Je n'ai jamais eut un bon sens de l'orientation, jamais. Il y a à peine quelques semaines, je me suis perdue pour rentrer à la maison alors que je fais le chemin entre le cinéma et celle-ci depuis plusieurs années. La bibliothèque, je la connais également sur le bout des doigts, c'est là que je me réfugie, là où je passe le plus clair de mon temps et pourtant, je suis incapable de remettre la main sur un livre retraçant la vie de Bach. Il faut dire que le département « musique » est immense et bien entendu, je ne sais plus tout où je me trouve. Devant moi, des dizaines et des dizaines de livres sur le droit constitutionnel et pénal. Heureusement, une jeune femme entre dans l'allée et je la reconnais comme étant membre de ma confrérie. J'ai peur d'aller lui parler, évidemment, mais l'envie de lire est plus forte alors je m'avance et timidement, ose hausser la voie. « P..Pardon... Je ne veux pas vous déranger mais... Est-ce que vous sauriez où se trouve le département musique.. ? » Une seule question et je perds tout mes moyens, moi qui pensais m'être amélioré...

Rédiger un travail de vingt pages sur les incohérences du système judiciaire coréen. Ils avaient fumé dans ma faculté ou bien ... ? Visiblement non, étant donné le temps que je passais en bibliothèque pour le moment, à essayer de pondre un truc potable. Bien sûr, pour la petalous que je suis, potable signifie un travail qui me rapportera au moins quatre-vingt pourcents, ce qui était encore relativement peu par rapport à ce qu'il était possible d'avoir. Prenant un énième ouvrage entre mes doigts, une voix me tira de mes recherches. Je regardai le jeune homme qui venait de me parler, un petalous, comme moi. Je me détendis instinctivement. Hum, je crois qu'elle est au fond... on peut y regarder ensemble si tu veux. C'était pour le moins gentil de ma part, je n'aurais pas réagi comme ça s'il n'avait pas été de ma fraternité, c'est certain.

Étrangement, sa voix m'apaise à l'instant où elle me répond. Elle est douce et gentille et elle me sourit. D'ordinaire lorsque je pose une question à quelqu'un dans cette bibliothèque, on me répond à peine et on me tourne le dos. Les gens n'aiment pas être dérangés et ils le font savoir. C'est sans doute pour cela que je ne suis pas encore à l'aise avec autrui, parce qu'eux ne font pas d'efforts. Je souris à la jeune femme en retour, je lui suis reconnaissant car elle prend de son temps pour m'aider et elle me permets donc d'en gagner. « Oh, sans vouloir vous dérangez, ce serait vraiment merveilleux... Je n'arrive jamais à me retrouver ici et pourtant, je passe presque tout mon temps entre les livres de musique. » Je ne me lasse jamais d'en apprendre plus, jamais.

Il a l'air gentil, ce violet, ça change de bien des gars dans cette université. Je lui souris avant de lui répondre Sans soucis, au moins ça me changera des codes juridiques. Je remis le livre que j'avais en mains à sa place, avant de me mettre à la recherche du département de musique. La bibliothèque était réellement énorme, et je devais bien reconnaître m'y être perdue plus d'une fois depuis le début de l'année. Heureusement, j'y avais rapidement pris mes marques, mon sens de l'orientation aidant. Tout en parcourant les rayons, je me tournai vers le jeune homme Au fait, tu t'appelle comment ? Me semble déjà t'avoir croisé chez les petalous, mais pas t'avoir parlé... En même temps, si je pouvais être gentille, douce, et tout ce que vous voulez, ça ne changeait rien au fait que je n'allais toujours pas vers les autres. Pas étonnant du coup que je ne connaisse pas son nom.

Je lui souris encore, la remerciant timidement avant de la suivre dans le dédale de livres. Comment est-il possible de se retrouver ici sans un plan ? D'ailleurs je devrais m'en faire un, au moins pour arriver à ma section de prédilection. Perdre une heure sur mes révisions et apprentissage tout simplement parce que je ne sais pas me diriger commence à m'agacer. Sagement et sans un mot, je tourne à sa suite, regardant les étagères gigantesques qui nous entoure puis sursaute presque lorsque sa voix s'élève à nouveau. « Oh, moi, c'est Heaven, Kang Heaven, mais mon nom de famille ne me sert pas trop, même si les gens préfèrent prononcer les deux. Enfin, tu fais comme tu veux, peu de monde m'interpelle alors je me retournerais toujours. » Tais-toi Heaven, pourquoi parles-tu autant alors qu'on ne te le demandes pas ? Je rougis, gêné de mon flot de parole. Les yeux rivés sur le sol, je reprend, souhaitant détournez l'attention. « Et vous, comment vous appelez-vous ? »

Je ne peux m'empêcher de le trouver mignon, il me fait rire. Oh, pas un rire moqueur, loin de là, juste un petit rire attendri. Heaven qu'il s'appelle donc. Je hochai doucement la tête, tout en continuant de me repérer grâce aux indication en bout de rayons. Nous avions quitté la section légale pour rejoindre la littéraire. Nous touchions au but, ou presque, étant donné la taille de cette section. Je me suis par ailleurs souvent demandé qui de la faculté de droit ou de lettre possédait le plus d'ouvrage... Soit, Enchantée Heaven, moi c'est Seong Hee, Cho Seong Hee. Par contre ... je posai mon regard sur lui, toujours souriante, avant de continuer Tu peux me tutoyer s'il te plait ? Je ne suis pas à l'aise avec le vouvoiement ... la vérité était que je gardais ça pour les fréquentations de ma mère, à l'université je n'en voyais pas trop l'intérêt.

Je suis heureux, je me sens bien, je relève la tête et je lui souris, du sourire le plus éclatant possible. Il m'en faut peu pour me rassurer et le simple fait qu'elle rit, gentiment, doucement, me rend moins anxieux, plus à l'aise. J'acquiesce et continue d'avancer d'un pas enjoué, lisant les petits écriteaux apposés un peu partout. Et puis, je la regarde et l'écoute, acquiesçant encore, comme si elle me donnait des instructions alors qu'il n'en ai rien. « Oui, bien sûr, pardon. Je préfère ne pas tutoyer les personnes que je ne connais pas au premier abord, certaines n'aiment pas. » Et cela m'a déjà valu des coups et des rejets alors autant ne pas tenter le diable plusieurs fois. « Tu es dans cette université depuis longtemps Seong Hee ? Tu étudies le droit ? Tu étais dans cette section alors.... » À nouveau, je parle trop, un flot de paroles franchit la barrière de mes lèvres et je ne saurais l'arrêter. Lorsque je me sens bien, je deviens curieux, très curieux.

Il accepte de me tutoyer, voila qui me soulage. Je savais que certaines personnes préféraient le vouvoiement, comme si cela leur conférait un statut supérieur. Je trouvais ça stupide. Quand je ne permettais pas à quelqu'un de me tutoyer, c'est ce que je méprisait cette personne, hors ce n'était clairement pas le cas ici. Il me sembla alors que Heaven était bien plus loquace que quelques minutes auparavant. Peut-être l'avais-je mis à l'aise ? Je m'en réjouis. Je suis bien en droit, en première année à vrai dire. Être une petalous qui avait deux ans de plus que ses camarades, c'était pour le moins original. Néanmoins, j'espérais que Heaven n'en remarque rien et enchaînai tout aussitôt Et toi ? Tu fais quoi ? Cela m'aurait étonné qu'il soit dans la musique, la plupart allant chez les bluings, mais ma foi, tout était possible !

Je suis plutôt fier de ma déduction, puisqu'elle s'avère exacte et cela me vaut un petit saut. Oui, j'ai des réflexes étranges que je ne comprends pas moi-même. « Oh, en première année ? Alors c'est moi qui devrais te guider et non l'inverse... C'est ma troisième année ici... » Je fais la moue, sur ce point je ne suis pas fier mais après tout beaucoup d'autres élèves me prennent pour un nouvel arrivant, il faut dire que je suis si discret qu'il n'est pas difficile de me faire oublier. C'est ce que je souhaite après tout, que l'on ne me voit pas, que l'on m'oublie, que l'on me laisse tranquille et surtout, que l'on ne me touche plus. Elle me questionne, s'intéresse-t-elle vraiment à moi ? C'est plaisant et avec une joie non dissimulé, je lui réponds. « J'étudie les arts appliqués, enfin, c'est ma section mais j'apprends la photographie. » J'ai d'ailleurs mon dernier tirage à aller récupérer dans le studio en sortant de la bibliothèque, je n'aimerais pas que d'autres étudiants voient mes photos personnelles, surtout qu'il s'agit de ma séance d'autoportrait. « Comment fais-tu pour te repérer ici ? » Si elle pouvait me donner une astuce ou deux, ce serait fortement appréciable.

Il était en troisième ? Surprenant que nous ne nous soyons jamais parlé du coup. Déjà au lycée, je passais pas mal de temps avec les petalous. La plupart était discret, ne parlaient pas beaucoup, me laissait tranquille. La fraternité était un peu mon havre de paix, l'une des rares choses auxquelles je m'étais attachée au cours des quatre dernières années. Je penserai à toi alors si un jour j'ai besoin d'aide pour une chose ou l'autre ! Après tout, vu toute la complexité du système universitaire, ce ne serait pas étonnant que cela arrive. Il était donc en arts appliqué, c'était rare pour un petalous. Mais pas moins intéressant. Après tout, j'avais un esprit plus créatif que terre à terre, c'était ma mère qui avait choisi ma voie Sérieusement ? Waoh, ça doit être super intéressant comme études ! Plus que voir à quel point les législateurs pouvaient se prendre la tête pour des détails en tout cas Je sais pas trop pour être honnête... j'ai un bon sens de l'orientation, puis l'agencement répond à une logique. Les sciences appliquée à droite, les sciences humaines à gauche. À partir de là, plus tu vas vers le fond, plus tu vas dans la partie artistique de la bibliothèque. C'était en tout cas que ce que j'avais constaté.

Je serais plus que ravi de l'aide, après tout, elle est en train de le faire avec moi et je pense que tout service doit être rendu, non par devoir mais par envie et si un jour je peux lui rendre un service, je serais plus qu'heureux de le faire. Surtout que Seong Hee semble être une jeune femme aimable et bavarde. Du moins, elle me pose des questions et s'intéresse à moi. Je lui souris encore, j'ai l'impression de ne faire que ça alors que la peur me tenait le ventre il y a à peine cinq minutes. « C'est intéressant, oui. J'ai toujours été passionné par la photographie, figer dans le temps de moments qui ne devaient être qu'éphémères... C'est merveilleux et apprendre les codes de cet art est des plus passionnant ! » Je l'écoute alors qu'elle répond à ma question, logique, oui, j'aurais dû m'en rendre compte. « Je n'avais jamais fait attention au classement des sections... » Je passe ma main sur ma nuque, gêné de ma bêtise. À nouveau, je tente de changer de discussion pour dissimuler mon manque d'observation. Je fais attention à tout d'habitude mais la bibliothèque est un lieu d'angoisse pour moi, parce qu'elle est toujours peuplée. « Je suppose que le droit est intéressant aussi... Tu... Tu sais combien d'années après les faits on peut encore porter plainte ? » Non, je ne le ferais jamais mais j'aimerais à savoir si ce serait possible.

Je l'écoutais avec attention, il avait réellement l'air passionné par ce qu'il faisait, je l'en enviais presque. Mes études, c'était ma mère qui les avait choisi pour moi. La seule chose qui m'ait réellement passionnée, c'était la danse, et cela appartenait à une époque désormais bien révolue. Soit, il enchaîna presque aussi tôt sur l'agencement de la bibliothèque. Il faut dire que la bibliothèque est tellement énorme que ça n'a rien d'étonnant... Personnellement, c'est un ami qui me l'a expliqué. Je ne savais plus qui, mais de moi-même je n'aurais sans doute jamais trouvé. Je n'étais pas l'une de ces petalous à l'esprit logique sur-développé, je bossais beaucoup pour mériter ma place dans cette fraternité, voilà tout. Si le droit était intéressant ? Oui, ça l'était ... en quelque sorte. Ouch... Tu me poses une colle là, je ne pense pas qu'on ait déjà vu ça en cours si c'était le cas, je l'aurais su par ailleurs, mais la question était intéressante ce serait pour quel genre de délit ? si tu veux, je pourrai regarder à ça, c'est toujours utile à savoir..., même pour moi et ma tendance à rentrer tard dans la nuit.

Seong Hee a raison, jamais encore je n'avais vu de bibliothèque aussi grande. Il faut dire qu'au pensionnat, il n'y avait que quelques étagères dans les couloirs avec des ouvrages datant de décennies bien anciennes. Avec toute les années que j'ai passé là-bas, j'ai eu le temps de les lire et même de les relire, tous, sans exceptions. Alors ici, c'est un peu comme un eldorado, il y a toujours du nouveau, toujours des choses à lire et à apprendre. Lorsque je me perds et que le temps ne me presse pas, parfois je m'assois simplement et lis le premier livre qui me tombe sous la main. Non vraiment, jamais encore je ne me suis lassé d'apprendre et jamais encore je n'ai su retrouver mon chemin, surtout lorsque je ne connais pas le département en question, comme celui de musique. J'allais la remercier mais une autre question passe la barrière de mes lèvres et elle me répond aussitôt qu'elle na pas la réponse, que je devrais lui donner plus d'informations. Non, ce n'est pas grave, ce n'est pas important. « Je ne sais pas, je disais ça comme ça... » Menteur, Heaven, ce n'est pas bien de mentir. Je lui souris, voulant paraître innocent, continuant d'avancer entre les divers étalages. « Ne te déranges pas, tu devrais te concentrer sur tes révisions et les examens. En photographie il y en a bientôt, les plannings des examens sont-ils les mêmes en droit ? » Je pose beaucoup de question, des questions qui ne servent à rien mais j'ai toujours peur que le silence s'installe lorsqu'une discussion est lancée.

Il demandait ça comme ça ? D'instinct, je fronce les sourcils. Je n'ai jamais été douée pour savoir quand les gens mentaient, mais pourtant, quelque chose me gênait par rapport à Heaven. Il y avait quelque chose dans sa voix que j'associais à la fuite. Avant mon accident, c'était le genre de choses auxquelles je faisais attention, mais depuis je m'étais refermée sur moi-même. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me reste la moindre trace d'empathie, et pourtant ... Néanmoins, je me contentai de hocher la tête lentement, s'il ne voulait pas m'en parler je n'avais pas à insister. Ok ok .... Vint ensuite la question des examens. Effectivement, ceux-ci approchaient à grands pas, c'était sans parler des travaux à rendre à cette occasion. Je ne pus m'empêcher d'esquisser une petite grimace en y pensant, avant de lui répondre Effectivement, on est en pleine révisions là ... Enfin, ça va, j'ai été régulière pendant toute l'année donc je ne devrais pas avoir trop de problème de toute façon, je n'arrivais pas à m'en faire, je n'aimais pas ce que je faisais, je ne le faisais que pour mère. Rater me donnerait une excuse d'arrêter, mais je savais que je n'en ferais rien En quoi consiste les cours en photographie d'ailleurs ? J'admets ne m'être jamais penchée sur ce cursus ... ma question n'avait rien de péjoratif, et j'espérais qu'il s'en rende compte au son de ma voix. J'étais simplement curieuse de savoir ce qu'ils voyaient concrètement.

Les examens, à cette simple perspective, je soupire. Je n'ai pas peur de rater, non, parce que ce que j'apprends me passionne et que la passion stimule la mémoire, mais j'ai peur d'être entouré de centaines de personne et de paniquer. Paniquer au point d'oublier. Pourtant, ces derniers temps, je ne fais plus de crises d'agoraphobie, je ne panique plus qu'en cas très rares et cela me donne un peu d'espoir. Peut-être qu'après trois années de thérapie, je vais enfin réussir à être un homme adulte et responsable. J'acquiesce aux dires de ma guide. Il est vrai que lorsque nos efforts sont constants, il n'y a aucune raison de paniquer lorsque les examens arrivent. Si l'on ne travaille pas le reste de l'année et que l'on se donne à fond les dernières semaines, ou jours, les efforts seront vains, j'en suis certain. On a toujours besoin de régularité dans le travail. « La photographie... » Cela ne m'étonne pas qu'elle ne sache pas, peu de personnes non concernés sont réellement au courant de ce qu'apporte ce cursus. « Et bien, en réalité, on apprend surtout à lire les images et à les écrire, enfin, je ne sais pas si tu peux comprendre si je dis comme ça mais... On apprend à perfectionner notre art. On apprend à retoucher, à utiliser certains filtres pour faire passer certaines émotions. On apprend l'histoire de la photographie, des appareils... On apprend à développer correctement aussi... Enfin, plein de petites choses comme ça... » Je ne saurais pas vraiment expliquer en vérité. J'apprends à faire vivre ma passion et c'est en somme tout ce dont je suis fier.