Planté en boxer devant mon miroir, je passai une main sur mon visage pour juger de la douceur de ma peau, avant de me relaver les dents pour la troisième fois. Puis ce fut au tour de mes cheveux teints couleur cendre d'être domptés et disciplinés. Je m'aspergeai en toute légèreté de parfum scorpion et me jugeai enfin prêt à pouvoir sortir de chez moi. Je rejoignis donc ma chambre pour m'habiller et attrapai mon sac contenant les serviettes et ce genre de choses pour le monter sur mon dos d'un coup d'épaule, laissant pendre la deuxième lanière dans le vide. Mes clés dans la main, je déposai un baiser dans le cou de ma fiancée en simple guise de salut avant de me précipiter dans ma voiture luxueuse. C'était ainsi, il fallait que par tous les subterfuges possibles j'en impose plein la vue, que tous comprennent au premier coup d’œil l'étendue de ma richesse. Consommation ostentatoire.

J'avais promis à Heaven de passer le chercher devant la frat des Péteux pour ne pas qu'il ai trop à bouger. C'était comme ça, autant je criais parfois déraisonnablement sur mon poulain, autant je ne pouvais m'empêcher de lui épargner l'effort et prendre soin de lui un peu à la manière d'une mère et de son enfant. C'était drôle hein ? Je crois que j'ai eu pitié de l'image de chien battu qu'il renvoyait le jour où je l'ai croisé pour la première fois, et depuis je me suis promis d'en faire un vrai gaillard. Je ne pouvais pas dire que les résultats espérés étaient au rendez-vous, toutefois je ne pouvais mentir sur le fait qu'il y avait du mieux. Nous devions aller à la piscine. Je voulais le décoincer un peu, qu'il prenne confiance en lui. Et pour ça, rien de mieux que de lui montrer qu'il était bien plus beau que ces gens enrobés qui lézardaient sur les transats. C'était peut-être immonde de se servir des autres ainsi, mais tant que cela portait ses fruits, j'y accordais autant d'importance qu'à ma première petite amie.

Je me garais devant la frat et me chargeai de lui envoyer un message pour signaler ma présence. Nous étions totalement aux opposés avec ce gars-là, et pourtant le courant ne semblait pas passer trop mal, malgré qu'il soit trop silencieux à mon goût. Puis après, je parle mais.. avouons-le, ce n'est pas comme si je lui laissais le loisir de refuser chacune des choses que je lui proposais. « J'suis al mec, grouille plz »

Après un coup d'oeil à l'horloge de ma chambre d'étudiant, je me dis que je peux commencer à me préparer sans risques d'être trop en avance. Je retire donc mes vêtements pour me glisser sous la douche où je restes de longues, très longues minutes. Lorsque j'en sors, je me retrouve face au miroir en pied de ma minuscule salle de bain. Mes yeux se promènent sur mon propre corps et je me dis que j'ai de la chance que personne ne voit les bleus et les cicatrices omniprésentes. Un soupir s'échappe d'entre mes lèvres et j'attrape une grande serviette pour m'enrouler dedans et choisir des beaux vêtements. Tao Jun y prête beaucoup d'attention, il m'en a même déjà offert. J'ai trouvé ça bizarre, j'ai pensé qu'il voudrait que je le rembourse d'une manière détourné mais jusque là, il ne m'a toujours rien demandé, il ne m'a jamais frappé non plus. Avec le temps, j'ose penser que peut-être, il est mon ami.

J'enfile simplement un jean noir et un pull léger gris puis prépare mon sac, une grande besace en cuir mate. Dedans, outre mes affaires habituelles, j'y dépose un bas de maillot et une serviette de bain, j'ai lu qu'il fallait aussi un bonnet et des lunettes, mais je n'en ai pas et je n'ai pas encore trouvé de travail pour pouvoir me les payer. De toute façon, j'ai bien l'intention de ne pas aller dans l'eau. Hyung ne doit pas voir mon corps comme ça.  Bien que j'ai pris mon temps, je suis encore un peu en avance alors j'en profite pour me coiffer un peu mieux et choisir mes chaussures, puis je reçoit le texto de Tao Jun. Péniblement, j'accède au message et le lis, un très léger sourire prenant place sur mon visage.

J'attrape ma veste et mon sac à la volée et me dépêche de le rejoindre pour qu'il ne s'énerve pas d'attendre. Je reconnais sa voiture, je la reconnaîtrais entre mille, elle est tellement belle. Je m'installe à côté de lui puis incline ma tête. « Bonjour Tao Jun-Hyung, j'espère que tu n'as pas trop attendu. » Il a l'air de bonne humeur, il est presque toujours de bonne humeur. « Comment tu vas? » Le tutoiement  est encore un peu compliqué, j'ai toujours appris à vouvoyez les autres, mais il a dit qu'il ne voulait pas, alors je ne le fais plus.

Le message aussitôt envoyé, je ne pus m'empêcher, dans une attitude totalement narcissique, de baisser le pare-soleil pour faire face au miroir, et m'admirer. Ou plutôt, me recoiffer comme il fallait, m'assurer que mon apparence était irréprochable, et ensuite seulement m'admirer. La porte côté passager s'ouvre et je note de suite son effort apparent quant au tutoiement que je lui avais longuement demandé jusqu'à m'agacer. Je n'aimais pas que ceux que je considérais comme mes proches me vouvoient, ça me donnait l'impression d'être un ajusshi, ce que je ne tolérais pas. Il avait également fait un effort notable au niveau de la cohérence de ses vêtements et leur accord, effort que je gratifiai d'un sourire satisfait. J'aimais chacun de ses progrès, ils me gonflaient de fierté. « hey Dongsaeng ! » Quand je repensais à son regard craintif et la peur de chacune de mes approches qui régnait au début, je me dis que nous avions fait un pas immense.

Dire que la pitié et l'ennui avait alimenté notre premier contact. Si mes potes n'étaient pas arrivés avec une demie-heure de retard, je ne me serais jamais approché de Heaven. Comme quoi, il faut croire qu'il y a toujours une bonne raison à tout, que tout est toujours pour le mieux. « Je vais bien, et toi ? » Je regardai derrière moi pour enclencher la marche arrière et finis par me dégager de l'allée pour reprendre la route. « Tu n'as rien oublié ? » Ce n'était peut-être pas le moment le plus judicieux pour poser la question étant donné que nous avions déjà démarré, mais l'intention y était. Et de toutes façons, s'il répondait par l'affirmative, je ferais sans doute demi-tour. Rares étaient ces personnes à pouvoir jouir de ces traitements de faveur. D'ordinaire je me montrais toujours avec insolence et arrogance jusqu'à me faire haïr quand bien même mon feeling excellent avec les gens annihilait souvent cette impression. Je n'ai que très peu d'amis proches, mais je m'en contente pleinement. Je ne savais pas quelle place avait le pétalous pour moi, mais il était clairement favorisé. Un peu comme un petit frère je suppose : il m'agace et me rend dingue, mais je le chouchoute autant que possible.

Je saisis mes lunettes de soleil dans la boîte à gants et les posai sur mon nez tandis que je répondais au message d'un ami d'une main, l'autre sur le volant, tout en jetant des coups d’œil rapides et incessants à la route. « Toujours chaud pour la piscine ? Bah... En fait je te demande même pas ton avis, on y va. » Je ricanai en sachant quelle épreuve je lui imposai, je jubilai.

« Je vais bien oui. » De toute façon, je ne réponds jamais négativement à cette question, parce que cela engendrerait des questions de politesse que personne n'a réellement envie de poser, et ce n'est pas ce que je veux. J'ouvre mon sac et regarde une nouvelle fois à l'intérieur, vérifiant que tout ce que je pense utile s'y trouve. « Je.. Je crois que j'ai tout, oui. » J'attache ma ceinture et serre ensuite mes doigts sur la anse de la portière, ce n'est pas que j'ai peur, simplement que la voiture va un peu vite et que je ne suis pas à l'aise. La main de Tao Jun passe devant moi et je tente de reculer un peu plus dans le fauteuil pour qu'il puisse prendre ce dont il a besoin dans la boîte. Je reporte mon regard sur lui, il a vraiment l'air de quelqu'un de populaire. Je pense qu'il l'est, quand je le vois à l'école, il n'est jamais seul. Je ne suis pas très rassuré qu'il regarde son téléphone en même temps que la route mais encore une fois je ne dis rien.

« Et bien.. Je... » Je n'ai aucune utilité à finir cette phrase puisqu'il l'a dit lui-même, il n'a pas besoin de mon avis. Si j'avais pu choisir, bien sûr que j'aurais privilégié un autre lieu. Je ne suis allé jamais à la piscine municipale, ni à la rivière, ni ailleurs. L'eau dans laquelle je me baigne est celle de mon bain et encore, je n'y reste jamais longtemps. J'aurais pu refuser de venir, mais je ne le ferais jamais, parce que je suis reconnaissant du temps qu'il m'offre. J'ai appris à lui faire confiance également, il m'a apprit beaucoup de choses, m'a fait faire des activités que je n'avais jamais pratiqué. Cependant, je devrais sans doute le mettre au courant d'un léger détail. « Mais.. Tao Jun-Hyung.. Est-ce qu'il a un endroit avec pas beaucoup d'eau ? Parce que.. Nana elle pouvait pas et Moon il ne sait pas que je ne peux pas... » Cette phrase ne veut rien dire, mon cerveau le sait est pourtant je ne parviens pas à parler correctement. « Je n'ai pas appris à nager... Ça veut dire que je dois me noyer ? » Les enfants me le disaient parfois, qu'ils allaient me jeter à l'eau et j'apprendrais à nager seul, ou que je me noierais. Est-ce que ça marche vraiment comme ça ?

Je ne l'avais jamais vu ne serait-ce que torse nu, aussi j'imaginais, peut-être à tord mais je ne crois pas, qu'il était pudique. Je comprenais, beaucoup de gens étaient pudiques et je connaissais nombre de personnes qui n'osaient même pas soulever leur haut en public. Ça n'était pas mon cas, et comme je décidais de ce qu'on faisait chaque fois, je savais que je lui imposais des épreuves affreuses. Mais il en grandissait chaque fois un peu plus et ça me plaisait. S'il fallait le voir virer tomate pour qu'il prenne conscience qu'il n'a pas un corps déplaisant alors soit. Il avait tenté de protester ? Qu'importe, j'en fis la sourde oreille.

Je gagnai toujours un peu plus de vitesse au fil du temps. J'étais un conducteur rapide et un peu imprudent, mais j'étais bon conducteur, fluide et réactif. Grillant avec vigilance l'un des feux rouges, je notais bien son embêtement, mais j'avoue n'avoir rien compris à ce qu'il me dit alors. Moon, Nana ? Connais pas, ou alors, je doutais qu'on parle des mêmes personnes. J'haussai les épaules sous l'incompréhension mais ne le brusquai pas pour autant, le laissant de lui même me parler de ce qui le mettait dans cet état. Un endroit sans trop d'eau, peu profond ? Aigoo.. me dites pas que..aich... ça compromettait beaucoup de choses là ! Il ne savait pas nager et ne pouvait pas me le dire avant ? « tu sais pas nager.. ? Arf.. Bon bah on trouvera un arrangement t'en fais pas. On verra bien si tu te noies. »

J'esquissai un sourire moqueur. Je me plaisais tout de même parfois à le taquiner un peu et le mettre mal à l'aise, mais lorsque je le voyais perdre ses couleurs, généralement je stoppais là. Comme dans la situation présente. Je tapotai son épaule pour le réconforter : « T'inquiète pas mon pote, on ira squatter le jacuzzi et les trucs comme ça. » J'hochai la tête pour approuver mes propres mots et me reconcentrai sur la route.

Étrangement,je me prend à espérer que s'il m'arrivait quelque chose, Tao Jun pourrait venir m'aider. Après tout, il a toujours été gentil avec moi, il ne me laisserait pas mourir, pas vrai? Je soupire doucement pour qu'il ne puisse pas l'entendre. À vrai dire, je n'ai même pas l'intention de porter une tenue de bain et d'aller dans l'eau. Ça voudrait dire que je dois montrer mon corps et je ne veux pas le faire. Je ne porte déjà jamais de manches courtes ou de bermuda alors la simple idée de me mettre à demi nu à la vue de dizaines d'inconnus me donne envie de vomir. J'aurais aimé être capable de refuser mais je ne le suis pas. Tao Jun pourrait s'énerver et ne plus jamais me parler. Il est un de mes très rares amis, ou du moins j'aime à le penser, alors je ne veux pas prendre le risque de le perdre.

Fort heureusement, sa main sur mon épaule, ainsi que les mots qu'il prononce, me rassure un peu et je peux reprendre une respiration normale alors même que je n'avais pas conscience de l'avoir bloquée. Je tourne cependant la tête vers lui, curieux. « Le jacuzzi? C'est la piscine avec des bulles, c'est ça? » J'ai l'air ignorant, je le suis. Vivre enfermé pendant vingt ans dans une vieille bâtisse au milieu de la campagne coréenne n'aide pas vraiment à se tenir au courant. Il ne faut pas oublier que je n'utilise internet et un téléphone portable que depuis trois ans. Je suis presque sûr de ce que j'avance, il me semble avoir déjà vu des photos mais je crois que je n'ai pas lu le mot qu'il m'a dit. Ou peut-être que pour une fois, mon cerveau n'a pas très bien marché.

« Tu crois que je pourrais faire des photos Tao Jun-Hyung? J'ai pris mon appareil... » Il ne sert à rien de le préciser, puisqu'il est en permanence dans mon sac. Le moindre détail peut me donner envie d'immortaliser l'instant, cependant je ne suis pas certain qu'un appareil photo soit toléré dans une piscine municipale. Je me retiendrais si je n'en ai pas le droit, ce ne devrait pas être si difficile et Tao Jun me concentrera sur autre chose, ça, c'est une certitude.

Ce qui m'attirait indéniablement chez ce garçon là ? C'est que je n'arrivais justement qu'à le nommer garçon, alors que notre différence d'âge n'était pas si importante. Il semblait si enfantin, si à part, si étrange et différent que je ne pouvais que m'y attacher. Il était mon exacte contraire et semblait si chétif et fragile que j'étais certain qu'il n'y avait que ma grande gueule pour le protéger. Il était de mon devoir d'en faire quelqu'un de résistant qui saurait prendre ses aises où qu'il passe. Oui, je pense que c'était vraiment ça, en à peine quelques temps nous avons créé un étrange lien qui le place dans le rôle de mon petit frère, et pourtant je suppose que nous étions bien trop pudiques pour nous le montrer concrètement. Je lui adressai donc un sourire que je voulais rassurant avant de me mettre à maugréer contre l'automobiliste de devant qui n'allait pas assez vite à mon goût.

Sa question souleva mon torse en un soupire las et pourtant intéressé, étrangement contrasté. De par le rétroviseur, je notai sa moue embêtée et approuvai d'un mouvement de tête : « Ouais c'est ça. Le truc où tu restes assis, un peu comme dans une baignoire. » Je tentai de lui véhiculer l'image sans en donner trop afin de ne pas qu'il se fasse d'image fausse qui risquerait de le décevoir. Pour qu'il ne connaisse pas une telle chose, il ne devait pas connaître grand chose des divertissements, et je me fis alors la silencieuse promesse de lui faire découvrir encore tout un tas de choses. Cette simple idée fit naître un sourire chaleureux au coin de mes lèvres.

« Des photos ? » Répétais-je tout d'abord sans comprendre. Quel intérêt trouvait-il à photographier tout ce qui passait sous son nez -puisque ça n'était pas la première fois qu'il me le demandait- ? Néanmoins, si c'était là son petit plaisir, je n'allais pas le lui arracher. « Si t'as pas peur qu'il prenne l'eau... Je ne crois pas que ce soit interdit. J'ai déjà vu plusieurs personnes le faire. » Une nouvelle idée germa dans mon esprit, et quoiqu'un peu déplacée elle me sembla alors excellente. Je lui jetai un nouveau coup d’œil plein d'intérêt. Sans doute allait-il prendre peur, mais je voulais, en lui demandant à l'avance, lui laisser le temps de s'adapter à cette nouvelle question qui n'en était pas vraiment une -et aussi le temps de baliser, évidemment - : « La prochaine fois tu me montres chez toi mec ? T'es un drôle toi, j'veux voir d'où tu viens ! » C'était vrai, il suscitait beaucoup d'intérêt en moi, et je voulais vraiment savoir qu'est-ce qui le rendait si mystérieux.

Hyung est un homme étrange. Il est toujours très entouré et pourtant il vient toujours me voir. Il s'énerve contre les autres voitures alors que c'est lui qui va trop vite. Il me rassure alors que c'est lui qui m'a fait peur juste avant. « Hm, j'ai déjà vu des photos sur l'ordinateur. » Je ne sais plus ce que je regardais, mais si c'est une baignoire à bulle que l'on trouve dans les piscines, les spas ou ce genre de chose, alors je sais ce que c'est. Je ne suis jamais allé dedans cependant. Il y a une première fois à tout, bien que je ne sois toujours pas décidé à aller dans l'eau, à moins que l'on me prête une combinaison de plongée, ce dont je doute fortement.

Un soupir m'échappe puis je souris à nouveau lorsqu'il me parle de photographie. « Vraiment ? Alors peut-être que je prendrais un peu des photos avec toi, mais je ne veux pas casser l'appareil photo. C'est mon objet préféré et j'en ai besoin pour faire les devoirs. » Il est ce que j'ai de plus précieux, jamais je n'avais dépenser autant pour m'acheter quelque chose mais je ne le regrette pas, loin de là.

Je commence à m'adapter à la conduite de Tao Jun et je me détends, juste au moment où il pose une autre question, qui me fait retrouver mon stress immédiatement. « T...Tu veux venir chez... Moi ? » Pourquoi voudrait-il venir ? Personne n'est jamais venu dans mon appartement, du moins personne de mon côté, je crois que Ren a déjà invité des gens. Je réfléchis à vive allure, ne sachant pas quoi lui répondre pour qu'il ne le prenne pas mal, tout en sachant que de toute façon, il risque de venir bien que je ne lui réponde pas positivement.  « Je.. Je n'habite pas seul Tao Jun-Hyung. Il faut que je demande si tu peux venir à la maison. » Je veux la permission de Moon, il est important qu'il soit d'accord. « Je vais demander quand je rentrerais à la maison tout à l'heure. » Et s'il dit qu'il est d'accord, comment je vais faire ? Je ne comprends pas ce qu'il peut y avoir de si intéressant à venir voir mon appartement, ce n'est que quelques pièces, ce n'est pas luxueux non plus, bien au contraire. Hyung doit être habitué à de grandes maisons et de beaux meubles, je n'ai pas envie de le décevoir. « Ce n'est pas très bien chez moi tu sais... »

Ma question, qui n'en était pas vraiment une mais bel et bien une affirmation puisque qu'importe la réponses je serais venu, jeta comme un froid et je pus presque entendre son cœur battre plus rapidement sous les étreintes sadiques de sa cage thoracique. Son teint vira au pâle et mes coups d’œil tantôt au rétroviseur, tantôt directement sur son visage se multiplièrent. « Oui, chez toi. » Répétais-je plus posément. Pourquoi s'inquiétait-il tant ? Je me moquais bien de tout ce qui pouvait composer son mobilier, de la forme et la couleur de ses tuiles, de la couleur de ses murs. Je voulais juste m'installer, m'encrer plus profondément dans sa vie et prendre mes aises. Après tout, il n'était pas près de me voir décoller. Pas tant qu'il ne sera devenu un vrai homme à mon image. Et croyez moi, il y avait toute son éducation à refaire !

« Ah.. » C'était tout ? Il avait piqué ma curiosité à vif par son comportement étrange et m'en voilà presque aussi déçu que rassuré de savoir qu'il n'y avait rien de marquant chez lui. En même temps, qu'attendais-je de sa part ? Qu'il détienne en otage un père de famille ? Qu'il cache une collection de clichés compromettants ? « Ouais tu lui demanderas alors, parce que je compte pas laisser tomber. Et tu me connais quand j'ai une idée en tête. » J'émis un rire bref et m'arrêtai au feu rouge, la paume de la main sur le frein-à-main. Je ne comptais pas le laisser se défiler. Et puis, quelle raison avait-il de refuser ? Je n'ai jamais été désagréable avec lui, vraiment. Puis sa pseudo-excuse me tire un soupire blasé. Je suis un Jeo certes, mais si j'avais été obnubilé uniquement par l'argent, serais-je aujourd'hui dans la même voiture ? « Et alors ? J'm'en fous, c'est pas ça qui compte. Tu vas peut-être trouver ça drôle mais je suis très attiré également par mes opposés, par la normalité, simplement parce que c'est un concept qui m'échappe. J'aime beaucoup la simplicité. Et puis.. On s'en bat les couilles, j't'apprécie pas pour ta maison. » Me livrais-je comme si c'était l'une des choses les plus normales, avec un air sérieux réadopter en vue de la conduite redémarrant.

Je peux m'estimer heureux d'être relativement à proximité de tous : les premiers panneaux se firent présents pour indiquer le complexe sportif et de paire, les lieux d'eau. « Tu verras c'est pas affreux. Puis t'auras qu'à venir chez moi aussi si tu veux. Par contre faudra que je demande à ma meuf. J'ai pas envie qu'elle me crie dessus, elle est insupportable dans ces cas-là. » Me plaignis-je avec un soupire blasé et résigné, imaginant de là la probable dispute entre ma fiancée d'infortune et moi.

Je devrais être plus avenant et prendre sur moi pour permettre à Tao Jun d'entrer dans mon monde. J'ai déjà fait beaucoup d'efforts, mais pas assez. Il est l'un de mes seuls amis et il semble qu'il veuille le rester. Je dois le chérir, je dois le rendre fier de moi et surtout, je dois le laisser m'approcher, me parler, me connaître. Bien entendu, il y a des choses qu'il ne saura jamais, parce que je n'en parlerais jamais plus. Seulement, il devrait avoir le droit de savoir quelques informations sur ma personne. « Je demanderais à Ren, oui. Il est gentil et il est pas souvent à la maison alors je pense que tu pourras venir. » À vrai dire, bien que subsiste quelques inquiétudes, j'ai envie de montrer mes photos, mon appartement. Je pense que c'est beau chez nous, un peu rustique mais accueillant.

Sagement, je l'écoute me parler, me répéter ces mots qu'il me semble déjà avoir entendu. C'est vrai qu'il n'est pas un riche hautain, il me parle comme si j'étais son égal, comme si ma vie valait autant que la sienne. Il me donne l'impression d'être important, que ce que je dis peut-être intéressant et pas simplement ennuyeux. Tao Jun est gentil avec moi, il me porte de l'attention et il me donne de son temps, je dois lui donner le droit de venir chez moi. Il n'y a aucune raison pour que ça se passe mal et il est temps que je grandisse et que je sois à l'aise avec de nouvelles personnes dans mon appartement, comme Ren le fait. « Tu es vraiment gentil Tao Jun-Hyung... »

Un léger sourire s'affiche sur mon visage et j'ai soudainement l'envie de poser ma main sur son épaule pour lui répondre d'un ton plus enjoué. J'avorte cependant mon geste et repose ma main sur mon sac que je tiens contre mon buste. « J'aimerais beaucoup venir à ta maison ! Mais je ne veux pas créer de problèmes... Je ne savais même pas que tu avais une Chérie! » Je suis intrusif, je n'aurais pas dû poser cette question. Il vient de me dire qu'il avait quelqu'un, il n'était déjà pas obligé de le faire, ou peut-être que les amis parlent de tout ça ? Je ne sais pas, mais cette simple information me donne soudainement envie d'en savoir plus sur lui et sur sa vie privée. « Ça fait longtemps que tu as une petite-amie ? Elle est jolie ? Elle est gentille ? Elle crie beaucoup ? » Visiblement, la curiosité me fait parler. Je me tais pourtant soudain, bien qu'il n'ait toujours rien dit et tourne mon regard vers la fenêtre. « On arrive bientôt ? » Curiosité vient de laisser place à Appréhension, je suis doué pour les ascenseurs émotionnels.

« Tu es vraiment gentil Tao Jun-Hyung... » J'avais beau me faire cirer les pompes et lécher le cul un nombre incalculable de fois par jours par les simples d'esprits ne pensant qu'aux bénéfices qu'ils pourraient éventuellement tirer en fréquentant un Jeo. Hors je le savais sincère, parce qu'il ne pouvait en être autrement venant d'Heaven. La vérité sort de la bouche des enfants. Et il donnait cette éternelle impression d'en être resté à ce stade, cette charmante et chaleureuse illusion qui ne pouvait être découverte qu'en grattant cette coque dure que je m'évertuais à tuer. Que j'aimais réduire à néant. Je voulais de tout coeur faire de lui un adulte, et pourtant un pincement au cœur me subjugua en pensant qu'il ne serait plus lui-même. Choix douloureux. Et pourtant j'étais là pour ça. Autant est-il que ses mots me mirent du baume au cœur : rares étaient les personnes aussi sincères et je me sentis l'espace d'un instant glorifié et revalorisé. « hm ? Merci, vraiment. » Vraiment, sincèrement et du fond du cœur. J'avais trop peu eut droit à ces compliments banaux qu'on semblait vouloir m'éviter. Un sourire large avait d'ailleurs étiré mes lèvres en découvrant une rangée de dents parfaites malgré le nombre de clopes que mon organisme ait à subir jour après jour. « Je ne comprends pas pourquoi tu étais souvent seul, hm ? » Cela n'était même pas une question à vrai dire, mais une constatation : comment un être doux comme lui pouvait-il avoir été écarté tant de temps ?

Il me semblait avoir vu sa main bouger, mais si ce fut le cas, ce ne fut guère longtemps, ou guère utile puisqu'elle retrouva vite sa place d'origine. « T'en fais pas, je pense pas qu'elle sera contre, je pense même que tu lui plairais vraiment. Et sans doute qu'elle te plaira aussi. » Dis-je en grimaçant : je ne voyais pas les deux ne pas s'entendre, mon esprit avortait la situation inverse du schéma narratif. Néanmoins, d'un air gêné, j'enlevai une main du volant pour me masser la nuque : « ce n'est pas vraiment ma copine à proprement parler. A vrai dire c'est ma fiancée, mais c'est un mariage arrangé et on travaille activement à un moyen d’amorcer la rupture. » C'était délicat à comprendre : c'était une situation qu'il fallait vivre pour réaliser. Son flot de questions m'amusait, et je ne vis aucun mal à y répondre. J'en demandais toujours davantage sur sa vie, n'était-ce pas normal et nécessaire même qu'il me rende la pareille en me témoignant un quelconque intérêt, bien que ce soit actuellement Iseul qui l’intéressait ? « On se connait depuis longtemps, et depuis qu'on se connait on se tape dessus, on se bouffe l'un l'autre, on s'insulte.. Tu vois le genre. Mais nos mères s'adorent et forcément, tu connais les mères.. Elles ont vite convaincu les familles que notre mariage serait l'une des plus belles choses possibles. Ce dont je ne suis absolument pas convaincu. » ça n'était pas la vraie version mais cela s'en rapprochait. « Oui, elle crie beaucoup et.. oui, je dois aussi dire qu'elle est vraiment jolie. Au final c'est un mal pour un bien, je l'apprécie et l'estime bien plus depuis qu'on est tous deux plongés dans la même galère. »

Le temps de parler et de répondre à ses question nous avait conduit jusqu'au parking. J'arrêtais donc le véhicule et étendis le bras pour saisir la hanse de mon sac posé sur le siège arrière afin de le ramener vers moi. « Tu es prêt ? Ou.. Ecoute, je sais que c'est un peu difficile pour toi. J'ignore pourquoi mais voilà, et bien que je ne compte sous aucun pretexte rebrousser chemin, si tu.. Je sais pas moi, si t'as besoin de quelques minutes avant de sortir, je n'ai rien contre. » Il était toujours un peu délicat d'émettre des hypothèses sur Heaven, parce qu'il s'agissait d'un garçon spécial. Mais je pense avoir toujours été attiré par la difficulté, et même si je m'y prenais mal, je savais, et il le savait aussi, l'intention était là.

Depuis mon arrivée à Suwon, dans le monde que j'appelle normal, j'apprends à me mêler aux autres, j'apprends leurs rites, leurs coutumes et surtout, comment ils vivent. J'ai passé de très nombreuses heures à la bibliothèque, à lire tout un tas de livres de psychologie, de sociologie, ce genre de choses. Seulement les livres ne peuvent pas tout apprendre et surtout, ils sont figés alors que le monde, lui, est en constante évolution. J'ai appris avec les amis que je me suis fait, j'ai appris avec Ren et j'apprends aussi beaucoup avec Tao Jun. Par exemple, je ne savais pas que l'on pouvait être fiancé avec quelqu'un dont on est pas amoureux. « C'est bizarre, non ? Que ta maman elle choisisse ta femme pour toi ? Enfin.. Je ne sais pas... Peut-être que les mamans font toujours ça... »

J'aimerais bien savoir ce que ça fait que de ne pas déranger sa mère, qu'elle s'occupe de nous. Peut-être serais-je aussi fiancé avec une fille que je ne connais pas, ou pas beaucoup, mais qu'elle aime bien. Je ne sais même pas si elle est encore en Corée du Sud, je n'ai pas eut de nouvelles depuis mon départ du pensionnat. J'espère qu'au moins, elle est heureuse, maintenant que je ne suis plus là pour traîner dans ses pattes. Un soupir dépasse la barrière de mes lèvres et puis je regarde mon ami, souriant. « Elle m'aimerait bien tu crois ? Je vais pouvoir la rencontrer quand je vais venir chez toi ? Elle va pas me crier dessus, si ? » Je mordille désormais ma lèvre inférieure, pourquoi suis-je toujours forcé de penser à de mauvaises choses alors qu'il s'agit de bonnes à la base ?

« Peut-être que tu vas tomber amoureux après. Parce que je crois que les mamans n'ont jamais tords. » Ou peut-être qu'à force de côtoyer une personne, on s'y attache et que les sentiments s'installent. Comment pourrais-je le savoir puisque je ne connais absolument rien à ce domaine, et que les livres ne peuvent pas m'aider. La voiture s'arrête, et ceci me tire de mes pensées, me rappelant soudainement pourquoi je me trouve dans cette voiture. « Non je... Je vais venir avec toi. Tu me laisseras pas, pas vrai ? » Mon tic reprend et je torture à nouveau ma lèvre inférieure avant de m'extirper du véhicule. Je m'étire et regarde le grand complexe face à moi, il me semble que des milliers de personnes pourraient s'y tenir. « Tao Jun-Hyung... Je sais pas trop si j'ai pris tout ce qu'il fallait.. Alors peut-être qu'il faut qu'on aille au magasin.. ? » Peut-être qu'on pourrait s'y perdre, accessoirement et que je n'aurais pas à me mettre à demi-nu. C'est méchant de penser ça ?

J'évitais de répondre aux autres questions sur Iseul, de peur de m'enfoncer dans mon erreur. Après tout, cette gamine là.. je ne pouvais pas dire que je la connaissais pas, ou peu. Enfin si, j'ignorais tout d'elle, mais c'est que sur toutes ces années je n'avais jamais cherché à percer la carapace. On s'était rencontrés à une fête organisée par nos parents respectifs, de bons amis. on était gosses, rien de bien méchant, mais déjà à cet âge-là on se cherchait mutuellement, à savoir qui allait faire le plus criser l'autre. Petits fours terminant leurs courses sur sa jolie robe, pantalon baissé devant tous mes potes.. Savoir qu'aujourd'hui, alors que nous avions bien grandit, nous étions fiancés, c'était comme nous passer la corde au cou. Et pourtant, j'avais peur de m'y perdre, dans ce que mes parents appelaient une Idylle. On a beau dire, je ne la détestais pas autant que je le prétendais, tout au contraire même, et c'était ça le pire. Je conservais donc un silence soigneux avant d'humecter mes lèvres d'un rapide coup de langue. « Elle t'adorerait. Je parie même qu'elle sera à tes petits soins, et qu'elle se fera un plaisir de te prendre comme modèle pour ses vêtements. Après tout, t'as un physique de rêve. » Je tentais de le rassurer autant que possible et de lui faire apprécier son physique une fois de plus.

Fier de ce gars qui s'installait dans mon coeur dans une vraie place de petit frère, et ce plus par sa personnalité que son âge, je m'extirpais du véhicule tout aussi vite après avoir tapoté ses épaules dans un geste se voulant encourageant. « Tu gères bro'. J'te lâcherais pas tant que tu m'auras pas viré à coups de pied au cul, tu peux en être sûr. » Je ricanais bêtement et compris immédiatement le sens détourné de sa question, pour user moi-même de cette technique les trois quarts du temps. Je passai mon bras autour de ses épaules comme l'aurait fait un pote, et n'était-ce pas le cas ? Mon sac pendant de mon épaule, j'avançais en exerçant sur lui une faible pression destinée à le remotiver. « C'est con parce que... Tout ce dont tu as besoin est en vente dedans aussi. C'est trop bête hein ? » Le narguais-je avec un sourire emprunt de sadisme, avant de le guider à l'intérieur du complèxe. Je me dirigeais automatiquement à la réception pour payer deux clés de casier, laissant Heaven temporairement.

Je suis si terrifié que mon cerveau ne réagit plus, ou trop. Je n'entends plus la voix de mon ami bien que je tente de me concentrer sur ses mots, en revanche les bruits de la ville sont omniprésents. Cela dit, une fois que sa phrase est terminée, elle résonne dans mon esprit et je le regarde, surpris. « Des vêtements ? Sur moi ? Tout serait trop grand... Non ? » J'ai beaucoup de mal à trouver des vêtements saillants, ou plutôt je ne les cherches pas vraiment. J'aime que l'on ne puisse pas me distinguer, que mes bras et mes jambes soient parfaitement dissimulés et que l'on ne puisse rien deviner de mon corps. À vrai dire, lorsque je fais les boutiques avec Ren, je trouve des tenues qui lui plaisent, qui me vont, qui sont à ma taille mais en général, je trouve que l'on me voit trop et je n'achète pas. Ou alors j'achète, mais ne porte pas. C'est dommage, je sais, surtout que je ne roule pas sur l'or. Je pense donc que si je survis à cette sortie à la piscine, je ferais un effort pour mieux m'habiller.

Tao Jun me rassure et me fait sourire lorsqu'il passe son bras autour de mes épaules, j'esquisse même un rire. « Je ne veux pas trop te donner des coups de pied de toute façon. » Si je plaisante, c'est qu'il me met à l'aise. C'est ce que j'aime aussi chez lui, qu'il m'accepte comme je suis, qu'il tente de me changer mais pas totalement. Il me connaît bien et il veut m'ouvrir au monde sans me forcer vraiment. Je veux lui faire plaisir et je veux réussir le défi qui s'offre à moi, seulement j'ai peur, très peur. Je fais confiance à Tao Jun, si je panique, je pourrais lui dire et il acceptera que je sorte. Il a déjà assisté à l'une de mes crises de panique dans un bain de foule et il n'a sans doute pas envie de revivre cela. Je n'en ai pas envie non plus, pas envie du tout.

Il m'aide à avancer, son épaule m'empêche de reculer et ce n'est pas plus mal. « Tout est dedans ? » Je trouve ça fou, mais cela me semble logique qu'il y ait une boutique dans un complexe si grand. Je crois que j'ai seulement besoin d'un maillot de bain et d'une serviette, ce que j'ai déjà. « J'ai un maillot et une serviette de bain... Est-ce que j'ai besoin d'autre chose ? » Il me le dira bien, si je suis stupide ou trop prévoyant. Il me laisse, s'éloigne et je me retrouve seul. Le bruit résonne, l'espace est presque vide et pourtant il me paraît trop rempli. J'observe, je me concentre sur la décoration pour oublier le brouhaha que je peux entendre depuis l'autre côté des portes. Un groupe rentre après nous et je me précipite vers mon ami. J'ai peur mais je ne veux pas qu'il le voie. Le plus dur reste à venir, je le sais.

Spoiler:

Quand bien même j'ai foi en la capacité d'Heaven de se débrouiller cinq minutes sans ma présence -et je l'avais surtout car j'étais persuadé de ne pas en avoir pour longtemps- , il n'en reste pas moins que plus les secondes s'écoulaient, plus mes coups d’œil vers lui se firent fréquents. Comme une drôle d'ambiance communicative, me voilà en proie au stress que je l'imagine ressentir. Comme si.. Comme si son état était contagieux. Comme si je l'appréciais tant que la compassion était plus forte que d'habitude. Si je m'en donne l'air, si c'est parfois l'image que je renvoie et si, contre toute attente, c'est l'apparence que je souhaite montrer, je ne suis pas un garçon froid mais autant, cela n'était pas dans mes mœurs, voilà pourquoi j'en ressentais une forme de peur. D'un regard sombre et d'un ton cassant, je pressai la réceptionniste qui semblait décidée à prendre son temps. Une part de moi désirait laisser le Pétalous en face de ses grandes peurs pour l'observer s'y confronter, et l'autre, celle qu'il avait fait germer, me criait de le rejoindre aussi vite que possible. Toutefois, le garçon ne me laisse guère de choix puisqu'au moment où la femme se décide enfin à me confier les deux clés des casiers, celui-ci se rapproche soudainement de moi. Je souris, amusé, mais aussi sincèrement rassuré. Et pour me dépêtrer de cet élan de sentiments qui ne me ressemblent pas, je me moque. « Bah alors ? J'te manquais déjà ? » Il sait, ou du moins j'ose l'espérer, que ça n'est aucunement méchant. ça ne l'a jamais été. Et sans doute même que le jour où cela le sera, je le regretterais un long moment.

Je posai ma main sur son bras pour attirer son attention, et de mon autre main, déposai les clés dans sa paume. « J'ai fais en sorte de prendre des casiers à côtés, vu que t'as meilleure mémoire que moi, c'est plus pratique. » Le seul problème avec moi était que quand bien même j'attachai le bracelet à mon poignet, j'arrivai à me paumer au niveau des casiers tant le complexe et la partie dédiée était grande. Et, connaissant les capacités mémorielles d'Heaven, c'était jouer la sécurité que d'insister pour se trouver à côté. D'autant plus que j'étais certain que me rabaisser et le mettre en valeur d'une façon si naturelle n'allait que lui faire plaisir. C'était idiot hein, d'apprécier mettre quelqu'un d'autre que soit dans la lumière un instant ?  Tout en riant à cette phrase, je nous dirigeai vers les casiers avec habitude, tentant tant bien que mal de suivre les numéros mal ordonnés pour trouver celui de mon bracelet. « Il paraît qu'il y a des piscines où les clés sont simplement sur les casiers et t'as pas à les réclamer. Aigoo.. Pourquoi est-ce qu'on habite dans un pays si compliqué, nee ? » Soupirais-je tout en renonçant à ma recherche temporaire pour obliquer à droite, vers les vestiaires. Au diable les casiers, on rangera plus tard.

Je ne saurais expliquer cette peur qui m'étreint. Comme si d'énormes mains enserraient ma poitrine et la compressait entre leurs doigts. J'ai l'impression de chercher mon air, de peiner à respirer. Mes jambes tremblent, comme si l'on m'encerclait et me menaçait. Ces gens ne m'ont sans doute même pas remarquer et moi, j'imagine déjà le mal qu'ils pourraient me faire. Dès que j’atteins mon ami, l'air devient plus facile à inhaler, les battements de mon cœur résonnent moins dans mon esprit et j'ai l'impression de contrôler mon corps à nouveau. Mes yeux passent d'un détail à un autre, de visage en visage avant d'enfin se reposer sur Tao Jun lorsqu'il prend mon bras pour déposer des clefs dans la paume de ma main. Je regarde les petits objets, puis son visage à nouveau, ne comprenant pas vraiment ce à quoi elles correspondent. « Des casiers ? » Pourquoi a-t-on besoin de casier ? Je pensais que l'on gardait nos affaires. Je ne suis pas vraiment à l'aise lorsque je dois laisser mon sac et surtout, mon téléphone. Ren pourrait essayer de me contacter et si je ne réponds pas, il risque de s'inquiéter. Je n'écoute pas vraiment ce que le Jeopardize me raconte, de toute façon, je ne comprends pas tout. « C'est un pays compliqué ? » N'est-il pas plus évident de garder nos propres clefs sur nous ? Si elles restent sur les casiers, ne risque-t-on pas de nous voler ?

Je le suis, confiant, de toute façon je ne saurais pas me repérer ici, j'ai déjà un sens de l'orientation très limité alors je me perdrais à coup sûr dans un lieu que je ne connais pas. « Hyung.. ? Est-ce que je dois laisser mon téléphone dans le casier ? » Je n'aimerais vraiment pas avoir à le faire et alors que je resserre mon poing sur les petites clefs, nous entrons dans une pièce qui me paraît interminablement longue et pleine. Des gens sortent de petits box, en maillot de bain, presque nus. Je n'ai pas l'habitude de voir autant de peau, je n'ai vu que Ren si peu vêtu et moi-même. C'est gênant, je ne sais pas où poser les yeux pour ne pas déranger les autres, pour que mon regard ne soit pas mal interprété, alors je le pose au sol, les joues rougies. Je suis ridicule et j'en ai bien conscience. Qui se sent mal pour des gens en maillot de bain ? Qui à part moi ? Mes dents enserrent ma lèvre inférieure. J'ai envie de pleurer. Parce que je me trouve stupide, ridicule et mal à l'aise.  Je ne veux pas que Tao Jun est honte de moi, il fait des efforts pour me rendre normal et je gâche toujours tout parce que je ne sais pas contrôler mes émotions. Je ne regarde pas où je marche, je suis perdu bien qu'il soit à mes côtés et soudain, ma tête heurte un buste, me faisant relever les yeux. Un homme se tient face à moi et me regarde, comme si j'étais fou. Le mal-être se fait alors plus présent encore et je m'incline à de nombreuses reprises, m'excusant encore et encore, comme si j'avais faillit le blesser gravement. À nouveau, respirer devient difficile et je sens la panique monter en moi. Peu à peu, les gens se tournent vers moi, j'attire l'attention alors que je veux faire le contraire exact.

Parfois, il m'arrivait de défaillir. De me demander si ce en quoi je mettais tant d'ardeur était réellement la bonne solution, quand bien même j'y songeai avec force quelques secondes plus tôt. En l’occurrence, je craignais qu'entraîner Heaven dans cette banalité qu'est la piscine -et j'étais certain qu'à ses yeux, cette sortie ressemblait en tous points à une expédition au cœur de la jungle- ne soit une mauvaise idée. Une très, très mauvaise idée. Et s'il ne supportait pas ceci ? Et s'il faisait une crise de panique, ou que sais-je ? Le complexe était immense. Bondé, par conséquent. N'aurais-je pas pu commencer par quelque chose de plus simple, comme quelque chose qui ne lui aurait pas demandé d'exhiber son corps à toutes les personnes ici présentes ? J'aurais du garder ça pour l'instant où il aurait été plus à l'aise avec lui-même, plus en phase. Je détestais plus que tout voir cet air consterné, affaibli et apeuré sur son visage doucereux. Heaven était mon poulain, mais surtout et avant tout mon petit frère, mon ami. Mes dents s'enfoncèrent dans ma lèvre inférieure déjà bien maltraitée ces derniers jours, pour jouer avec douloureusement. Je ne savais pas vraiment identifier si c'était de l'égoïsme, ou de la sur-estime. Ou un abus de confiance. En tous les cas, j'allais abuser du candide jeune homme.

Je voyais bien qu'il faisait mille et un efforts pour baisser les yeux, ne pas fixer les gens en maillot, ne pas me faire honte. Aurais-je pu, à un quelconque moment, avoir honte de lui ? Je tentai d'esquisser un sourire rassurant, qui s'évanouit vite : cela n'allait rien changer au malaise du pétalous. Je souhaitai avancer vite pour lui épargner toutes ces personnes, mais malheureusement, j'obtins l'effet inverse : sans doute perdu, il s'était heurté à l'un d'eau, attirai l'attention. Le pire possible et imaginable. Il était déjà extrêmement gêné, et timide de surcroît, peu en confiance. Aigoo.. Comment j'avais pu penser qu'il serait bon de lui infliger ça ?! Revenant rapidement sur mes pas, j'use de la seule technique que je connaissais pour me tirer de ce mauvais pas face à un homme plus âgé que moi, l'agressivité. Dégageant la personne d'un coup d'épaule quand bien même j'avais l'impression de faire face à une montagne, j'enroulai mes doigts autour du violet. « Quoi ?! ça arrive à tout le monde de pas regarder où il marche nan ? » Crachais-je presque avec mépris, défendant mon cadet. « Le premier qui s'amuse à le dévisager encore une fois va prendre cher, okay ? » J'avais de la chance, puisque je pouvais jouer sur la surprise pour obtenir le silence. Je savais que si je n'avais pas saisi cette opportunité, j'aurais été mal vu, et il fallait déguerpir avant qu'ils ne se remettent. Ainsi, je souris à Heaven et le tirai hors de la foule. C'était le moment pour un petit topo. Regardant frénétiquement à ma droite, puis à ma gauche, je l'entraînai vers un banc à l'abris malgré que nous étions encore tout habillés, et m'assis en l'invitant à faire de même : « T'inquiète pas pour eux, t'y es pour rien, c'est les gens qui sont tous comme ça. J'ai peut-être visé trop haut pour le moment. Tu veux rentrer, ou faire autre chose ? Je serais pas vexé, au contraire, je suis tellement désolé Heaven. » Désolé d'avoir mal pris en compte les risques de cette sortie, désolé de l'avoir entraîné là.

Je ne veux pas avoir peur, je ne veux pas paniquer, je ne veux pas faire honte à Tao Jun. Tout ce que je voulais c'est être normal pour une fois, écouter mon ami, le suivre, relever le défi et le réussir mais je crois que j'en suis incapable. Je veux réussir mais la peur m'oppresse, me fait oublier toute ma volonté et me paralyse. Tous le monde se rend à la piscine et personne n'angoisse, personne ne devient effrayé à la vue d'une simple personne qu'il ne connaît pas mais moi, si. Ren et Tao Jun se battent pour que je sois normal, pour que je vive une vie banale et j'en rêve, seulement il faut être réaliste, ce ne sera pas aujourd'hui, pas maintenant, pas alors que toutes les personnes qui m'entourent sont à moitié nues. La simple vue de leurs corps dénudés rappellent mes souvenirs, ceux que j'ai souhaités oublier du plus profond de mon être. Les flashs apparaissent devant mes yeux à chaque clignement de paupières. J'ai envie de crier, de hurler, de courir jusqu'à ce que mes poumons me brûlent mais je ne peux pas faire ça, parce que Tao Jun est là, parce que je l'entend me défendre bien que mes pensées soient trop occupées pour que comprennes.

C'est lorsqu'il m'entraîne à l'écart que mes pensées se concentre sur ce qu'il me dit et je ne peux m'empêcher de sourire légère, mes yeux parcourant son visage comme s'ils ne l'avaient jamais fait. J'ai besoin de mes repères lorsque j'ai peur et il en est un. Je pose mes mains sur les siennes pour qu'il se taise et continue de le fixer, me concentrant sur son visage pour me calmer, pour que ma respiration et les battements de mon cœur s’apaisent. Quelques secondes, peut-être minutes, de silence passent et enfin, j'ouvre la bouche pour lui répondre. « N.. Ne t'excuse pas Hyung.. C.. C'est moi le problème je.. Je veux juste.. Être habillé et.. Et ne plus me souvenir. » Je regarde alors derrière lui, me trouvant face à la porte d'entrée, je cherche une solution pour que les efforts de mon ami ne soit pas vains et je la trouve en lettres néons au-dessus d'une porte opposée à la pièce dans laquelle nous nous trouvons. « Hyung, il faut être habillé sur une patinoire et comme il fait froid il y aura moins de monde, non ? » Je ne pose pas vraiment la question, je réfléchis plutôt à voix haute et avant qu'il n'ait pu me répondre je me lève, tenant toujours l'une de ses mains pour le traîner dans la partie adjacente à la piscine, ne sortant même pas du complexe. « Je sais pas trop si c'est la bonne porte Hyung... » Je regarde autour de nous mais ne trouve aucune indications, nous entendons de la musique et des voix mais je ne vois rien.