Qu'est-ce qu'ils sont chiants ces premiers années! Qu'est-ce qu'ils sont cons aussi! Mais putain quoi! Ils n'ont pas de cerveau, aucun bon sens et surtout, et ô bon Dieu, surtout, aucun respect. Encore une fois, Nung Joo en avait déniché un qui osait se foutre de la gueule d'une de ses camarades. Comment peut-on être aussi méchant? Et débile aussi? La pauvre fille ne méritait pas de telles moqueries. Bien évidement, en tant que bonne présidente du club de boxe, Nung Joo avait fait goûté de son poing à ce sale morveux. Il avait poussé un cri plaintif, pleuré et était allé se cacher dans les toilettes en marmonnant sa honte: s'être fait frappé par une fille, une maigrichonne qui plus est.

Plutôt énervée par cet imprévu, la future chimiste s'est rendue dans les jardins du campus afin de se défouler un peu sur mère nature. De plus, il est fort agréable de bastonner un arbre sous son magnifique et brûlant soleil de printemps. Certes, le pauvre chêne qui est actuellement en train de se prendre des coups n'a absolument rien demandé, mais Nung Joo s'en sent apaisée. Qui sait, peut-être qu'un jour le gazon se vengera sur elle? Dans tous les cas, « La vengeance de l'herbe trancheuse de têtes » n'allait pas sortir au cinéma aujourd'hui.

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La musique est un art de vivre, ce n'est pas simplement la transition de pensées en son, c'est également le reflet de l'âme. Il ne faut pas seulement la jouer, il faut la comprendre. Voilà ce que j'ai retenu de mon cours aujourd'hui. Trois heures sur les grands noms de la musique moderne et une conclusion simple à laquelle j'en suis venu. Il faudrait peut-être que je m'entraîne à jouer d'un instrument, peut-être que je comprendrais mieux certaine chose et puis, je fais un peu tâche dans mon groupe lorsque je réponds que l'instrument dont je joue sont les patins. Sans doute ne comprendront-ils jamais que pour moi, le son d'un patin glissant sur de la glace produit de la musique et que c'est sur celle-ci que je me base pour mes spectacles. Après tout, je me moques qu'ils comprennent ou non, j'aime être un ovni, un homme qui sort de l'ordinaire. J'ai toujours été l'élève spécial, celui qui dénotait alors une fois de plus ou une fois de moins, je ne suis pas à ça près.

L'air est frais mais il fait suffisamment chaud pour que l'on se rende compte que l'été arrive. Bien sûr, ici j'ai souvent froid. L'air de Shanghai est plus chaud, même à cette période de l'année.  Pour sortir, je dois traverser les jardins et c'est avec une joie non dissimulés que je le fais, observant les nombreux végétaux et les autres étudiants. J'aime cette diversité ici, Suwon, ou du moins l'Inshinae, est cosmopolite. Mon téléphone me surprend à sonner et je me hâte de décrocher en voyant le nom de mon manager s'afficher, seulement à peine après l'avoir salué, une vision étrange m'interpelle. « Attendez, je vous rappelle. » Je raccroche sans lui laisser le temps de m'interpeller et m'approche de cette inhabituelle vision. Une jeune femme frappe un arbre. Des fous, il y en a ici mais alors ça, c'est une première. Puisque la curiosité l'emporte sur la peur, alors que j'aurais pu m'enfuir en courant devant une telle scène, je m'approche jusqu'à tapoter l'épaule de l'inconnue. Bon, j'admets, j'ai quand même un peu peur de m'en prendre une, alors avant de penser au pire, je réfléchis à comment formuler une phrase correcte. « Heu.. Pardon.. Mademoiselle mais... L'arbre ça fait mal. Il ne faut pas taper. » Je la regarde comme si elle était folle, remarquez, elle l'est sans doute un peu.  

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Cela faisait déjà un bon petit moment que la jeune femme se défoulait sur ce pauvre arbre. Un point à gauche, un autre à droite, un coup de pied et un de genoux... Elle imaginait que le végétal était un homme à qui elle pouvait donner tous les coups qu'elle voulait.
Bien évidement, elle s'était un peu isolée pour frapper ainsi cet objet inerte. Elle était hors de la vue des curieux, du moins presque; il fallait plutôt être attentif à la nature environnante pour la retrouver. Et heureusement qu'elle s'était cachée! Sinon, on l'aurait prise pour une folle aux habitudes plutôt brutales et dégradantes et, au contraire, celui qui se serait aventuré sur ce chemin miné aurait eu du mal à en ressortir vivant.

Cependant, un suicidaire apparu comme un petit Pokémon. Il était peut-être sorti d'une herbe sauvage pour attaquer un pauvre passant en criant « Pikachu », qui sait?  Enfin, le Pokémon s’avérait être un étranger qui ne savait pas vraiment bien parler; il ne maîtrisait pas tout à fait le coréen quoi.
Nung Joo, un peu en rogne, s'était retournée vers le Chinois - elle avait déduit sa nationalité par son accent -. Elle était de mauvaise humeur et il aurait été préférable pour ce pauvre garçon de passer son chemin. Elle n'allait pas le frapper, non! Sinon l'on aurait pu la coller pour avoir, une fois de plus, cherché la bagarre et, en plus, elle aurait été traitée de raciste.
Alors, elle fronça ses sourcils, pour souligner sa mauvaise humeur et se donner un air légèrement supérieur; afin de mettre mal à l'aise son interlocuteur.
- « Qu'est-ce que tu fais là toi? »
Elle avait emprunté un ton assez lourd bien que ce garçon voulait simplement la prévenir que « l'arbre fait mal  ». Peut-être qu'il était hippie... En tous cas, il n'en avait pas l'air. Mais de nos jours, les gens savent bien cacher leur jeu.

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Est-ce que c'est normal en Corée, que l'on frappe les arbres ainsi, à mains nues? C'est peut-être traditionnel, je n'en sais rien mais en tout cas, ce dont je suis certain, c'est que l'écorce peut blesser bien plus que l'on ne croit. Cet arbre est énorme en plus, elle pourrait vraiment se faire très mal aux mains et il suffit qu'elle soit artiste ou sportive pour que cela soit rapidement plus grave. Je comprends parfaitement que cette jeune femme puisse être énervée mais il y a d'autres manières de se calmer, bien moins nocives et bien plus douces. À peine ma phrase terminée qu'elle se tourne vers moi et le regard noir, plein de reproches, qu'elle me lance me donne froid dans le dos, me faisant même frissonner. Peut-être que j'aurais simplement dû la laisser se blesser et passer mon chemin en fin de compte. « Je...Euh... » Que pouvais-je répondre à ça? Je n'avais pas la moindre idée de ce que je faisais là. J'aurais simplement pu rester au téléphone et passer mon chemin mais non, il a fallut que je viennes me mêler de ce qui ne me regarde pas. « Je vous ai vu taper sur l'arbre et... Ca fait mal. Je pense qu'il faut se calmer en faisant autre chose. » Je me maudis pour mes lacunes en coréen, malgré l'année que je viens de passer ici, ma prononciation et mes tournures de phrases sont toujours aussi enfantine et ridicule. « Vous devriez juste aller courir, ou faire ce que vous aimez faire. » Pourquoi est-ce que je continues à donner des conseils à cette femme que je connais pas et qui ne semble absolument pas se soucier de ce que je lui raconte? C'est mon côté super-héros, allez comprendre...

Je la regarde en silence et elle fait de même. Je ne saurais dire si le moment dure à peine une seconde ou s'il se prolonge en minute mais la situation est très inconfortable et j'ai le sentiment que je ne peux pas m'enfuir, puisque je suis venu de ma propre initiative m’immiscer dans un moment personnel de la vie de quelqu'un d'autre. Note à moi-même pour la prochaine fois: arrêter de me mêler de tout et n'importe quoi, d'autant plus lorsque cela ne me concerne pas. 

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Il était un peu bizarre ce Chinois. Mais Nung Joo n'allait pas se permettre de le juger sans le connaître! Il s'exprimait peut-être un peu trop mal pour qu'on puisse le comprendre. Mais en soit, ce qu'il faisait c'était pour la protéger. Enfin, la protéger d'un arbre quoi...

La jeune femme le regardait fixement ne sachant pas si elle devait continuer de taper cet arbre pour faire passer sa colère ou arrêter en espérant que cet étranger la laisse en paix... Le problème, c'est qu'après cela, elle serait toujours autant hargneuse. En tout cas, le garçon semblait assez mal à l'aise et ce mal-être pinça le cœur de Nung Joo. Elle n'aimait pas vraiment que les gens soient mal avec elle, ça lui rappelait sa pré-adolescence où elle même était sans cesse rejetée. Pour chasser ce souvenir, elle aurait bien redonné un coup dans l'arbre. Cependant, ce geste n'aurait remédié à rien. Le souvenir serait toujours là et le Chinois en aurait été encore plus effrayé.
Le silence s'était bel et bien installé entre ces deux là. Néanmoins, Nung Joo profita de ce vide sonore pour se calmer.

- « Ni... Hao ma? ... Wo, elle se désigna de son index, bu hao... Wo shi colère. »  [Comment... Vas-tu? ... Je ne vais pas bien. Je suis colère]
Elle se moqua elle même de son pauvre chinois. Elle s'imaginait bien qu'elle s'exprimait aussi mal en cette langue que lui en coréen mais elle espérait que cette tentative de socialisation l'amuse lui aussi.
- « Wo xi huan da mu he ye courir. » [J'aime taper les arbres et aussi courir]
Sa syntaxe restait approximative et son vocabulaire très mince.
- « Taper les arbres ça me détend lorsque je suis en colère! »
Elle lui souri légèrement tout en espérant qu'il ne la prenne pas pour une folle alliée! Elle n'était pas méchante, du tout! Juste un peu en rogne à cause de ce gamin qui en embêtait une autre.

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Une main sur la bouche, je me retiens de rire lorsqu'elle se met à parler en un chinois approximatif. C'est tellement mignon que j'ai envie de lui faire un câlin, mais on ne fait pas un câlin à une inconnue qui frappe les arbres. Elle est folle, c'est certain et je ne peux pas prendre le risque de m'approcher trop près. Il n'empêche que je comprends pourquoi les Noonas me trouvent mignon. Si lorsque je parle coréen cela sonne de la même façon que lorsque cette fille parle chinois, plus aucun doute. Je comprends pourquoi elles ne voient en moi qu'un bébé à câliner.

Je n'ai pas le temps de répondre à sa question, elle enchaîne. Sans doute n'était-ce qu'une question rhétorique de toute façon, qui demanderait à un inconnu comment il va, spontanément? Enfin bon, une folle est une folle je ne devrais même pas chercher à comprendre. Mais... Attendez... Elle aime taper les arbres? Elle sait donc parfaitement ce qu'elle est en train de faire. Pour le coup, j'aurais préféré croire qu'elle était totalement inconciente. Être en colère et vouloir se détendre... Il y a mille et une façon de le faire sans risquer de se briser toutes les phalanges en même temps. Je plisse les yeux, suspiceux mais elle, elle sourit. À peine certes, mais je peux le voir. Peut-être n'est-elle pas complétement folle au fond, juste un peu bizarre. Ai-je le droit de la juger pour autant? Je ne le pense pas.

Remarquant qu'elle me fixe et que je n'ai pas dis un mot depuis trop longtemps, je frotte ma nuque, réfléchissant à ma phrase. Elle a fait l'effort de me parler en mandarin mais je ne pense pas qu'elle me comprenne si je lui réponds dans ma langue maternelle. Je peux parler coréen, il me faut juste réfléchir. « C'est mieux courir. Tu vas te faire mal ici. » Je déteste ne pas être capable d'exprimer des sentiments dans mes mots, j'ai l'air d'un robot. Pourtant je suis ici depuis plus d'un an, il faut vraiment que je fasse un effort. « Parler ça calme. Tu peux parler! » Je lui fais un grand sourire, lui signifiant que ce n'est en aucun cas un ordre, plutôt une invitation. Je ne connais pas encore grand monde ici, entre les cours et les entraînements je n'ai pas le temps de sociabiliser et toute occasion est bonne à prendre.

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