J’ai la tête dans le brouillard. J’ai passé une mauvaise nuit et mon ventre crie famine. Je devrais prendre des cours de gestion afin qu’un jour je sache enfin gérer mon compte en banque correctement. Néanmoins, ce n’est pas le fait que j’ai faim qui m’a empêché de dormir cette nuit. Non, c’est lui. Hiroji. Savoir que j’allais être coincée avec lui à surveiller des gosses pendant deux heures en étude n’était pas bon pour mon cœur. D’un côté j’étais affreusement heureuse de pouvoir m’assoir à ses côtés, de pouvoir le contempler de si près, de parler avec lui. D’un autre, la rancune est toujours en moi et je ne peux lui pardonner tout ce qui s’est passé. On est con tous les deux mais pour ma part, c’est indubitable, je n’arrive pas à m’empêcher de lui en vouloir. C’est alors qu’il doit le mériter, voilà tout.Vêtue légèrement, je m’avance, les mains quelques peu tremblantes dans les couloirs du lycée. Les élèves sont bruyants et mon crâne me fait l’impression qu’il va bientôt imploser. J’ouvre la porte de l’étude, il est déjà là. J’éteins mon ipod, délivrant alors mes oreilles du son entrainant d’un system of a down. Je m’assois à ses côtés et observe les gamins entrain de brailler en tentant de pas m’énerver contre eux. Il faut que je trouve un prétexte, quelque chose à lui dire. Soudainement, je tourne mon regard vers le jeune homme et fixe l’un de ses tatouages. « Tu devrais retravailler les ombres, ça s’estompe. » Dis-je d’un ton faussement neutre et hautain, je veux le piquer, je veux voir à quel point je l’intéresse. « T’as l’air délavé en fait. » ajouté-je moqueuse.

La mauvaise nouvelle était tombée la veille, très mauvaise nouvelle même. Passer deux heures à surveiller des lycéens – qui pour la plupart se préoccupent plus de leur future fraternité que de leur études – avec Eien. De tous les surveillants, il faut que se soit avec elle. Forcément. Hiroji a passé la nuit à dramatiser parce qu'au fond ce n'est une si mauvaise nouvelle, être si près d'Eien. Mais encore faut-il qu'il réussisse à se l'avouer. Chose bien difficile pour le japonais dont le cœur va à l'encontre de ses convictions. Mais aussi de son attitude et presque même de ses principes les plus profond. Cigarette terminée, il se dirige vers la salle d'étude. Grâce à la nicotine il est détendu mais penser à Eien et voilà qu'il a les nerfs à fleur de peau. Arrivé devant la porte et main sur la poignet il soupire et tente de rester calme. Deux heures, juste deux heures. C'est pas grand chose dans une journée. Il rentre et remarque qu'il est le premier arrivé. Bonne chose ? Mauvaise chose ? Nouveau soupir. Il n'y a plus qu'à attendre. Casquette et lunettes sur la table, le brun compte ses cigarettes pour passer le temps. Mais faut pas croire c'est important de savoir, véritable accro à la nicotine. Et elle arrive quelques secondes après. Elle est toujours aussi bien habillée, il détourne le regard, range le paquet et salut d'un signe de la tête. Silence. Deux heures finalement c'est peut être beaucoup. Fin du silence, une remarque sur ses tatouages. Le regard posé sur un groupe de lycéens il tente de rester calme. « Merci du conseil, j'irai en parler à un tatoueur. » Dit-il faussement sincère comme si elle même n'était pas tatoueuse. Il croise les bras et rajoute. « D'ailleurs t'en aurait pas un bon à me conseiller ? Ils se font rares en Corée. » Ou comment faussement sous-estimer son travail en une phrase. Phrase qu'il regrette déjà.