Ça y est, je le tiens ! Ce chapitre qui m'a donné tant de fil à retordre est enfin fini, étalé devant moi sur plusieurs pages d'un cahier aux pages cornues et raturées. Certes, il en reste encore beaucoup mais je suis fier d'avoir bouclé celui-ci car il s'avère très important pour la suite de mon histoire. J'y ai passé plusieurs nuits sans dormir, j'ai sacrifié plusieurs arbres à la cause en jetant à la poubelle pas moins d'une trentaine de feuilles raturées et mes stylos ont presque tous jeté l'éponge avant que je ne vienne à bout de tout ça. C'est tellement un soulagement pour moi que j'aimerai le crier au monde entier, brandir fièrement mon carnet à tous les étudiants qui passent devant moi mais personne ne doit savoir ce qu'il se cache entre ces pages. Personne, sauf elle.  Celle qui était présente à la naissance de ce que je considère comme "mon petit bébé", celle qui a donné son avis en tant que lectrice, celle qui m'a fait part de précieux conseils et à qui je dédicacerais probablement mon oeuvre une fois finie. Su Ah. Sachant la jeune femme à l'Inshinae pour la journée, je décide de l'appeler pour qu'elle soit la première à lire et qu'elle juge tout ça d'un oeil extérieur. Ni une, ni deux, je me saisis de mon téléphone et compose un petit message...

"Je viens de finir un chapitre important et j'aimerai que tu donnes ton avis si tu as le temps ! Je suis dans les jardins de l'école, si tu ne me trouves pas, téléphone-moi. Je t'attends~"

...avant de raturer deux lignes d'un paragraphe. Aïe, ça commence mal ! 

Je suis déjà en train de raturer une sixième ligne quand des mains se posent soudainement sur mes épaules, me faisant immédiatement sursauter. L'esprit humain est des plus idiots; j'ai envoyé un message à Suah il y a à peine cinq minutes, attendant donc son éventuelle venue mais cela ne m'a pas empêché d'être surpris par sa présence. Il faut dire que je suis à la vue de tous et que les élèves commencent à me connaître... et sont susceptibles de se venger. Il faut dire que je ne me retiens pas de les virer de la bibliothèque quand ils deviennent trop énervants et qu'il ne serait pas idiot que ces derniers cherchent à me faire payer en m'étouffant. Imaginez s'ils étaient tombés sur mes écrits ? Qu'en serait-il advenu ? Bon. Keishiro, tu es en train de te perdre. Je me retourne alors pour faire face à la brune, heureuse de me voir tout comme je le suis. Je secoue la tête en lui tendant le cahier, pas du tout inquiet quant à l'avis qu'elle va me donner. « Je sais que tu fais ça pour m'aider alors je ne le prends pas mal... Mais par pitié, ne me dis pas de TOUT recommencer. » La laissant s'asseoir à mes côtés, je me penche par dessus son épaule pour lire à nouveau les mots que j'y ai noté et qui, à force d'être lus par mon cerveau, n'ont presque plus aucun sens pour moi. Je me contente donc de regarder la jeune femme, de scruter chacune de ses réactions en espérant voir se dessiner un sourire. Je retiens ma respiration mais elle ne dit rien, elle se contente simplement de se tourner vers moi et de m'observer pour me dire que j'ai l'air fatigué. « Hm, je sais... » je grommelle en passant une main sur mon visage. « Je dormirais mieux ce soir. Allez, lis ! Je veux savoir ce que tu en penses ! »

Le soleil brûlant dont les rayons réchauffent ma peau et la brise légère qui souffle de temps à autres, agitant les pages de mon carnet, sont les seules choses que je remarque à cet instant même. Les autres élèves profitant du beau temps ne me perturbent en rien, ils sont même absents de mon univers, tout comme le bruit environnant. Je me concentre simplement sur Suah et mon précieux qu'elle tient entre ses mains et la laisse lire tranquillement, ce qui me permet de réaliser un peu ce qu'il se passe autour de moi. Mes yeux balayent rapidement le jardin où des élèves se sont posés ici et là sur l'herbe, à défaut de ne plus avoir de place sur les bancs. Mais il faut peu de temps à la belle pour trouver quelque chose à dire, m'amenant directement vers elle. « De la poésie ?» je répète en me grattant la tête, relisant à nouveau le passage. « Hm, peut-être que je pourrais ajouter quelques vers en prose, ici. Qu'est-ce que tu penses de ça ? » je demande alors en me saisissant du carnet pour y noter plusieurs petites lignes avant de lui tendre à nouveau. Même si je dois m'occuper de mes soeurs, gérer l'appartement et mon boulot, je ne peux pas laisser tomber l'écriture. C'est plus fort que moi. Je trouverais toujours un moment pour écrire, rajouter une petite ligne de ci, de là, y penser en étant au boulot et noter les phrases qui me viennent sur un petit bout de papier. L'écriture fait partie de moi et c'est pour cela que c'est d'autant plus important pour moi que quelqu'un comme Suah, qui sait ce que tout cela représente, y jette un coup d'oeil. Elle ne verra pas les choses comme moi, certes, mais elle comprendra toujours ce que j'ai voulu écrire. Elle est l'intermédiaire entre mes futurs lecteurs et moi, elle est un vrai soutien, j'ai besoin d'elle plus que tout.