime, du moins je le vois comme ça. Je suis content pour lui, tant mieux, mais je suis déçu qu’il m’en ait jamais rien dit, qu’il ne me l’ait pas présentée. Comment est-elle ? Si ça se trouve elle a un truc bizarre et c’est pour ça qu’il n’ose pas me la présenter, ou alors il a honte de moi ? « Ne suis-je pas digne de la rencontrer ? C’pas comme si t’allais m’amener un pélo à barbe de toute manière !! » Je ris et le serre dans mes bras. Mon Jiejie d’amour a trouvé l’amour, mais, il faut fêter ça voyons !

Je lève les yeux au ciel, tu as toujours eu ce don de me remonter un peu le moral quand je suis au plus bas. Mais ça n'arrange pas grand chose vu ce que je dois t'avouer. Ta réaction ne m'étonne pas, je suis sûr que tu es content pour moi, j'ai trouvé la bonne personne. Cependant tu penses certainement que c'est une femme. Je me pince les lèvres en regardant ton visage. Je pose mes mains sur tes épaules et je te pousse à défaire ton étreinte. Il n'y a pas vraiment de quoi être joyeux. Et je ne peux certainement pas rire à la blague que tu fais. Je passe ma main dans mes cheveux en allant dans la direction opposée à toi. « C'est plus compliqué que ça... »
Il vaut mieux que je lui annonce tout en bloc, sans qu'il puisse me couper, si je patiente trop et fait bout par bout, j'ai peur qu'il ne me jette dehors pour lui avoir cacher ça. J'ai l'impression de le trahir, de prendre le risque de perdre son amitié. Cependant, c'est la personne qui compte le plus à mes yeux, je ne peux pas continuer à lui dissimuler la vérité. Ce n'est pas pour autant que je te regarderai en te l'avouant, je reste dos à toi. « Je l'ai rencontré en Chine, ce n'était pas du tout prévu... Mais un jour j'étais bourré et on l'a fait. J'ai longtemps essayé de le nier, mais j'avais aimé, c'était un fait. Je voulais arrêter mais je ne pouvais pas, je finissais toujours par revenir. Ça fait trois ans que je n'assume pas, et j'en ai marre de tromper tout le monde autour de moi. Je deviens de plus en plus jaloux quand il est avec un autre. Je .. » Je n'aurais jamais cru que je pourrais être faible à ce point, je n'arrive même pas à finir ma phrase. Dès lorsque j'ai employé le pronom "il", c'était fini. Je reste silencieux. Je n'attends plus que ta réaction.

Plus compliqué? Je veux bien te croire. Au vu de comment tu me rejettes et fais la même gueule que quelqu’un qui viendrait de voir mourir son animal de compagnie. Mais qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce que c’est encore ? Dans quelle histoire cheloue il s’est plongé ? Je suis le premier à vivre dans histoires les plus farfelues les unes que les autres, mais Jie, Jie c’est un spécialiste pour ça. Il a le don pour l’improbabilité.

Et putain, je ne croyais pas si bien dire.

Je ferme ma gueule, et j’écoute, et j’écoute, et j’écoute en silence. Et lorsqu’il laisse le suspense en fin de phrase, j’attends bêtement la suite. Et puis, à sa tête là je me dis qu’il y a un truc qui ne va pas. Le problème, c’est qu’en cantonais comme en mandarin, les pronoms personnels « il » et « elle » se prononcent de la même façon, avec le même caractère. Je sais pertinemment que je devrais commenter tout ce qu’il a dit avant la dernière phrase. Qu’il doit assumer son amour et sa relation, qu’il ne doit pas jouer comme ça avec les sentiments de la personne qui réside dans son cœur. Y’a un an ou deux, je lui aurais dit « on s’en bat les couilles, des filles y’en a plein ». Mais pour moi il n’y en a pas « plein », il n’y en a qu’une, et j’ai bien trop fait le con, et je l’ai perdue. Jie ne doit pas faire cette erreur. Et je veux lui dire, je veux lui dire ça, qu’il doit faire l’effort pour son couple, pour sa relation. Ça fait chochotte, mais voir mon meilleur pote heureux c’est quand un même une des choses de la vie qui me rendent heureux aussi. Pourtant, la seule phrase qui sort de ma bouche n’a pas grande chose à voir. Je la prononce calmement, même si on doit lire sur mon visage la surprise, le doute, l’incompréhension, et une impression que j’ai pris des drogues. « He or she ? » Autant se débarrasser de l’ambiguité avec une langue qui comporte deux mots différents pour ce pronom personnel.

Je me sens vraiment soulagé que tu aies eu la décence de m'écouter jusqu'au bout sans m'interrompre, ça aurait été beaucoup plus difficile pour moi si tu me posais des questions au fur et à mesure de mon histoire. Je savais que ta question question allait arriver. Je n'ai pas cité une seule fois le prénom ou le sexe de la personne. De quoi mettre le doute, mais ce n'était pas fait exprès, du moins, si c'est fait exprès, ça doit être l'œuvre de mon subconscient. J'ai tellement peur de ta réaction quand j'aurais enfin répondu. Cependant, je suis un homme, je ne vais pas me dégonfler après être allé aussi loin. Je me tourne vers toi, je prends une grande bouffée d'air, l'expression de mon visage est perdue entre la confusion, la panique et l'angoisse. Mais la tienne est pire, je sens que tu dois être déboussolé, tu m'aurais dit que tu étais gay je n'aurais pas du tout compris au départ. Même que je ne l'aurais pas du tout accepté au début, je suis censé te connaître mieux que quiconque après tout.
Bref, prenant mon courage à deux mains, j'ose enfin te répondre : « He. C'est un homme. Il .. Il s'appelle Shûji. » Je n'arrive pas à en dire plus, j'ai l'impression que je suis sur le point d'agoniser rien qu'en ayant prononcer ces quelques mots, mots pourtant si simples. Je reste face à toi, silencieux, le regard planté sur ton visage.

Doucement je recule, et me rassois, le regardant toujours aussi perdu. Jie, un homme ? Genre un homme, un comme toi et moi, un être humain doté d’un appareil reproducteur masculin ? Non mais moi j’ai raté une putain de saison, pas seulement un épisode. A quel moment a-t-il changé de bord ?! Il y a trois ans… Putain, c’était la période pendant laquelle j’étais à l’hosto. Quand je venais d’avoir mon accident. Ouais, bon, d’accord, j’ai passé quelques mois dans cette putain de chambre d’hôpital à être, puis faire semblant d’être amnésique, mais ça voulait pas dire qu’il fallait qu’il change de bord comme ça sans me prévenir !

J’ai l’impression que j’ai connu quelqu’un pendant vingt et un ans, et que j’ai raté la partie la plus importante de cette personne. Je passe la main dans mes cheveux, soufflant, essayant de faire passer la pilule du mieux que je le peux. « Donne moi une bière… Me faut un truc là… Non j’ai du whisky, amène moi le whisky Duan Jie. »

Le verre entre mes mains, j’en bois le contenu cul sec, grimace légèrement, en même temps un cul sec en début d’après midi n’est pas considéré comme apéro mais comme alcoolisme, et je le fixe. « Trois ans ? Avec Shûji ? » En fait à la limite, qu’il soit pédé, sodomite, tapette, tafiole, tarlouze, enfin homosexuel, je peux l’accepter, mais pourquoi Ashida Shûji ? Pourquoi cette folle là ? Non mais il roule en cabriolet rose, y’a que moi que ça choque ?! Soyez suceurs de glands si vous le voulez mais dieu vous a donné de la testostérone, assumez la également. « Ecoute que tu aimes la bite, c’est ton problème, enfin, tu fais ce que tu veux de ton cul, même si je vois aucun intérêt à ce procédé… Que tu sois amoureux de Shûji, ma foi, je maintiens je suis quand même content pour toi, même si moi cet individu je le porte pas dans mon coeur. Par contre, ça fait du coup trois ans que tu te fais la moitié des vagins de Hong Kong et la moitié de ceux de Suwon gros… Moi j’ai perdu Jin Sil pour moins que ça et regarde moi aujourd’hui. Shûji je l’apprécierai certainement jamais, mais vous pourriez au moins être honnête l’un envers l’autre, comme tu es en train de l’être envers moi, tu ne crois pas ? » Je me ressers un verre et le redescends aussitôt. Wang Ethan prends sur toi, prends sur toi, encaisse, ne sois pas trop méchant, contrôle toi, respire. Bon, s’il est amoureux de Shûji et que je suis le contraire total de celui-ci, je me dis que Aiden n’a jamais dû me regarder avec des yeux étranges de pédé, pas vrai ? Ça y est je me fais des films putain. « Bon, le randonneur du chemin boueux, rassure moi, t’es toujours mon frère non ? Je veux dire, ça change rien entre nous non ? » Il va me falloir quelques jours pour intégrer totalement la nouvelle, et quelques mois pour arrêter de me foutre de sa gueule, mais, je n’ai aucunement envie de perdre mon meilleur ami.

Spoiler:

Je te suis des yeux sans savoir que dire. Je devine aisément que tu ne t'attendais absolument pas à ça lorsqu'on avait prévu de se voir, je n'ose pas imaginer le choc que ça te fait. Moi au moins, j'ai eu trois ans, trois longues années pour m'habituer à ce penchant, et encore, je ne m'y fais toujours pas trop. Parfois je me dis que si je n'avais pas été saoul ce fameux soir, je serai sans doute encore hétéro, genre complètement, parce que j'aime encore les femmes à l'heure actuelle, ce n'est pas parce que j'aime un homme que je n'apprécie plus le corps de ces demoiselles. Quoi qu'il en soit, les choses sont faites, et rien ne pourra changer quoi que ce soit.
Je vais te servir un verre de whisky à ta demande, il n'y a pas mieux pour digérer cette bombe nucléaire. Je te donne le verre puis je retourne m'asseoir sur la chaise sur laquelle j'étais quand je suis arrivé. Tassé sur mon siège, je te regarde fixement. Je me demande ce qui te choque le plus, que ce soit Shûji ou que j'aime les hommes ? Peut-être les deux. Faut dire que Shûji est quelqu'un d'extravagant, je suis totalement son opposé, d'un point de vue externe, j'aurais été plus que outré par ce couple improbable.
Je fronce encore le nez quand tu cites le mot "bite". Sérieusement, je ne pense pas que je pourrais assumer devant tout le monde, c'est la première fois qu'on me dit aussi franchement que j'aime les queues. C'est perturbant. Je passe ma main sur ma nuque, je suis embarrassé de me prendre la vérité en pleine poire aussi sèchement, mais ça veut dire que tu t'en fais toujours autant pour moi, et je n'aurais jamais espéré meilleure réaction. « En ce qui concerne l'honnêteté, je voulais commencer par toi justement. Shûji a su attendre trois ans, il peut encore attendre un peu. Et tu crois qu'il n'allait pas voir ailleurs durant toutes ces années ? Je ne suis pas le seul à être comme ça, et c'est bien parce que j'en ai assez de cette situation que j'essaie d'assumer. Je ... Je veux qu'il soit seulement à moi. J'ai arrêté de baiser à tout va depuis un moment déjà. » Étrangement, je suis confiant, je sais que je ne le perdrais pas comme tu as perdu JinSil, on a pas survécu aussi longtemps pour rien, ce n'est pas possible. Je me mets à rire à la suite de tes paroles, n'était-ce pas évident ? « Tu seras toujours mon frère. Tu sais ... Si ça peut te rassurer, car je me doute bien que tu dois avoir pas mal de choses en tête maintenant, j'ai toujours été attiré seulement par Shûji. Tu vas te dire que je n'assume pas mon côté "gay", mais c'est vrai, je ne t'ai jamais regardé toi ou un autre homme comme je le regarde lui. » Je préfère le préciser, à ta place, j'aurais eu peur que mon meilleur ami ait des arrières pensées en me regardant. Comme je l'ai dit, c'est mon frère, je ne pourrais jamais faire ça, c'est inimaginable.

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J’ouvre grand les yeux. Mais, dites moi, je pensais être maladroit en amour, mais, il y a pire que moi, bien pire que moi et juste en face de moi ! « T’as une façon de parler de la personne que tu aimes bien particulière dis donc, le jour où il en aura marre de t’attendre, ça va te faire tout drôle. » Putain, je ne le pensais pas, mais je sais comment se sent Shûji. A attendre quelque chose qui plus le temps passe, plus semble impossible. Attendre, c’est épuisant. Attendre, c’est étrangement mortel. « Que tu aies arrêté de baiser à tout va explique donc pourquoi on dirait que tu as tes règles, mec, c’bon, reprends des couleurs ! » Le réservé des deux c’est lui, alors, je suppose que c’est mon rôle de lui redonner le sourire ?

« Entre toi et moi, va falloir que t’assumes et vite, parce que je vais me faire un plaisir de te rappeler constamment tes tendances bro, le monde devient gay, c’est impressionnant… » Je me lève, et lui met une petite tape derrière la tête, j’ai besoin de bouger ou je vais me manger l’esprit à imaginer les deux en pleine action. Ouais les images défilent déjà dans ma tête, et pour vous être sincère, non, ce n’est pas Jie qui est dessus en train de kiffer la vibes. « Ça te dit on sort ? Lever un verre à ce que tu portes tes couilles avec Shûji, et que je porte les miennes avec Jin Sil ? » Un sourire, un haussement d’épaules et un signe de tête. Aller, bougeons Jie.