Cette façon de parler, et puis, cette voix aussi, ne me laissèrent nul doute quant à l'identité de la personne qui me tournait le dos. Je soupirai discrètement, et tirai une tige blanche et orangée de mon paquet de blondes, afin de l'allumer tout en discrétion. Ce que j'aimais dans ce café, c'était la tolérance peut-être extrême du gérant et des serveurs, qui n'avaient que faire des interdictions de fumer. Par ailleurs, l'absence totale d'indications à ce sujet est à noter. Je commençais à avoir mes habitudes ici, et si cela m'effrayait par la banalité de l'homme que je penchai à devenir ainsi, c'en était d'autant plus pratique que je pouvais me permettre un large éventail d'actions. Je tirai une première bouffée, fermant les yeux pour savourer la sensation mortelle de l'allé et retour de la fumée, et me penchai dans le but ramasser le journal qui venait tout juste de rater la poubelle de quelques millimètres tout juste. Ceci fait, je m'approchai de la personne, et une fois dans sa ligne de vue, m'armai d'un sourire charmeur que je jugeai ravageur, tout en agitant le bout de papier plié : « Aish.. C'est dommage, il avait l'air plutôt intéressant. Tu permets que je le garde ? » Il s'agissait là d'une phrase très avant-gardiste pour ma personne, et je me mis alors à rire d'auto-dérision. Ce qui m'étonnait le plus n'était pas le fait que je venais de parler comme mon daron, mais bien la présence de la belle Jin Sil dans un café du coin, alors qu'elle devrait être chez elle, ou n'importe où sauf ici.

Ici présenté, le lieu aurait pu être malfamé, mais je voulais surtout dire qu'il était étrange de la trouver au dernier endroit où elle aurait pu être à cet instant, et de la croiser par le plus grand des hasards alors que nous avions tout Suwon pour nous déplacer. « A vrai dire, avouons-le.. Je m'en branle.  » Je jetai alors moi-même le journal, loupant de peu l'objectif à mon tour, et commentant cette erreur d'un simple haussement d'épaules. Je tirai un des tabourets afin de m'asseoir à sa hauteur, et tirai une nouvelle latte sans dévier mon regard de ses prunelles charbonneuses et envoûtantes : « Qu'est-ce que tu fais là ? »

Lorsque son buste et sa chaise pivotèrent lentement pour me faire face plus convenablement, je sus que je venais de marquer un point. Elle était sans doute intriguée par ma familiarité, hm ? Il fallait avouer que je n'étais pas de ces garçons qui passent leur temps à courir après la politesse, qui débarrassent fièrement la table pour aider maman, et je me satisfaisais pleinement du fait de l'avoir croisé dans les couloirs de la fac pour engager le conversation dans un petit café du coin. Par ailleurs, en parlant de café, lorsqu'elle fut servie, j'en profitai pour réclamer un café viennois : ma petite touche d'enfantillages sans doute, la chantilly. Le temps qu'il arrive, ma tige trouva refuge entre mes lèvres encore une fois, l'espace de quelques secondes suffisantes pour permettre à la fumée de parcourir mon œsophage, et daignai enfin, dans un élan de gentillesse profonde, répondre à sa question avec simplicité sans que ce sourire ne quitte mes lèvres : « C'est normal, on ne se connait pas. » Pouvait-on faire plus simple que ceci ? Si le nom des Jeopardize, bien que grandement famous dans le milieu, n'étaient pas forcément sur toutes les lèvres, tous les élèves de la fac ou presque étaient recensés dans nos mémoires. Voilà pourquoi je connaissais son nom, malgré qu'aucun mot n'avait jamais été échangé. « Ham Tao Jun. On se croise souvent le jeudi et le vendredi dans les couloirs. T'es Jin Sil c'est ça ? » Pas même un merci à l'attention du serveur qui venait de déposer la boisson calorique devant mes yeux, je plongeai la cuillère dans la chantilly pour la fourrer dans ma bouche en ricanant bêtement de satisfaction (j'ai fais un blocage dessus..Orz).

J'avais beau avoir passé la majorité depuis maintenant quelques années, il n'en restait pas moins que certains gestes du quotidien n'étaient pas encore tenus pour acquis. Mon visage se tendit à sa réaction et j'eus conscience que je devrais peut-être garder ces rires idiots pour mon comité restreint d'amis capable de s'en amuser. Mon image était quelque chose d'important, et ce fut la raison pour laquelle je me ressaisis immédiatement, laissant la cuillère dans mon café, et la cigarette entre mes lèvres temporairement. Je me sentais dans une étrange position et en vins à maudire mon impulsivité qui persistait à m'enrôler dans de mauvaises places, dans celles qui tout compte fait ne me plaisaient guère. Je n'avais pas réfléchi avant d'aborder Jin Sil, et me retrouvai fortement gêné à être ainsi.. inconnu. Cela n'était pas dans mes habitudes.

Néanmoins, je sursautai au moment où elle plongea en avant. Je ne m'y étais pas attendu, et déloger ainsi mon regard du sien pour voir son menton manquer de buter contre le comptoir m'avait surpris par la vitesse de l'action. Et cette fois, ce fut mon tour de froncer les sourcils en l'entendant parler ainsi. Aigoo.. C'était si perturbant que c'en était frustrant ! Son langage n'avait rien à voir avec sa tête, elle avait l'air d'une personne posée, ses traits étaient doux, mais cela en restait visiblement là. Je ne pris qu'uniquement la peine de fusiller l'homme du regard avant d'écraser le reste de ma cigarette dans le cendrier, m'empressant alors d'effacer le goût du tabac par celui plus sucré de la chantilly. « Ouais.. » Je ne répondais que tardivement à son pseudo-ravissement prononcé uniquement par politesse, et soupirai distraitement. « Ne t'en fais pas, c'est pas plus mal dans un sens, cet inversion de situation. Je comprends enfin ce qu'ils ressentent tous. » C'était une phrase pré-fabriquée d'homme famous par excellence, et pourtant je ne faisais pas exprès. J'étais sincère dans le sens où, pour une fois, j'étais amusé de connaître une personne qui ignorait tout de moi, et non l'inverse arrivant fréquemment chez les Jeopardizes. « Envie soudaine de prendre un café, ou bien c'était plutôt imprévu ? » Demandais-je naïvement en désignant d'un hochement de tête sa coiffure humidifiée par la pluie.

« Oui, voilà. » Quel besoin de se cacher ? Quand bien même la phrase m'avait échappé par inadvertance, il n'en restait pas moins que voilà exactement ce que je pensais. Cela pouvait paraître hautain, ou encore narcissique, et ça le fut par le passé, désormais il n'était question que d'habitude. La chantilly vite disparue par l'intermédiaire d'une cuillère gourmande, je ne relevai pas sa remarque : le faire risquer de pousser au débat puisqu'à mes yeux, il n'existait rien de plus pitoyable et désolant que l'anonymat. Mais que voulez-vous, je rêve en grand. A mon tour, plus modestement, mon coude vint prendre place sur le comptoir du bar, et mon menton se logea sur ma paume, sans lâcher sa coiffure des yeux. Par chance, j'étais là depuis plus longtemps qu'elle et avait échappé à la pluie, néanmoins je devais avouer que voir les gens avançant rapidement dans les rues pour y échapper tels des fourmis était distrayant : voilà pourquoi ce sourire narquois ne pouvait faire autrement que se loger sur mes lèvres : « Ah.. » Que dire d'autre sans en connaître les circonstances, le pourquoi du comment ? Involontairement, en bougeant, elle a attiré mon regard, mais en la voyant croiser les jambes, je le remontai jusqu'à ses yeux pour encrer de nouveau mon attention sur elle : il ne s'agissait pas de se faire prendre pour un pervers, tout de même. « Je devais retrouver quelqu'un qui s'est désisté, mais j'avais besoin de sortir quand même. Puis j'aime bien ici, c'est sympas ! » Contrairement aux secondes passées, et en écho à tantôt, un nouveau rire, plus modéré et discret cette fois, m'échappa, et c'est un regard presque affectueux qui balaya la petit café, alors qu'à nouveau le contenu de la tasse glissait dans mon oeusophage par quelques gorgées. Je reposai ensuite la tasse, me redressant totalement sur le tabouret : « Enfin au final, j'suis pas seul pour autant, hm ? »